Notes critiques

Guy Rocher, Voir - Juger - AgirPierre Duchesne, Guy Rocher, Voir – juger – Agir, Éditions Québec-Amérique, Montréal, 2019, Tome 1, 458 p.[Notice]

  • Jacques Beauchemin

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La belle biographie de Guy Rocher que propose Pierre Duchesne constitue non seulement un portrait généreux et très précis du parcours du grand sociologue de l’Université de Montréal, mais elle brosse un portrait saisissant de la société québécoise des années 40, 50 et début 60 durant lesquelles Guy Rocher aura été très actif. La lecture des passages relatifs à l’engagement de Rocher, à son appréhension du Québec comme réalité à étudier, à comprendre et à transformer suscite avec le recul de l’histoire une impression étrange qu’il vaut la peine d’élucider. Au fil de la lecture, l’image se dessine d’un Québec à la fois proche et lointain. Proche, parce que nous retrouvons comme en arrière-plan du parcours de Guy Rocher une atmosphère, des discours, des idéologies et une culture qui sont celles de la société cléricale familière à plusieurs d’entre nous. Nous sommes proches de ce monde en même temps qu’il nous semble si éloigné de ce qu’est devenu le Québec depuis l’époque lointaine des mouvements d’action catholique, dans lesquels Rocher fut si engagé et où tant de choses dépendaient du bon vouloir d’un clergé omniprésent. Ce monde canadien-français paraît appartenir à un passé non seulement révolu, mais qui nous est d’une certaine manière devenu étranger. Le parcours intellectuel et personnel de Rocher est ainsi celui d’un Canadien français qui deviendra Québécois au tournant des années 60, comme nous le sommes tous devenus depuis, le premier devenant tout à coup exotique aux yeux du deuxième. Ce que cette biographie révèle ainsi, c’est justement la fin de ce monde dans lequel Rocher fait ses premières armes en tant qu’intellectuel et sa refondation à travers le projet moderniste et émancipateur de la Révolution tranquille. L’illustration la plus claire de cette mutation se trouve dans le projet que poursuit la Commission royale d’enquête sur l’enseignement. Guy Rocher participe à titre de commissaire aux travaux de la « Commission Parent », que Duchesne décrit avec moult détails de même que le rôle essentiel qu’y joue Rocher, non seulement comme sociologue, mais aussi comme médiateur entre les positions adverses qui s’y font jour. Rocher est en cela l’intellectuel typique du passage d’un monde à l’autre, d’un monde dont on pouvait ressentir la présence presque charnelle à un autre, certes plus « moderne », mais dont on verrait bientôt s’étioler la culture. Il n’est pas question de regretter les temps anciens dont la critique n’est plus à faire. La domination de l’Église, la pauvreté matérielle et culturelle, les traces partout présentes de la domination, tout cela devait être renversé. Mais, en réglant les comptes avec ce passé et en mettant au monde une autre société qui pouvait désormais s’apercevoir comme sujet d’elle-même, c’est par une étrange ruse de l’histoire que commençait pour la sociologie la lente érosion de l’objet-Québec. Le Québec nouveau naissait dans l’enthousiasme que suscitent les commencements, en même temps que se préparait de loin la fragilisation identitaire d’une société qui s’était toujours représentée dans une certaine unité. C’est bien ce que révèle le premier tome de cette biographie dans laquelle s’enlacent deux manières d’être québécois et deux paradigmes sociologiques. Le parcours intellectuel de Guy Rocher est en cela représentatif de la « rencontre de deux mondes », qu’avait aperçue Everett C. Hughes en 1943. Quels sont les principaux aspects qui séparent ainsi les deux mondes? Il n’est sans doute pas utile de revenir sur l’importance de l’Église et de la religion au cours de la période correspondant aux études de Guy Rocher au séminaire de L’Assomption, où il est admis en 1935, et à sa participation à la Jeunesse étudiante catholique (JEC) …

Parties annexes