Résumés
Résumé
Cet article vise à contribuer à l’étude de l’élite financière opérant au Québec en s’appuyant sur l’analyse du cas de l’entreprise Papiers White Birch dans le secteur des pâtes et papiers. Entrée dès 2010 dans un processus de restructuration financière encadré par la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (LACC), cette entreprise a vu ses règles courantes de gestion être modifiées afin de se conformer à un plan de relance axé sur la protection et la valorisation du patrimoine financier de certains investisseurs. L’article retrace le rôle et les logiques d’action de deux groupes faisant partie de l’élite financière dans la mise en place de ce plan de relance, soit le groupe des créanciers et propriétaires de l’entreprise d’un côté, et les experts financiers chargés de conseiller les autorités juridiques durant le processus de restructuration, de l'autre. La mise en lumière des fonctions et stratégies déployées par ces acteurs dans ce processus illustre des modalités par lesquelles les élites financières contemporaines peuvent tirer avantage des crises industrielles et contribuer ainsi à intensifier le processus de financiarisation de l’économie.
Mots-clés:
- financiarisation,
- restructurations,
- élites,
- fonds de pension,
- logiques d'action,
- liquidité
Abstract
This article aims to contribute to the study of the financial elite operating in Quebec by analyzing the case of the company White Birch Papers in the pulp and paper sector. Having entered in 2010 into a financial restructuring process governed by the Companies’ Creditors Arrangement Act (CCAA), this company saw its current management rules modified in order to comply with a recovery plan aimed at protecting and enhancing the financial wealth of certain investors. The article traces the roles and action logics of two groups belonging to the financial elite in the implementation of this recovery plan, one being the group of creditors and owners of the company and the other the financial experts responsible for advising the legal authorities during the restructuring process. Highlighting the functions and strategies deployed by these actors in this process illustrates ways in which contemporary financial elites can take advantage of industrial crises and thereby contribute to intensifying the financialization of the economy.
Keywords:
- financialization,
- restructurings,
- elites,
- pension funds,
- action logics,
- liquidity
Corps de l’article
L’étude des restructurations des grandes entreprises a montré le poids déterminant dont pèsent aujourd’hui les acteurs financiers dans les stratégies d’entreprises et l’organisation de la production (Froud et Williams, 2006; Van der Zwan, 2014; Lippert, Huzzard, Jürgens et Lazonick, 2014). Conduisant à une transformation de la structure institutionnelle et du modèle productif de l’entreprise, ces restructurations ont été impulsées par des acteurs sociaux déterminés et non par une tendance naturelle à l’optimisation de l’usage des ressources et des facteurs de production (Fligstein, 2001; Froudet al., 2006; Roy, 1997). Cette étude a du même coup rendu possibles l’observation et l’analyse de la formation d’une nouvelle élite issue du capitalisme financiarisé. Il y a là une occasion de contribuer à l’avancement des études sociographiques sur les élites économiques dans le capitalisme contemporain, occasion qu’ont bien identifiée certains auteurs (Davis et Williams, 2017; Birtchnell et Caletrío, 2013; Savage et Williams, 2008).
Particulièrement active dans la vague de restructurations d’entreprises qui s’est déployée en Amérique du Nord des années 1990 jusque dans la première décennie des années 2000 (Appelbaum et Batt, 2014; Davieset al., 2014), cette nouvelle élite présente des caractéristiques spécifiques, qui la singularisent vis-à-vis de l’ancienne. L’une des plus saillantes est qu’elle n’est pas a priori intéressée par les questions de la production et de l’emploi : les faits ont montré qu’elle est d’abord préoccupée par la protection et la valorisation des actifs qui composent les patrimoines de la communauté financière (Orléan, 2011; Morin, 2006). D’une manière générale, cette préoccupation se traduit pratiquement par le contrôle et la captation des liquidités générées par les entreprises sur lesquelles cette élite a des droits, comme c’est le cas des propriétaires de ces entreprises et des créanciers. Mais cela se traduit aussi par d’autres moyens moins bien connus, comme le recours à l’expertise de firmes de consultants et d’audit par les pouvoirs publics lorsqu’ont lieu des restructurations d’entreprises. Assumant le rôle d’experts-conseils dans ces situations, ces firmes tendent à « normaliser » la prééminence des intérêts des acteurs financiers lors de ces restructurations (Henry, 1992; Charrier, 2014). Ces deux facettes de l’élite financière contemporaine se conjuguent à d’autres pour reproduire des asymétries plaçant les parties prenantes de l’économie de production (salariés, retraités, fournisseurs, collectivités locales) dans une situation de subordination vis-à-vis du système financier (Morin, 2017).
Sur la base d’une étude sociographique du cas de l’entreprise Papiers White Birch, cet article se propose d’éclairer ces deux facettes de l’élite financière opérant au Québec afin d’en améliorer la connaissance. La première de ces facettes est la logique d’action des créanciers et propriétaires au cours de la restructuration d’une entreprise qui a connu des difficultés financières : quels ont été les principaux choix opérés par ces acteurs? Quelles pratiques financières ont-ils adoptées au moment « critique » de la relance de l’entreprise? L’article propose une analyse des principales opérations financières réalisées par ces acteurs durant une période où les règles courantes de gestion de l’entreprise sont suspendues, permettant aux créanciers et propriétaires d’extraire le maximum de liquidités des activités industrielles de l’entreprise menées à bien au même moment. À ce titre, l’étude de cas présentée ici approfondit un programme de recherche portant sur le rôle de l’élite financière détenant la propriété d’entreprises en restructuration dans le secteur forestier au Québec (Duhaimeetal., 2010; Haninetal., 2013; L’Italienetal. 2012).
La seconde facette de l’élite associée à la finance d’entreprise au Québec concerne les acteurs qui encadrent les restructurations sous la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (LACC). Cette loi fédérale permet à une entreprise éprouvant des difficultés financières de suspendre temporairement ses obligations à l’égard de ses principaux créanciers, le temps qu’un processus de restructuration de ses actifs soit mis en oeuvre. Cette loi, qui vise d’abord à assurer la relance de l’organisation, confère à des experts financiers d’importants pouvoirs durant la restructuration. Ainsi, des contrôleurs financiers provenant de grandes firmes d’audit se voient-ils confier la mission de conseiller le juge supervisant le processus de restructuration d’entreprise afin d’établir un scénario de relance. Or, l’analyse du cas Papiers White Birch, qui a requis la protection de la LACC, permet de constater que les contrôleurs financiers consolident, davantage qu’ils ne remettent en cause, la logique financière déployée par les créanciers et les propriétaires. La restructuration de l’entreprise a ainsi reconduit et cristallisé les asymétries existantes entre les acteurs financiers et les autres parties prenantes de l’entreprise, en particulier les salariés et les retraités.
L’article est composé de trois sections : une première vise à exposer les principales caractéristiques institutionnelles du contexte économique dans lequel évoluent les grandes entreprises, ainsi que la nature des élites économiques contemporaines. Une seconde section sera consacrée à la présentation des principales opérations menées par les créanciers et les propriétaires de Papiers White Birch au cours de la restructuration de la compagnie. Enfin, dans une troisième section, nous aborderons l’institution de la LACC, en mettant en lumière les dispositifs institutionnels qui favorisent la subordination des parties prenantes de l’entreprise à la communauté financière.
Financiarisation de l’économie et transformations des élites
À l’inverse des théories économiques orthodoxes, qui analysent les transformations du capitalisme en éludant le rôle des stratégies d’acteurs et de la conflictualité, la sociologie et les approches sociologiques de l’économie partent de l’hypothèse selon laquelle le capitalisme est un fait social (Smelser et Swedberg, 2010 ; Granovetter, 2018). Plus précisément, le capitalisme est un produit de la pratique sociale, laquelle implique l’existence d’acteurs, mais aussi d’institutions, d’organisations et de discours de justification, qui circonscrivent les marges de manoeuvre de ces acteurs. Ainsi, loin d’être régi par des régularités naturelles ou encore par une « loi de l’efficacité » agissant en sous-main (Chandler, 1977), le capitalisme est au contraire soumis à des régulations sociales, dont la nature a varié dans le temps, et en particulier dans l’histoire récente.
En effet, la crise financière de 2008 a eu pour conséquence de révéler au grand jour les ressorts de ces régulations, notamment ceux de l’État et des organisations financières, ainsi que de mettre en lumière les transformations importantes que celles-ci ont connues au cours des dernières décennies du 20e siècle. Ces transformations ont engendré une modification importantes des structures sociales, pratiques et discours consacrant la prééminence des logiques financières sur les modes antérieurs d’organisation de l’économie de production (Krippner, 2005; Morin, 2017). Désignée par le terme de financiarisation, cette inflexion déterminante a été traitée sous ses aspects économiques, juridiques mais aussi institutionnels, en particulier sous l’angle des stratégies d’acteurs qui ont pesé lourdement dans la redéfinition de ce cadre de régulation du capitalisme (Zornetal., 2004; L’Italien, 2016). Ces analyses ont attiré l’attention sur le rôle et la nature des élites économiques dans cette nouvelle conjoncture socio-historique et macroéconomique et convergent avec les préoccupations sociales qui ont émergé dans la foulée du mouvement Occupy Wall Street et les discours concernant l’asymétrie entre les 1 % les plus riches et le reste de la société.
La financiarisation du capitalisme a coïncidé avec l’émergence d’une élite économique présentant des caractéristiques distinctes de celle qui l’a précédée. Loin d’être principalement composée de dirigeants de grandes entreprises industrielles engagées dans une économie de production (Useem, 1984; Mizruchi 1982), cette élite s’est constituée sous la forme d’une « communauté financière » relativement hétéroclite (issue des secteurs financier et bancaire, des grandes entreprises, des firmes de consultants et d’audit, des études spécialisées dans le droit des affaires, des agences de notation, des industries culturelles, du secteur de la philanthropie, etc.), dont les membre ont en commun le fait de détenir ou de contribuer à gérer un important patrimoine financier. Ainsi, si cette élite tient principalement sa position dominante des dispositifs de valorisation et d’accumulation financière, elle est cependant fragmentée dans sa composition (Davis et Williams, 2017; Mizruchi, 2013). Elle présente plusieurs facettes qui font système, et ce système subordonne les parties prenantes de l’économie de production aux stratégies d’extraction financière.
Parmi les groupes qui occupent actuellement une position au faîte de ce système, les gestionnaires d’organisations financières transnationales ont récemment fait l’objet d’analyses. Plus spécifiquement, une constellation d’acteurs composée de dirigeants et de gestionnaires de trois types d’organisations financières a été repérée par les études sociologiques et économiques portant sur la financiarisation des entreprises : les firmes de placement privé, les investisseurs institutionnels et les firmes d’évaluation financière (Dobbin et Zorn, 2005; Zorn et al., 2004; L’Italien, 2013). Ces organisations ont constitué le fer de lance du processus de financiarisation des entreprises, en plus de représenter l’épine dorsale de cette nouvelle élite financière. Deux de ces types d’organisations et leurs représentants ont été particulièrement actifs dans le cas de Papiers White Birch, soit les firmes de placement privé et celles chargées de l’évaluation financière de l’entreprise en restructuration.
Au cours de la dernière décennie, et en particulier depuis la crise financière de 2008, les firmes de placement privé ont joué un rôle déterminant dans l’intensification du processus de financiarisation en s’introduisant dans la structure financière d’entreprises en difficulté financière, dont le nombre a été important au lendemain de la crise (Appelbaum et Batt, 2014; Gueryetal., 2017). Ainsi, plutôt que d’acquérir l’ensemble de l’entreprise, ces firmes et leurs dirigeants ont davantage privilégié une approche par contrôle de la dette, en se positionnant comme créanciers principaux au sein de l’entreprise ciblée. Les firmes de placement privé se sont ainsi présentées comme créanciers de dernier recours pour des entreprises ne pouvant plus se financer ailleurs. Cette relation financière à risque se paie au prix fort par des taux d’intérêt élevés, et en cas d’échec de la relance, la position de créancier prioritaire lui donne un droit de disposer librement des actifs de l’entreprise, que ce soit en les rachetant ou en les liquidant.
Aux côtés de ces puissantes organisations financières, d’autres acteurs, moins connus, ont contribué à normaliser les pratiques et discours issus de ce système. Parmi ces acteurs, il faut mentionner les firmes d’audit, qui ont exercé des fonctions d’évaluation financière dans la régulation financiarisée du capitalisme (Zhang et Andrew, 2014). Le décloisonnement des marchés de capitaux et les modifications apportées à la comptabilité d’entreprise ont rendu plus que jamais nécessaire l’intervention d’experts spécialisés dans l’évaluation financière (Aglietta et Rébérioux, 2004). Ce sont ces experts, et plus spécifiquement les firmes d’audit financier, qui sont sollicités par les autorités publiques pour les conseiller lors des processus de restructuration financière d’entreprises balisés par l’État.
Le cas de la restructuration de l’entreprise manufacturière Papiers White Birch nous semble particulièrement pertinent pour approfondir les logiques d’action mises en oeuvre par cette élite au Québec. Éprouvant des difficultés financières grevant sa rentabilité, cette entreprise a été la cible de firmes de placement privé qui ont opéré un intense processus d’extraction financière, auquel les propriétaires de l’entreprise ont eux-mêmes participé. Comme nous allons le constater, ce cas révèle que les firmes de placement privé, ainsi que la firme d’audit chargée de conseiller les autorités juridiques dans le processus de restructuration, ont appliqué une conception financiarisée de l’entreprise, caractérisée par la prééminence des intérêts de la communauté financière sur ceux de l’économie dite « réelle » (Fligstein, 2001). Ce faisant, ces firmes et leurs représentants ont contribué à cristalliser la position centrale occupée actuellement par l’élite financière vis-à-vis de l’économie de production au Québec et en Amérique du Nord.
Restructuration et financiarisation de Papiers White Birch
Au plan méthodologique, notre recherche consiste en une étude de cas de type « critique » (Flyvberg, 2006) : il s’agit d’étudier les logiques d’acteurs, ainsi que la portée et les limites de la législation canadienne sur les restructurations en regard de la nature de l’organisation de la firme dans le capitalisme financiarisé. Par rapport aux recherches précédentes, l’originalité de la présente enquête est d’analyser la financiarisation d’une compagnie privée. Les sociétés privées ne produisant pas habituellement de documents publics sur leur modèle d’affaires et leurs résultats, et ne rendant pas publique non plus leur communication entre dirigeants et créanciers, il est pratiquement impossible de les analyser de l’extérieur, ce qui confère encore davantage de responsabilité au contrôleur financier. La procédure de la LACC, sous la protection de laquelle s’est placée Papiers White Birch, a offert une « fenêtre » sur le modèle d’affaires de la firme pour analyser ses dimensions et ses caractéristiques.
La collecte des données pour la rédaction de la monographie du cas a été réalisée entre mars 2013 et avril 2014 à partir des éléments suivants :
une revue de la littérature sur les restructurations d’entreprise, qui a permis de sélectionner 66 articles et ouvrages scientifiques pour l’analyse du cas;
une revue de presse entre le 1er janvier 2010 et le 5 avril 2013, qui a généré 423 articles retenus pour l’analyse documentaire;
la collecte des informations déposées dans le cadre du processus de restructuration sous la LACC, pour un total de 340 documents. Une base de données des résultats comptables et financiers a été créée à partir de ces documents;
quatre jugements rendus concernant la restructuration de l’usine Stadacona de Québec[1];
la réalisation de 12 entrevues semi-dirigées avec les représentants des parties impliquées : gouvernement, partie patronale, partie syndicale, association de retraités;
la réalisation de trois groupes de discussion : 1) spécialistes de l’industrie forestière et ancien dirigeant; 2) acteur syndical; 3) retraités.
Papiers White Birch, une entreprise manufacturière, est entrée dans un processus de restructuration financière[2] encadré par la LACC. Grâce aux documents déposés par le contrôleur financier au cours de ce processus, il a été possible d’obtenir un portrait assez précis des logiques d’acteurs, mais aussi de l’origine et de l’utilisation des liquidités dégagées par l’entreprise. Une comptabilité hebdomadaire de ces liquidités, tenue pour des périodes de quinze semaines en général, mais aussi une comparaison systématique des prévisions faites en début de période avec les résultats réels de l’entreprise, ont constitué les principales sources d’informations financières.
Au moment du placement de Papiers White Birch sous la LACC en 2010, les documents disponibles indiquaient que l’entreprise employait 1 200 salariés et produisait annuellement 1,3 million de tonnes de papier journal et de papier annuaire. Détenant 12 % du marché de ces papiers en Amérique du Nord, Papiers White Birch y était le second producteur en importance. L’entreprise détenait également des intérêts dans la société SP Newsprint, quatrième producteur de papier journal en Amérique du Nord.
De plus, Papiers White Birch possédait au Québec trois usines de pâtes et papiers : Stadacona (Québec), F. F. Soucy (Rivière-du-Loup) et Papier Masson (Gatineau). Au moment de son entrée sous la LACC, Papiers White Birch avait identifié l’usine de Québec comme étant la principale cause de ses difficultés financières et cette usine devait, pour cette raison, faire l’objet d’une rationalisation systématique de ses activités (Hanin etal., 2013).
Le rôle des firmes de placement privé
Le placement d’une entreprise sous la LACC s’explique essentiellement par des motifs financiers. Dans le cas de Papiers White Birch, la papetière a éprouvé des difficultés pour assumer ses obligations financières, et ce, dans un contexte économique difficile[3]. La crise financière de 2008, la récession économique mondiale, ainsi que la chute de la demande pour le papier journal ont été les principales raisons avancées par les propriétaires de Papiers White Birch pour justifier la demande de protection juridique offerte par la LACC. Les pertes financières, qui s’élevaient à 39,3 millions de dollars US en 2007 et à 80,1 millions de dollars US en 2008, compromettaient la capacité de l’entreprise à payer ses créanciers. Le tableau 1 présente une typologie des principaux créanciers de la compagnie en 2010.
Le montant de l’endettement de l’entreprise était largement supérieur à la valeur courante de ses actifs, qui était alors estimée à 508 millions de dollars. De plus, les créances étaient détenues sur la société mère de la compagnie, ainsi que sur l’ensemble des filiales (sociétés portant le nom des usines). Parmi les créanciers de l’entreprise, les firmes de placement privé étaient largement dominantes. Le fonds Black Diamond Capital Management (BDCM), qui était le principal créancier, gérait à lui seul 11 milliards de dollars US d’actifs, selon une philosophie d’investissement « alternative » qui consiste à bénéficier des fluctuations des marchés pour réaliser des gains en capital.
Pour ces firmes et leurs dirigeants, la LACC présente l’avantage de protéger leurs prêts et d’éviter une « véritable » faillite de l’entreprise, laquelle impliquerait la liquidation des actifs et la remise en cause des ententes financières. À cet effet, la LACC implique la participation active des créanciers dans le processus de restructuration, lequel est généralement planifié à l’avance et se déroule en trois temps :
prise de contrôle d’une partie croissante de la dette de l’entreprise pour avoir une minorité de blocage lors de la négociation entre les principaux créanciers;
création d’une nouvelle compagnie susceptible de racheter les actifs de l’ancienne sous certaines conditions;
négociation des conditions du rachat avec les parties prenantes de l’entreprise (employés, syndicats, fournisseurs, clients, municipalités, gouvernements, etc.).
Ce processus juridique confère structurellement une position de force aux créanciers. La LACC, en effet, leur permet d’obtenir une priorité dans le remboursement des créances, en particulier celles qui ont été contractées pour assurer le fonctionnement de l’entreprise. Parce que les taux d’intérêt et les frais de gestion sont très élevés dans cette situation, il s’agit d’un marché très payant pour les dirigeants des firmes de placement privé. De plus, ils sont les premiers invités à présenter une offre d’achat de l’entreprise dès lors qu’un tel scénario se dessine, scénario qui est généralement préféré à la liquidation de ses actifs à titre d’arrangement avec ses créanciers.
Au moment de l’entrée sous la LACC, Papiers White Birch avait négocié une entente de financement avec un consortium de créanciers dirigé par le fonds BDCM, qui gérait une créance de l’entreprise de 157 millions de dollars. Dans son rapport du 10 août 2010, le contrôleur financier écrit qu’il avait été informé que BDCM était le plus important prêteur à ce moment, avec plus de 30 % de la dette. Durant la restructuration, BDCM a consenti un nouveau prêt, dit « prêt intérimaire », destiné à financer les activités de l’entreprise pendant le processus mené sous l’égide de la LACC, une situation qui l’a placé en position de force pour procéder au rachat des actifs de l’entreprise, en 2011.
Les propriétaires de l’entreprise
Le contrôle exercé par les propriétaires sur les liquidités générées par l’entreprise Papiers White Birch durant sa restructuration a été important. Ces derniers ont en effet accaparé une part importante des liquidités tirées des activités commerciales de l’entreprise, à titre de remboursement de frais financiers ou de frais de gestion. Cette pratique de ponction sur les liquidités disponibles, dont les effets peuvent paraître contraires au développement à long terme de l’entreprise, est pourtant typique des stratégies déployées au cours des dernières années par l’élite financière détenant les titres de propriété des entreprises (Morin, 2006).
Or, c’est précisément ce à quoi l’on a assisté au cours de la restructuration de Papiers White Birch, et ce, plus particulièrement vis-à-vis de son usine de Québec (Stadacona), dont les frais de direction représentent une partie importante du total comme illustré dans le graphique 1.
La situation financière de l’entreprise au cours de la restructuration n’est probablement pas étrangère à cette ponction financière exceptionnelle exercée par les propriétaires de Papiers White Birch. Ainsi, Sutton (2011) s’est interrogé sur les bilans financiers négatifs de Papiers White Birch sous la LACC, qui se succédaient malgré les efforts de rationalisation de toutes les parties prenantes. Sur la base d’une analyse comptable des documents publiés, il a souligné que l’ensemble des frais de gestion faramineux imposés par les propriétaires avaient contribué à empêcher l’entreprise d’obtenir un bilan financier positif. Selon lui, les honoraires de la direction constituaient le principal poste de dépenses dans les frais de gestion. Ces honoraires étaient par ailleurs supérieurs aux dépenses totales consacrées aux assurances collectives pendant la période de la restructuration. Les frais professionnels pour la restructuration représentaient plus de la moitié des frais d’intérêt, ce qui illustre l’importance du contrôle des liquidités exercé par les propriétaires.
La structure des principales dépenses dans le coût total d’opération pour les trois usines de Papiers White Birch au Québec est présentée dans le graphique 2.
Les trois principaux postes de dépenses étaient, dans l’ordre : l’électricité, la fibre et les coûts de transport. Les salaires et les pensions (hors coût d’amortissement du déficit) représentaient chacun moins de 10 % des coûts totaux, ce qui apparaît surprenant lorsque l’on sait que ce sont ces deux postes de dépenses qui seront les principaux sujets de négociation pour garantir la vente de l’entreprise à son principal créancier en 2011 (Hanin, 2013).
Ainsi, il est raisonnable de penser que la restructuration de l’entreprise n’a pas tant porté sur l’optimisation de l’appareil productif que sur l’inflexion du modèle d’entreprise. L’analyse de ces dynamiques, concrétisées par des acteurs en situation de contrôle, montre que cette restructuration sous l’égide de la LACC est typique de la financiarisation, puisque les revenus de l’activité industrielle ont servi à financer l’endettement de la compagnie vis-à-vis des créanciers, ainsi qu’à générer des liquidités en frais de gestion pour la haute direction.
De plus, cette financiarisation de l’entreprise par l’endettement a permis aux hauts dirigeants d’imposer de nouvelles conditions de travail et un régime de retraite moins onéreux pour l’entreprise. En effet, dans l’offre finale présentée en juin 2012 dans le cadre de la restructuration, le groupe financier en contrôle de l’entreprise a demandé :
« une réduction des salaires de 10 %, de même qu’une réduction de la paie de vacances de 2,4 % à 2,2 %;
La terminaison des régimes de retraite existants, et le paiement aux employés et aux retraités de leurs droits tels qu’établis en date de la terminaison des régimes;
La création d’un nouveau régime de retraite à prestations déterminées cibles » (paragraphe 103, Cour supérieure du Québec, 2018).
Acceptée quelques mois plus tard par les employés de l’entreprise, cette offre présentée comme définitive par le groupe financier de contrôle n’a été ni négociée, ni discutée, ni débattue. En fait, la LACC a, en quelque sorte, permis l’institution d’un « état d’exception » pour réorganiser l’entreprise à l’abri des régulations publiques et sectorielles, lesquelles ont précisément pour fonction d’établir un (certain) équilibre dans les rapports de force entre les intérêts de l’élite financière et les parties prenantes économiques.
Les firmes d’audit et la LACC : un soutien institutionnel à la financiarisation
Contrairement à d’autres exemples de restructuration financière d’entreprises manufacturières qui ont fait l’objet d’analyses sociologiques au Québec (Duhaimeetal., 2010; L’Italienetal., 2012), le cas ici examiné s’est déployé sur le fond d’un processus juridique. La LACC s’inscrit dans un régime juridique libéral qui privilégie une législation avec un encadrement minimum, basé sur la jurisprudence et la négociation entre les parties en dehors des cadres législatifs habituels (notamment le Code du travail). Plus que tout, la LACC vise d’abord à éviter la faillite des entreprises et favorise, pour cela, un règlement rapide des problèmes de liquidités des entreprises. Cependant, il semble que cette législation reconduit, plus qu’elle ne contrarie, le cadre macroéconomique de la financiarisation, et renforce l’asymétrie entre l’élite financière et les autres parties prenantes.
Les firmes d’audit et la normalisation de l’évaluation financière des entreprises
Le processus juridique de restructuration des entreprises sous la LACC fait intervenir une autre composante de l’élite financière actuelle, soit les firmes d’audit. Faisant partie des organisations spécialisées dans l’évaluation financière (Dobbin et Zorn, 2005; Zornet al. 2004), ces firmes sont plus spécifiquement habilitées à examiner et vérifier les états financiers des entreprises afin d’en assurer l’exactitude. Cette capacité reconnue à procéder à l’audit comptable et financier des entreprises leur a conféré un rôle important dans le processus de financiarisation de l’économie, dans la mesure où elles ont contribué à « normaliser » le mode d’évaluation des actifs et les conventions concernant la gouvernance des entreprises en vigueur dans la communauté financière.
Il faut en effet rappeler qu’à partir de la fin du siècle dernier, les firmes d’audit ont été chargées d’appliquer un nouveau cadre de normes comptables destiné à adapter l’évaluation des entreprises à la globalisation des marchés (Zhang et Andrew, 2014). Ainsi, le centre de gravité des normes comptables s’est progressivement déplacé d’une approche basée sur l’historique des coûts à une conception axée sur la valeur de marché des actifs (fair value) (Smith-Lacroixet al., 2012). En légitimant l’adoption de ces nouveaux standards d’évaluation des états financiers, les firmes d’audit, tout comme les autres organisations spécialisées dans l’évaluation financière, ont relayé au coeur des directions d’entreprises une conception de l’entreprise axée structurellement sur les intérêts des acteurs du système financier (Aglietta et Rebérioux, 2004).
En vertu des capacités d’examen des états financiers qui leur sont reconnues, ces firmes sont appelées à jouer une fonction d’expert-conseil auprès des autorités juridiques qui ont la responsabilité de superviser les restructurations d’entreprises dans un processus tel que celui de la LACC. Ainsi accorde-t-on au représentant de l’une de ces firmes le rôle de contrôleur financier, chargé de donner au juge un état complet de la situation financière de l’entreprise. Il s’agira ainsi d’examiner et de vérifier les chiffres de l’entreprise en difficulté afin de proposer différents scénarios de relance. Informée par les standards de comptabilité et d’audit propres au cadre financiarisé de régulation de l’économie, la conception de l’entreprise qui s’exprime à travers la présentation de ces chiffres est déterminante en ce qu’elle comporte une compréhension de la nature des intérêts en cause dans la restructuration.
Dans le cas étudié, les données présentées plus haut ont montré que les firmes de placement privé et les propriétaires de l’entreprise ont extrait d’importantes liquidités de l’entreprise au cours de la restructuration, ce malgré ses difficultés financières avérées. La documentation produite par le contrôleur financier pour soutenir le processus juridique et l’extraction de ces liquidités semble avoir repris les principaux éléments du discours et des états financiers des propriétaires de Papiers White Birch. D’autres éléments d’information financière, dont certains remettaient en cause la véracité du discours avancé par les propriétaires pour justifier les difficultés financières (Sutton, 2011), semblent avoir été écartés. Il n’est pas question ici de douter de l’impartialité du contrôleur financier; il s’agit, bien plutôt, de souligner que son action a structurellement reproduit des asymétries entre l’élite financière et les autres acteurs.
L’asymétrie entre l’élite financière et les parties prenantes
La restructuration sous la LACC est un processus qui répond généralement à un calendrier serré, déterminé à l’avance par les acteurs juridiques et financiers. Dans le cas de Papiers White Birch, le processus a été principalement contrôlé par les acteurs financiers qu’étaient les propriétaires, les conseillers financiers, les créanciers et les investisseurs. D’une part, cette élite bénéficiait de l’avantage d’avoir accès aux informations financières stratégiques sur lesquelles l’essentiel du processus de restructuration reposait. À l’inverse, cette situation désavantageait les autres parties prenantes, qui ne disposaient ni du même niveau de connaissance des faits ni des stratégies juridiques et financières propres au monde du droit des affaires (Sarra, 2003). Cette asymétrie entre l’élite financière et les parties prenantes quant à l’accès et au traitement des informations comptables et financières rendait ainsi très difficiles la validation et la vérification des chiffres avancés par les propriétaires, ainsi que l’examen de toutes les options de relance possibles.
La restructuration de l’entreprise sous la LACC a eu des impacts importants pour les employés et les retraités de l’usine Stadacona à Québec. À l’issue du processus, les retraités perdent environ 25 % de la prestation prévue avant la restructuration. De plus, les retraités ont dû renoncer à toute poursuite concernant leurs régimes de retraite. Pour les employés, les concessions concernent à la fois le niveau de la rémunération globale et les prestations de retraite prévues par l’ancien régime de retraite. Un nouveau régime de retraite dont le risque est supporté par les participants est mis en place à partir de 2015.
En plus des questions monétaires, la restructuration sous la LACC a provoqué un conflit entre les intérêts des personnes retraitées et les personnes en emploi. Ce conflit a été exacerbé par une incertitude concernant la compétence des différents tribunaux (Tribunal administratif du travail et Cour supérieure du Québec notamment) et les responsabilités reliées à la représentation collective des personnes retraitées et du personnel syndiqué (devoir de juste représentation relié au monopole de représentation et responsabilité fiduciaire). Les différents recours juridiques intentés par les personnes retraitées et les syndicats concernant la restructuration des régimes de retraite ont mis en évidence les incohérences du cadre institutionnel (légal et législatif) concernant la représentation collective des personnes retraitées vis-à-vis des autres parties prenantes, aussi bien les acteurs financiers que les syndicats d’employés.
Malgré l’intervention des instances gouvernementales (provinciales et municipales) pour faciliter l’obtention d’une entente, la LACC place les parties prenantes « non financières » dans une position subordonnée, car elles doivent accepter des compromis conformes aux conditions énoncées dans le cadre de la restructuration financière, sans aucune garantie de pouvoir participer à la détermination des arrangements avec les créanciers dans le cadre de la LACC.
Celle-ci étant axée sur la protection des patrimoines financiers privés et la relance rapide des opérations, ce sont donc d’abord les acteurs financiers qui ont été en mesure d’imposer les conditions de la restructuration de l’entreprise. Le rôle et la nature des projets d’ententes propsés par les firmes de placement privé n’ont pas été expliqués au préalable aux autres parties prenantes. Ces dernières ont été contraintes d’adopter une position défensive tout au long du processus. L’étude du cas a confirmé qu’en pareille situation, elles doivent posséder une connaissance approfondie du processus de restructuration et faire valoir des arguments d’intérêt général dès le départ du processus juridique (Sarra, 2003; Girgis, 2013).
L’institutionnalisation juridique du pouvoir des élites financières dans les restructurations
L’analyse de la restructuration de Papiers White Birch illustre les transformations impulsées par la financiarisation au sein des structures décisionnelles des entreprises. Le « paradigme » de la direction exécutive engagée dans la gestion à long terme de l’entreprise a montré ici ses limites : les propriétaires et créanciers se sont coalisés davantage pour contrôler et extraire des liquidités que pour assurer le développement à long terme de l’entreprise. Même dans les pays anglo-saxons, qui sont souvent présentés comme des modèles de capitalisme concurrentiel, la concentration financière et la capacité de contrôle de la restructuration par les créanciers sont fortes (Kirat, 2012, p. 101).
Cette situation n’est pas remise en cause par la LACC. Au Québec et au Canada, les restructurations menées sous cette loi s’apparentent davantage à des faillites partielles et ordonnées qu’à une restructuration concertée et anticipée comme dans les législations européennes (Beaujolin-Beaulet, 2012; Didry, 2007). On peut qualifier l’esprit du système juridique qui soutient la LACC de purement contractuel dans la mesure où l’entreprise est vue comme un noeud de différents types de contrats (de vente, d’approvisionnement, de financement, de travail, etc.) et non comme une « communauté de pratique » ou comme une capacité industrielle mise en oeuvre par un collectif de production. Dans ce modèle, il s’agit pour les autorités de régulation (tribunaux, gouvernements, organismes de supervision) d’assurer uniquement le respect des droits de chaque partie prenante reconnue comme légitime.
À ce titre, la légitimité du tribunal ne peut être contestée ou limitée par d’autres autorités. Or cette « toute-puissance » se traduit paradoxalement par une très forte neutralité du tribunal et de la législation vis-à-vis de la finalité ou de la raison d’être de la restructuration. Le cas de Papiers White Birch est particulièrement caractéristique de cette neutralité, car le voile juridique de la personne morale est absolu. En fait, l’absence de distinction entre les dispositions de la LACC et les intérêts des créanciers et des propriétaires de l’entreprise a révélé l’un des dispositifs institutionnels par lesquels l’asymétrie entre cette élite financière et les parties prenantes peut être reconduite. Parce qu’elle protège d’abord les acteurs financiers, la LACC peut ainsi être conçue, dans le cas qui nous occupe, comme un « actif intangible » des organisations privées, dans la mesure où elle constitue une institution contribuant à légitimer les pratiques privées d’extraction financière.
Quant à la responsabilité du contrôleur financier, elle est double : il avait non seulement un rôle d’officier de justice au service du tribunal mais également un rôle de préparateur et d’évaluateur des demandes de l’entreprise qui a décidé de se placer sous la LACC. Cette situation a placé le contrôleur dans une situation de conflit de rôles, dès lors que les informations financières de l’entreprise n’ont pas fait l’objet d’une expertise indépendante.
Cette étude de cas a aussi mis en évidence le rôle joué par les acteurs qui encadraient le processus juridique de restructuration. Elle a montré que la responsabilité du juge supervisant le processus « s’efface derrière les parties en présence » (Kirat, 2012, p. 96) alors même que le degré d’information et de connaissance entre les parties est très inégal. La cour n’a pas semblé être en mesure de mener, en amont de l’entente entre les créanciers, une recherche indépendante sur la nature et les effets potentiels de la restructuration sur l’entreprise et ses parties prenantes. La conception pluraliste du droit comme recherche d’un équilibre entre les intérêts privés s’est trouvée mise à mal par l’inégalité très forte dans l’accès aux ressources juridiques (et financières) des différentes catégories d’acteurs.
⁂
La financiarisation conduit à une reconfiguration de l’élite économique selon des logiques propres aux relations financières. Le cas de l’entreprise Papiers White Birch a montré que la nature et l’exercice du contrôle ont changé, puisqu’il a été mis au service d’une conception financiarisée de gestion de l’entreprise, au moment même où cette dernière connaissait des difficultés financières. Ce cas a aussi confirmé que la financiarisation du capitalisme a entraîné un éclatement de l’élite en divers acteurs et intermédiaires financiers, qui font néanmoins système. Cette élite a une capacité renouvelée d’influencer les décisions par le contrôle financier des processus institutionnels et des règles de coordination qui régissent la vie économique, et singulièrement celle des grandes entreprises.
De plus, cette étude de cas a mis en lumière les fonctions qu’assume l’une des institutions juridiques importantes associées au droit des affaires au Québec et au Canada, soit la LACC. L’analyse a identifié une contradiction interne de cet encadrement juridique de type libéral, entre intérêt particulier et intérêt général. Les acteurs et les structures qui concrétisent la LACC ne semblent pas avoir la distance requise vis-à-vis des intérêts financiers en jeu dans les restructurations pour défendre adéquatement l’intérêt général. À défaut d’objectiver cette contradiction, les acteurs responsables de l’encadrement du processus juridique cristallisent l’asymétrie entre la logique financière et la logique industrielle d’organisation de la production.
Ainsi, si l’on privilégie une approche financière en définissant la restructuration comme un problème de liquidités, comme cela a été le cas, il est impératif de mieux prendre en considération les effets de la financiarisation sur les parties prenantes. Si l’on privilégie au contraire une approche industrielle en s’intéressant à la viabilité à long terme de l’activité économique et des emplois, cette analyse a révélé que la LACC devrait inclure la production d’une expertise indépendante sur les causes des difficultés financières, ainsi que sur les scénarios alternatifs de relance. De plus, ces éléments devraient pouvoir être débattus publiquement avec l’ensemble des parties prenantes. En l’absence de renforcement de la législation, il est encore possible que le recours à la LACC permette de dissimuler des stratégies de restructuration au bénéfice d’intérêts particuliers et au détriment de l’intérêt général.
Parties annexes
Notes biographiques
Frédéric Hanin est professeur titulaire au département des relations industrielles de l’Université Laval. Titulaire depuis 2004 d’un doctorat en sciences économiques réalisé en cotutelle France-Québec, il est chercheur régulier au Centre de Recherche sur les Innovations Sociales (CRISES). Dans les années récentes, ses principaux domaines d’expertise sont les réformes des régimes de retraite, les mutations de l’emploi et la financiarisation. Il a publié un manuel académique dans le cadre de l’enseignement de l’économie du travail et des politiques publiques de l’emploi.
François L’Italien est chercheur à l’Institut de recherche en économie contemporaine (IRÉC) et professeur associé au Département de sociologie de l’Université Laval. Ses recherches portent notamment sur les transformations du capitalisme, la théorie sociologique générale ainsi que l’économie politique des ressources naturelles au Québec. Il a publié des articles et rapports de recherche sur la financiarisation de l’économie, la sociologie des organisations et les dynamiques économiques en agriculture et foresterie. Il est membre du collectif Société et co-dirige, avec Frédéric Hanin, la collection Vie économique aux Presses de l’Université Laval.
Notes
-
[1]
Regroupement des employés retraités de la White-Birch Stadacona c. Commission des relations du travail, 2014 QCCS 992 ; Regroupement des employés retraités de la White Birch Stadacona c. Unifor, 2016 QCCS 1120; Regroupement des employés retraités de la White Birch Stadacona c. Unifor, 2016 QCCS 5386; Bédard c. Unifor, 2018 QCCS 2320.
-
[2]
Pour en savoir davantage sur le déroulement de la restructuration de Papiers White Birch, ainsi que sur l’historique de l’usine de pâtes et papiers Stadacona de Québec, qui a été au coeur du processus, voir Haninet al., 2013.
-
[3]
La chute du prix de la tonne de papier journal à partir de l’année 2008, ainsi que la baisse de la demande sont les principales explications apportées pour expliquer l’entrée de l’entreprise sous la LACC. Le contrôleur financier apporte une illustration de la baisse de la demande de papier entre 2000 et 2013 dans son rapport du 25 novembre 2011. Pendant cette période, la consommation de papier journal en Amérique du Nord est passée de 13 millions de tonnes à 5 millions de tonnes. Pour l’année 2008-2009, la baisse de la demande est de 25 %. Pendant toute cette période, il y a une surcapacité de production constante de 3 millions de tonnes. Le prix du papier journal a connu une forte chute (40 %) entre l’année 2008 et l’année 2009, une chute comparable à celle de certains actifs boursiers. En février 2010, les prix sont revenus à leur niveau d’avant la crise. Pour les firmes de placement privé, la forte variation des prix est une source de revenus lorsqu’on parvient à acheter des entreprises en dessous de leur valeur historique.
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