Comptes rendus

Jean Lamarre, Le mouvement étudiant québécois des années 1960 et ses relations avec le mouvement international, Québec, Éditions du Septentrion, 2017, 178 p.[Notice]

  • Daniel Poitras

…plus d’informations

Cet ouvrage de Jean Lamarre est une collection d’articles (sauf un texte en particulier) écrits sur le mouvement étudiant québécois depuis une dizaine d’années. L’unité thématique ne fait pas de doute : il s’agit des relations internationales entre les associations étudiantes nationales du Canada, de la France et des États-Unis. Le livre reprend le thème classique de l’ouverture à l’international des Québécoise.s au cours des années 1960. L’Union générale des étudiants du Québec (UGEQ) est le grand acteur collectif de l’ouvrage. L’auteur y répertorie les initiatives de l’organisation pour nouer des liens avec des organisations en dehors du Québec. Notons que Jean Lamarre semble s’inscrire en introduction dans le courant de ce qu’il appelle l’histoire connectée ou transnationale, propice pour remettre en jeu les « compartimentages des histoires nationales » (p. 20). Mais qu’en est-il ? Il apparaît d’emblée que ce n’est pas au niveau du cadre temporel que cette remise en jeu est effectuée. Dans le livre, les années 1960 sont plus entières et vibrantes – on dirait presque autonomes – que jamais. Les quelques sauts dans les décennies précédentes effectués par l’historien sont sans conséquence sur cette autonomie. En fait, les sixties sont ici plus qu’un cadre temporel : elles donnent au livre son rythme, ses thèmes, son horizon et aussi ses mythes. On pourrait dire que l’ouvrage est une consécration tardive de la Révolution tranquille insérée dans la sauce de l’activisme international des sixties. Il n’est donc pas surprenant de voir l’auteur faire débuter l’intérêt pour la chose internationale au Québec au début des années 1960. On apprend ainsi que les étudiant.e.s des années 1940 et 1950 étaient plus ou moins refermés sur eux-mêmes, insouciants et corporatistes. Presque magiquement, les années 1960 auraient transformé le mouvement étudiant en fer de lance du progrès de la modernité… On peut lire en filigrane de cet enchaînement l’histoire d’un autre acteur collectif, l’État québécois, qui informe puissamment le traitement des étudiant.e.s par l’auteur. L’UGEQ n’est pas, dans cette perspective, l’extension des associations étudiantes qui lui ont donné forme; elle n’est pas plus, hormis pour son appropriation de la Charte de Grenoble (1946) française, resituée dans un temps long et dans une mémoire militante ample. L’y insérer aurait permis à l’auteur de relativiser la coupure de 1960 en plongeant dans la préhistoire du mouvement étudiant. L’UGEQ sort plutôt directement des années soixante comme Athéna de la cuisse de Zeus. Forte de ce baptême, elle opère dès lors sur le même mode que celui de l’État québécois, qu’il s’agisse de l’éloignement des organisations fédérales ou de la recherche un peu piteuse d’une reconnaissance internationale. L’utilisation sans véritable réflexivité de la puissante trame des sixties laisse rarement un chercheur indemne : elle tend à infuser en lui les valeurs et l’horizon du groupe qu’il étudie. C’est encore plus le cas lorsqu’il s’agit d’un mouvement social. Lamarre est ainsi amené à épouser son objet et à le justifier : la responsabilité de l’échec des relations avec les étudiant.e.s canadiens anglais incombe ainsi largement à ceux-ci : leur corporatisme, leur bilinguisme tronqué, leur méfiance – on dirait presque leurs traits anglo-saxons – sont en cause. La tiédeur et l’indifférence des étudiant.e.s français s’expliquent par leur paternalisme, alors que la méfiance des étudiant.e.s américains provient de leur vision biaisée du radicalisme au Québec. Les étudiant.e.s québécois, eux, font figure de preux dans cette histoire : ils sont les porteurs, après tout, du syndicalisme étudiant qu’ils ont puisé en France. Si Lamarre analyse bien cette appropriation, qu’il a contribué à éclairer au fil des ans, il laisse en plan d’autres phénomènes qui y sont rattachés, notamment …