Résumés
Résumé
Cet article propose une description et une analyse critique du processus de recherche participative mis en oeuvre au sein du projet Habitats, milieux de vie et participation sociale des aînés. L’analyse critique met l’accent sur des conditions favorables à la réussite de ce processus, sur des difficultés rencontrées au cours de la mise en oeuvre du projet Habitats et sur des solutions pour les surmonter. Le projet Habitats a suscité des retombées locales et a inspiré d’autres projets de recherche qui permettront d’approfondir des réalités liées à l’habitat, aux milieux de vie et à la participation sociale des aînés.
Mots-clés :
- recherche participative,
- analyse critique,
- habitats,
- milieux de vie,
- participation sociale,
- aînés
Abstract
This article offers a description and critical analysis of the participatory research process applied in the project Habitats, milieux de vie et participation sociale des aînés (Habitats, living environments and social participation of seniors). The analysis focuses on the conditions that favor the success of this process as well as on the difficulties encountered while realizing the project, and the solutions for overcoming them. The Habitats project has generated local spin-offs and inspired other research projects that will deepen the realities of dwellings, living environments and social participation of seniors.
Keywords:
- participatory research,
- critical analysis,
- habitats,
- living environments,
- social participation,
- seniors
Corps de l’article
L’habitat et le milieu de vie constituent des lieux appropriés pour observer et pour améliorer les conditions de vie des aînés (Cardinal, Langlois, Gagné et Tourigny, 2008). Comme de nombreux aînés désirent demeurer à domicile et dans leur milieu le plus longtemps possible, l’habitat et le milieu de vie représentent, pour eux et leurs proches, une préoccupation majeure (Ministère de la Famille et des Aînés [MFA] et Ministère de la Santé et des Services sociaux [MSSS], 2012). La question de l’accès des aînés à un logement à prix abordable préoccupe également plusieurs acteurs du milieu de la santé et des services sociaux, du milieu municipal et du milieu de la défense des droits des aînés. De plus, la Direction de la santé publique de la Capitale-Nationale et l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) ont adopté un cadre conceptuel pour un vieillissement en santé qui guide leurs actions pour les années à venir (Cardinalet al., 2008). Ce modèle reconnaît, entre autres, l’importance de créer des milieux de vie sains et sécuritaires, d’améliorer les conditions de vie et de favoriser l’engagement et la participation sociale des aînés.
Le vieillissement de la population est manifeste dans plusieurs régions au Québec, notamment dans la région de la Capitale-Nationale (Québec) où il est projeté que la proportion de personnes âgées de 65 ans et plus atteindra 28 % en 2036 (Payeur et AzeredoTeixeira, 2014), alors qu’elle était de 15 % en 2006 et 18 % en 2011 (Statistique Canada, 2007, 2012). Il est à souligner que, déjà en 2011, des quartiers de la ville de Québec devaient composer avec une proportion d’aînés de plus de 20 % (Statistique Canada, 2012). Le nombre de personnes âgées de 65 ans et plus étant en augmentation, des enjeux de santé publique, d’économie et de logement sont présents dans la région.
Ainsi, de 2013 à 2016, plusieurs partenaires de la région de la Capitale-Nationale (personnes aînées, intervenants des secteurs public et communautaire, chercheurs, décideurs, etc.) ont uni leurs efforts dans la mise en oeuvre de la recherche participative Habitats, milieux de vie et participation sociale des aînés (Habitats) (Sévigny, Tourigny, Fortier, Frappier et Carmichael, 2016). Le présent article propose une description et une analyse critique du processus de recherche participative mis en oeuvre au sein de ce projet. Plus précisément, une présentation de ses origines et de ses objectifs sera suivie d’une description et d’une analyse critique de la démarche participative réalisée. Cette analyse critique s’appuiera sur les conditions favorisant la réussite d’une recherche participative identifiées lors d’une recension des écrits menée sur la question en 2015 (Carbonneau, Castonguay, Sévigny et Fortier, 2016)[1]. Seront aussi abordés des défis rencontrés dans le projet Habitats et des solutions mises en oeuvre pour les surmonter.
Projet Habitats : ses origines et ses objectifs
En 2008, dans le cadre d’une entente spécifique visant l’adaptation des infrastructures et des services régionaux mis en place pour améliorer les conditions de vie des aînés dans la région de la Capitale-Nationale, des partenaires (Conférence régionale des élus [CRÉ] de la Capitale-Nationale et Direction de la santé publique) ont soutenu la mise en oeuvre de trois projets Collectivité amie des aînés (CADA), développés en cohérence avec le concept Ville amie des aînés (VADA) de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) (Cardinal et Malboeuf, 2013). Ces projets ont montré que l’habitat et le milieu de vie des aînés constituent des préoccupations majeures pour les divers acteurs sociaux, notamment les aînés, leurs proches aidants, les intervenants du réseau de la santé et des services sociaux ou communautaires, et les élus municipaux.
Le projet Habitats s’inscrit dans la foulée de ces trois projets CADA. Il visait deux objectifs. Le premier était de documenter la situation de l’habitat et des milieux de vie des aînés de la région de la Capitale-Nationale. Atteindre cet objectif s’avérait un défi de taille en raison de la variété et de l’ampleur des sources de données, des indicateurs à documenter et des thèmes à exploiter. Dès le début de la démarche, des choix devaient être effectués quant aux dimensions à explorer. Le second objectif était de mobiliser les acteurs sociaux concernés par cette question afin de favoriser le soutien à domicile des aînés et leur participation dans leur milieu. Plusieurs partenaires de la région[2] – provenant du milieu de la recherche, du milieu de la santé et des services sociaux, des représentants d’aînés et de la concertation régionale – ont alors pris part à cette démarche. Ce deuxième objectif représentait également un défi, car la mobilisation d’autant de personnes provenant de milieux aussi variés ne pouvait se faire dans un court laps de temps et devait faire appel à plusieurs stratégies, par exemple la mise en place d’outils de communication, de participation et d’échange. Pour atteindre ces objectifs, une approche participative a été privilégiée.
Adoption d’une approche participative : une démarche en quatre étapes
Plus qu’un ensemble de méthodes de recherche, la recherche participative peut se définir comme [traduction]
une approche qui met l’accent sur les relations entre les partenaires des milieux de recherche et de pratiques, les principes de co-apprentissage, de bénéfices mutuels et d’engagement à long terme et qui intègre les théories, la participation et les pratiques dans le processus de recherche .
Wallerstein et Duran, 2006 : 312
Sans qu’elle ait été dès le départ un processus décisionnel explicite, une approche participative a été adoptée, car le projet est né d’une volonté de partenaires du milieu qui avaient entamé une réflexion sur l’habitat lors de la réalisation des projets CADA susmentionnés. Dès leurs premières rencontres, ils ont ressenti la nécessité de mieux documenter la question des milieux de vie dans la région de la Capitale-Nationale. Désirant produire un portrait qui les aiderait à décider des actions à poser, ils ont sollicité les chercheurs de l’Institut sur le vieillissement et la participation sociale des aînés de l’Université Laval (IVPSA). Les partenaires et deux chercheurs ont alors fait une demande de subvention au programme Soutien aux initiatives visant le respect des aînés (SIRA) du MFA. L’obtention de la subvention (SIRA 2013 − 2015) a rendu possible la réalisation de la démarche de recherche participative.
Les premières rencontres entre les partenaires, incluant l’équipe de recherche, ont permis d’identifier les diverses préoccupations et de miser sur l’expertise de chacun. À cet égard, des partenaires – qui possédaient une expertise sur l’habitat, en concertation ou comme chercheurs – ont formé un comité de pilotage qui avait comme fonction de gérer l’ensemble de la démarche. De même, en fonction des décisions à prendre et des activités à réaliser au cours du projet, trois autres comités ont été formés : un comité de suivi, un comité communication et un comité forum (pour le rôle et la composition de ces comités, voir Définition des rôles et partage du pouvoir).
L’approche participative offrait l’avantage de mettre à profit les savoirs diversifiés et complémentaires des membres de ces divers comités. Par exemple, certains possédaient des compétences en matière d’habitation, d’autres connaissaient très bien le milieu étudié ou les filières de services. Cette diversité de connaissances permettait d’aller au-delà d’une analyse de données quantitatives et d’assurer un ancrage dans la réalité du terrain. Il est apparu important de réunir ces acteurs du milieu de la pratique et de la recherche et de créer ainsi des conditions propices à l’atteinte des objectifs poursuivis (voir Conditions pour favoriser la recherche participative). La volonté de faire un portrait de la situation émanant directement du milieu de la pratique, l’utilisation d’une approche participative s’est imposée : les partenaires ont poursuivi leur implication dans le processus et les chercheurs ont adapté leur façon de faire, tel que décrit plus loin.
Il va de soi que la participation est au coeur de la recherche participative. Or, celle-ci peut se décliner en diverses formes selon le type de recherche participative retenu : contractuelle, consultative, collaborative et collégiale (Barreteau, Bots et Daniell, 2010 : 5; Biggs, 1989 : 4; Probst, Hagmann, Fernandez et Ashby, 2003 : 6). La recherche contractuelle émane d’une demande du milieu vers un chercheur qui assume ensuite la direction du processus de recherche. Dans la recherche consultative, il y a un échange plus régulier d’informations entre les partenaires, bien que le contrôle demeure principalement assuré par les chercheurs. La recherche collaborative implique un partage du pouvoir entre les divers acteurs qui sont alors sur un pied d’égalité. Les liens sont accentués et se concrétisent à travers un échange de connaissances, différentes contributions et un partage de la prise de décisions. Pour sa part, la recherche collégiale se distingue de la recherche collaborative en ce sens qu’elle implique en plus un travail d’équipe continu entre les divers partenaires, une égalité sur les plans de la propriété intellectuelle et des responsabilités, ainsi que la recherche d’un consensus dans la prise de décisions. On voit donc que le contrôle du processus de recherche dans les approches participatives évolue selon un continuum, passant d’un contrôle total par le chercheur pour la recherche consultative, à un contrôle partagé pour la recherche collégiale.
Peu importe le type de recherche participative préconisé, l’implication de chacun des partenaires est appelée à varier (ex. : nature, intensité) au cours du processus de collaboration. Ce qui importe est de choisir la forme de recherche participative qui convient le mieux à l’atteinte des objectifs visés ainsi qu’aux disponibilités, aux capacités, aux intérêts et aux aptitudes des acteurs (Salmon, Browne et Pederson, 2010). Il est également essentiel de choisir et de partager avec les partenaires, en toute transparence, le modèle envisagé (Tanet al., 2014).
Dans le cadre du projet Habitats, deux types de recherche participative ont cohabité, soit les types collaboratifs et consultatifs. Fidèles à l’approche collaborative, les partenaires et les chercheurs ont décidé ensemble des objectifs poursuivis, des dimensions à l’étude, des techniques de recherche utilisées, des étapes de la démarche, ainsi que des activités de transfert des connaissances. Par contre, la participation a pris davantage une forme consultative, lorsque l’équipe de recherche a dû prendre des décisions en comité restreint (chercheure principale et professionnels de recherche), tout en tenant compte des avis du comité de pilotage (représentants des partenaires de la recherche et de l’équipe de recherche). Ce choix a été motivé par la volonté des partenaires membres du comité de pilotage d’éviter d’être sur-sollicités.
L’ensemble de la démarche s’est modulé selon quatre étapes : collecte de données, consultation d’informateurs clés[3], rencontres sectorielles, forum régional (Figure 1).
Dans un premier temps, une collecte de données a été réalisée à l'aide de diverses sources de données (ex. : ministère de la Santé et des Services sociaux, Institut de la statistique du Québec [ISQ], INSPQ, Statistique Canada, centres de santé et de services sociaux (CSSS) de la région, Agence de la santé et des services sociaux de la Capitale-Nationale [ASSS-CN], etc.). Cette étape de collecte de données documentaires et de consultation de bases de données variées a permis de recueillir une quantité importante d’informations. Par exemple, les sources de données suivantes ont été utilisées et analysées de manière à dresser un premier portrait de la population et de l’habitation pour la région de la Capitale-Nationale : les données du recensement de 2011 de Statistique Canada; les projections de l’ISQ sur l’évolution de la population; différents répertoires de services de santé et de services sociaux (ex. : Portail du réseau de la santé et des services sociaux de la Capitale-Nationale); des répertoires ou des guides (ex. : Répertoire des services, groupes et organismes de Portneuf) rassemblant des lieux de participation sociale, des offres de transport collectif, des offres de services alimentaires, commerciaux et bancaires; des données de la Société d’habitation du Québec (SHQ) et de la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL).
L’identification des objectifs et des dimensions à l’étude a été réalisée par le comité de pilotage. Ses membres ont formulé des questions de divers ordres, souhaitant documenter la situation des milieux de vie dans leur ensemble. Par exemple, ils pouvaient aussi bien se questionner sur le nombre d’aînés habitant leur région que sur les prévisions en matière de vieillissement de la population, sur les divers types de résidences pour aînés que sur leur qualité, ou encore sur les services disponibles dans le milieu pour favoriser le maintien à domicile des aînés. L’équipe de recherche a alors proposé de regrouper les questions formulées sous trois grandes catégories : la population, l’habitation et l’environnement de services. Le comité a accepté cette proposition tout en mettant l’accent sur la notion d’accès à une habitation, à un service ou à un espace de participation. Les indicateurs retenus pour décrire cet accès s’inspirent des travaux de Penchansky et Thomas (1981) : disponibilité, accessibilité financière, acceptabilité et accessibilité géographique.
Pour le thème « habitation », la disponibilité a été présentée sous forme de taux d’inoccupation des logements. L’indicateur mesurant l’accessibilité financière était le taux d’effort des ménages et le loyer médian. L’acceptabilité des habitations était montrée à travers les données sur les besoins de réparation ou les besoins impérieux des ménages de la région. Enfin, des cartes et tableaux illustrant la présence de différents services présentaient l’accessibilité géographique. Il pouvait s’agir, entre autres, de la présence d’espaces verts, de parcs, d’équipements récréatifs, d’espaces de participation sociale, communautaires et de loisirs, de transport collectif, de services de santé et de services sociaux, de commerces alimentaires ou bancaires, de centres commerciaux.
De plus, pour s’assurer d’une meilleure connaissance appliquée aux diversités régionales, la région de la Capitale-Nationale a été partagée en 15 territoires : les six arrondissements de la ville de Québec (Beauport, Charlesbourg, La Cité–Limoilou, La Haute-Saint-Charles, Les Rivières, Sainte-Foy–Sillery–Cap-Rouge); les six MRC (Charlevoix, Charlevoix-Est, La Côte-de-Beaupré, La Jacques-Cartier, L’Île-d’Orléans, Portneuf); la ville de L’Ancienne-Lorette et la ville de Saint-Augustin-de-Desmaures; Wendake (Nation huronne-wendat). Un portrait présentant les informations recueillies pour chacun de ces territoires a été rédigé. Dès le départ, ce document a été conçu de façon à ce qu’il puisse transmettre clairement les informations recueillies et servir d’outil de discussion et d’animation pour les personnes ou les groupes actifs dans le domaine de l’habitat des aînés et désireux d’en améliorer les conditions.
Dans un deuxième temps, le document a été présenté à des informateurs clés de chacun des 15 territoires étudiés (N = 68). Des rencontres ont permis de regrouper divers types de participants, tels des représentants d’organismes communautaires de soutien à domicile locaux, des organisateurs communautaires, ou encore des responsables des loisirs municipaux. L’objectif de ces rencontres était de mieux connaître la réalité des milieux au regard de l’objet d’étude (c.-à-d. la situation de l’habitat et des milieux de vie et de participation sociale des aînés de la région de la Capitale-Nationale), ainsi que de valider les données recueillies et de bonifier leur présentation. De plus, des membres du comité de pilotage (incluant les membres de l’équipe de recherche) ont visité des lieux de participation sociale, des résidences pour aînés, des organismes à but non lucratif (OBNL) d’habitation, etc. Des rencontres informelles ont également été organisées avec des responsables d’organismes de soutien à domicile et des responsables de résidences pour aînés pour permettre aux membres du comité de pilotage de mieux saisir les réalités régionales et les disparités locales liées à l’habitat.
Dans un troisième temps, une nouvelle version des portraits, tenant compte des commentaires reçus de la part des informateurs clés lors de l’étape précédente, a été rédigée et présentée à nouveau dans chacun des 15 territoires géographiques retenus. Ces rencontres sectorielles, par secteurs géographiques ou territoires, avaient pour objectifs de présenter une synthèse du portrait de la zone géographique et d’identifier des enjeux, des défis et des priorités spécifiques à chaque territoire en matière d’habitat, de milieu de vie et de participation sociale. Elles visaient aussi à mobiliser les acteurs du milieu et à les inviter à un forum régional portant sur l’habitat des aînés. Ces rencontres ont regroupé entre 15 à 30 participants selon les territoires. Les participants provenaient de divers milieux : organisateurs communautaires du CIUSSS de la Capitale-Nationale, élus municipaux, responsables de l’aménagement du territoire, acteurs du milieu de l’habitation (Office municipal d’habitation, responsables d’OBNL, de résidences privées), membres du personnel des MRC et des CLD, responsables des loisirs, représentants de tables de concertation des aînés et responsables d’organismes clés en soutien à domicile. Au total, 223 personnes ont été rencontrées.
La démarche de construction des portraits (collecte de données, consultation d’informateurs clés et rencontres sectorielles) et d’analyse des données s’est terminée par la tenue d’un forum régional au mois d’octobre 2014, ayant comme objectifs de diffuser et de transmettre les résultats des travaux menés dans le cadre du projet Habitats, d’identifier des préoccupations communes à l’ensemble des partenaires et des territoires, et de cibler des pistes d’action liées à l’habitat, aux milieux de vie et à la participation sociale des aînés (ex. : mieux assurer la sécurité des personnes aînées et lutter contre la maltraitance des femmes qui vivent seules; assouplir les critères concernant la création de maisons intergénérationnelles ou inclusives pour des personnes ayant besoin de soutien ou adopter des politiques familiales qui tiennent compte de la réalité des aînés). De plus, le forum visait à mettre en place des conditions propices aux collaborations. Le forum a regroupé 340 participants – aînés, intervenants, chercheurs, étudiants, élus municipaux, etc. – provenant de l’ensemble des secteurs géographiques de la région de la Capitale-Nationale.
En somme, cette démarche itérative a donné lieu à la production de 15 documents traçant un état de situation de chacun des secteurs et d’un document synthèse présentant un portrait régional[4]. Elle a permis d’atteindre le double objectif de développement des connaissances et de mobilisation des acteurs du milieu, et pourrait être transférable à d’autres thèmes d’étude ou d’intervention. D’ailleurs, afin de favoriser cette transférabilité, l’analyse de la démarche réalisée et l’évaluation finale du projet Habitats ont permis d’identifier des conditions de réussite d’une recherche participative et des moyens d’en maximiser les retombées, présentés ci-après.
Conditions pour favoriser la recherche participative
De manière à optimaliser la réussite d’une recherche participative et ses retombées, des conditions, identifiées dans les écrits scientifiques, doivent être prises en compte tant au plan relationnel que structurel (Carbonneauet al., 2016). Sur le plan relationnel, il importe que les savoirs de chacun (chercheurs, décideurs et utilisateurs) soient reconnus et mis à profit dans le processus de recherche (Blair et Minkler, 2009). Un partage équitable du pouvoir au sein de l’équipe est aussi un élément déterminant (Barreteauet al., 2010; Goins, Garroutte, Fox,DeeGeiger et Manson, 2011; Northway, 2010; VanDerRiet et Boettiger, 2009). De plus, un respect mutuel implique une transparence dans les intentions et les attentes de chacun au regard des retombées de la participation dans le projet (Mantoura et Potvin, 2013). Sur le plan structurel, les conditions à considérer incluent le processus de définition des rôles des divers acteurs concernés, les modes de communication et de circulation de l’information, ainsi que les mécanismes d’évaluation du partenariat. Ces conditions étaient-elles réunies dans le projet Habitats? Pour en juger, ces conditions seront successivement reprises et illustrées par des exemples tirés du projet Habitats.
Reconnaissance et mise à profit des savoirs respectifs
Le succès ou, du moins, le bon déroulement d’une recherche participative est grandement associé à la satisfaction de chacun des partenaires impliqués dans ce processus. Dans une recherche participative, les divers partenaires doivent non seulement se sentir écoutés et respectés, mais pouvoir influencer le cours du projet (Changet al., 2013). Les partenaires du projet Habitats – provenant de divers horizons de la pratique et de la recherche – ont pu mettre au service de la réussite de l’étude des expertises diverses et complémentaires dans les champs de l’habitation, du développement local, de la participation sociale des aînés, des méthodes de recherche, etc. L’animation des rencontres des différents comités a été assurée par un chercheur ou encore par un membre d’une organisation partenaire.
Lors de ces rencontres, l’importance de l’attitude et des pratiques des membres de l’équipe de recherche a été soulignée à quelques reprises par les partenaires du milieu, les membres du comité de pilotage et les participants aux rencontres sectorielles, notamment afin de faciliter la participation de tous les membres aux discussions. Ainsi, à la suite de difficultés de compréhension entre l’équipe de recherche et les autres partenaires, l’utilisation d’un langage hermétique ou trop technique lors des rencontres a été proscrite rapidement au cours de la démarche. D’ailleurs, le respect et l’ouverture d’esprit des membres du comité de pilotage se sont avérés fondamentaux. Par exemple, le devis de recherche initial a été modifié pour y inclure des visites des secteurs géographiques.
Aussi, la disponibilité de l’équipe de recherche pour se déplacer dans les municipalités les plus éloignées a permis d’enrichir la relation entre les membres. Cela dit, la réunion de personnes de divers horizons (c.-à-d. milieu de la recherche, milieu de la santé et des services sociaux, représentants d’aînés et de la concertation régionale) dans le but de construire une démarche commune a demandé un assouplissement des principes et visions de tous les participants. Entre autres, pour certains partenaires plus families avec les méthodes quantitatives, l’utilisation de méthodes de recherche qualitative a demandé une justification et des explications.
Un dialogue ouvert et une confiance réciproque ont également été essentiels lors des rencontres des comités. La confiance dans ce type de démarche se construit à travers le temps et les nombreux échanges formels (ex. : rencontres de comités planifiées) et informels (ex. : discussions suivant les rencontres avec les personnes qui n’avaient pas pu y participer) entre les personnes impliquées. Cette confiance va au-delà de la reconnaissance de l’expertise des personnes en présence. Il s’agit d’une relation basée sur l’écoute et le respect des uns et des autres. Pour construire et maintenir ce respect mutuel, il importe de demeurer vigilant quant aux demandes de changements au cours de la recherche et au regard d’éventuelles insatisfactions liées aux prises de décisions. De plus, cette confiance s’acquiert dans le respect des échéanciers et l’accomplissement des tâches définies en comité (ex. : organisation et réalisation des rencontres sectorielles ou du forum de fin de projet).
Par ailleurs, la confiance implique aussi de reconnaître et d’accepter les limites de l’expertise collective, quitte à devoir recourir à une expertise externe pour répondre aux besoins du projet. Une telle situation s’est produite dans le projet Habitats. Pour illustrer les données des portraits des secteurs géographiques, l’équipe de recherche a dû faire appel à des géographes et à des cartographes. Cette décision a été prise suivant un consensus des membres du comité de pilotage du projet. Un suivi des échanges entre l’équipe de recherche, les géographes et les cartographes était transmis aux partenaires et toute décision prise devait faire l’objet de leur accord.
Définition des rôles et partage du pouvoir
Une définition claire du rôle attendu de chacun au fur et à mesure de la réalisation du projet de recherche et un partage équitable du pouvoir sont cruciaux pour éviter les déceptions et assurer un fonctionnement harmonieux. D’abord, opter pour une recherche participative implique, de part et d’autre, d’accepter une redéfinition des rôles du chercheur et des partenaires par rapport à ceux qui leur sont traditionnellement assignés (Doyle et Timonen, 2010). Toutefois, cette reconfiguration des rôles représente un défi, car ceux traditionnellement assumés par les partenaires et le chercheur peuvent être bien ancrés. Par exemple, on peut juger a priori qu’il revient au chercheur d’animer et de diriger les rencontres de travail. Pourtant, les partenaires pourraient être encouragés et soutenus de manière à ce qu’ils puissent y exercer un plus grand leadership.
Un partage équitable du pouvoir au sein de l’équipe est en effet déterminant pour le succès d’une telle collaboration (Barreteauet al., 2010; Goinset al., 2011; Northway, 2010; VanDerRiet et Boettiger, 2009). Ainsi, la recherche participative peut devenir une réelle voie d’empowerment (Blair et Minkler, 2009). Cela dit, les différences de pouvoir ne doivent pas être considérées comme une barrière immuable à la participation, mais plutôt comme une occasion de prendre conscience des structures de pouvoir existantes, de mieux les comprendre, d’en discuter, et de les modifier. La définition des rôles de chacun et le partage du pouvoir ne sont pas statiques. Ils sont appelés à évoluer suivant les stades de la recherche (Barreteauet al., 2010; Stoecker, 1999; VanDerRiet et Boettiger, 2009; Wallerstein et Duran, 2006). L’implication des milieux de pratiques peut parfois se limiter à la consultation, alors que dans d’autres circonstances, ils sont les porteurs du projet (Doyle et Timonen, 2010). Aussi, plusieurs rôles peuvent être assumés simultanément.
Dans le projet Habitats, un partage des tâches entre les partenaires et les membres de l’équipe de recherche a été discuté et encouragé dès les débuts de la démarche. Eu égard aux décisions devant être prises au cours de celle-ci, quatre comités se sont formés : un comité de pilotage, un comité de suivi, un comité communication et un comité forum (Figure 2).
Dès le début, un comité de pilotage a été mis sur pied. Il était formé de 14 personnes, soit un représentant de chacun des organismes partenaires et des membres de l’équipe de recherche (chercheurs et professionnels de recherche). Ce comité a défini les questions auxquelles la recherche devait répondre : où habitent les aînés de la Capitale-Nationale? Combien sont-ils et combien seront-ils dans un avenir rapproché? Quel est leur environnement de services? Il avait le mandat de superviser la mise en oeuvre et la conduite du projet. Les rencontres du comité servaient à orienter le projet et à débattre des méthodes à employer pour atteindre les objectifs fixés (ex. : réaliser des rencontres sectorielles au lieu d’un sondage). Le cas échéant, le comité devait valider les choix stratégiques en analysant les options proposées. Ce mandat a été rédigé et négocié avec tous les membres dès les premières rencontres.
Le rôle des membres du comité de pilotage a été défini et confirmé par écrit dès le début du processus de recherche. Les membres du comité ont été considérés comme des experts qui co-construisent les étapes du projet et participent à sa bonne marche et à l’atteinte de ses objectifs. Il importait de reconnaître leurs savoirs, leurs compétences et leur expérience et de leur donner pleinement la place qui leur revenait (Blair et Minkler, 2009). De plus, les membres du comité agissaient à titre de vérificateurs des questions budgétaires, de l’atteinte des objectifs et du respect des échéanciers. L’équipe de recherche faisant partie du comité de pilotage, son rôle a lui aussi été précisé. Elle assumait l’animation des rencontres du comité de pilotage et proposait à ce comité les éléments théoriques et méthodologiques devant appuyer la démarche. De plus, elle était responsable de mener la collecte des données statistiques et qualitatives et de proposer aux membres du comité de pilotage une première lecture des résultats obtenus et de leur analyse. Considérant que la problématique du projet Habitats est vaste et que les données sur le sujet sont nombreuses, il était inévitable de faire des choix et de discriminer les données. Ces choix pouvaient être suggérés par l’équipe de recherche au comité de pilotage, toujours en fournissant les justifications et explications nécessaires. Par exemple, la cartographie des parcs et espaces verts a été réalisée à partir des données du ministère des Affaires municipales et de l’Occupation du territoire (MAMOT) au lieu des données des différentes municipalités en raison des différences de dénomination, ce que les membres du comité ont estimé être une bonne décision.
Dans la première année de la mise en oeuvre du projet, la prise de décisions devenant parfois ardue en raison du grand nombre de membres du comité de pilotage (N = 16), la chercheure principale a proposé la mise sur pied d’un comité de suivi. Ce comité avait un rôle de soutien exécutif pour l’équipe de recherche et assurait un suivi plus régulier de la réalisation du projet. Des informations détaillées sur les plans scientifique, méthodologique, financier et logistique ont été communiquées et discutées lors de ses rencontres. Au départ, ce comité se voulait plus restreint. Mais pour assurer une meilleure représentativité, il a finalement été formé de neuf membres provenant de différents lieux géographiques (des MRC de l’est et de l’ouest de la région) et de différents secteurs d’activités (santé et services sociaux, développement régional et CRÉ de la Capitale-Nationale).
Aussi, un comité de travail sur le forum et un second comité portant sur les communications ont été créés. Le comité sur le forum avait le mandat de préparer l’événement régional à la fin du projet. Il était composé de cinq personnes : la chercheure principale, une professionnelle de recherche, un représentant de l’ASSS-CN, une représentante de la CRÉ de la Capitale-Nationale et une bénévole retraitée ayant participé à la démarche CADA susmentionnée. Les membres du comité ont pu proposer au comité de pilotage des objectifs pour le forum et un plan d’action logistique permettant l’atteinte des objectifs. Le comité communication – composé de trois personnes (une représentante et une responsable des communications de la CRÉ de la Capitale-Nationale et une professionnelle de recherche) – était responsable de l’élaboration et de la mise en oeuvre d’un plan de communication pour la tenue du forum.
En cours de processus, le mandat des comités, ainsi que les rôles et les attentes des partenaires ont dû être précisés. Par exemple, le comité de pilotage a eu à réorienter ou à changer des activités prévues afin de les adapter aux besoins et aux objectifs initiaux de l’étude. Notamment, à la suite de la production des documents présentant un portrait par territoire géographique, des membres du comité de pilotage ont suggéré de présenter ces portraits dans leur région respective pour avoir l’opinion des acteurs intéressés par le sujet. C’est ainsi que la réalisation de rencontres avec des informateurs clés a été initiée de manière à valider et à bonifier les données des portraits (voir Adoption d’une approche participative : une démarche en quatre étapes). Bien que non prévues, ces rencontres ont permis de répondre aux objectifs initiaux de produire un portrait de la région et de mobiliser les acteurs clés.
De plus, le comité de pilotage avait prévu un forum régional réunissant des personnes concernées par l’habitat provenant de toute la région de la Capitale-Nationale. Toutefois, la mobilisation de ces acteurs demeurait un défi majeur. C’est alors que des rencontres sectorielles (par secteur géographique) ont été instaurées. L’objectif, comme pour les rencontres avec les informateurs clés, était de valider et de bonifier les portraits et de mobiliser les acteurs pour accroître le nombre de participants au forum régional. Certes, l’organisation et la réalisation de ces rencontres ont demandé beaucoup de temps et de ressources aux membres du comité de pilotage. Cela dit, cet investissement a été profitable, car il a permis de créer un premier contact avec un grand nombre d’acteurs du milieu (N = 223) et de leur expliquer sommairement le processus de recherche. Ainsi, en plus de permettre de documenter davantage le portrait spécifique à chacun des 15 secteurs géographiques, les rencontres sectorielles ont assurément joué le rôle de catalyseur pour mobiliser les acteurs de la région de la Capitale-Nationale.
Mécanismes de communication et de suivi
Des mécanismes de communication et de suivi, clairs et réguliers, sont nécessaires pour assurer la transmission de l’information entre les partenaires et, ipso facto, la bonne marche du projet (Barreteauet al., 2010; Blair et Minkler, 2009; Latour, 2004; Mantoura et Potvin, 2013; Wallerstein et Duran, 2006). Une relation favorisant le dialogue entre les partenaires leur permet de partager leurs réflexions, de faire face aux barrières inhérentes à la recherche participative à laquelle ils prennent part, ainsi que d’apprendre de leurs erreurs et de leurs succès. À l’inverse, l’existence d’une gouvernance hiérarchique au sein d’un partenariat peut affecter la réalisation d’une recherche participative. En effet, si une information doit préalablement être acceptée par une personne désignée avant d’être véhiculée, la transmission de l’information peut être freinée. Notamment dans une démarche de recherche participative, il importe de s’assurer que toutes les voix soient entendues et intégrées au dialogue et aux négociations inhérentes aux discussions. Le chercheur est alors amené à devenir un facilitateur du dialogue entre les divers partenaires provenant des milieux de la pratique ou de la recherche.
Bien que des mécanismes de communication entre les partenaires et des mécanismes de suivi aient été mis en place dans le projet Habitats (ex. : les rencontres des différents comités, les rencontres avec les informateurs clés, les rencontres sectorielles, etc.), la transmission de l’information ne s’est pas toujours avérée aussi fluide que souhaité entre les membres des divers comités de travail et leur direction respective. L’équipe de recherche a donc émis l’hypothèse que la communication à l’intérieur d’organisations partenaires n’était pas toujours optimale. Par exemple, la personne siégeant au comité de pilotage n’avait pas nécessairement accès facilement aux instances décisionnelles de son organisation, ce qui la plaçait dans une situation ambiguë lors de la prise de décisions dans le cadre de la recherche. Ce problème s’est exacerbé à la fin de la démarche lorsque des données étaient sur le point d’être publiées. Le contexte organisationnel en mouvance dans plusieurs secteurs (disparition de la CRÉ de la Capitale-Nationale, réforme du système de santé et de services sociaux, etc.) a accentué les difficultés de transmission de l’information entre les partenaires et leur organisation respective.
Pour solutionner cette difficulté, l’équipe de recherche a rencontré une partie des dirigeants de ces organisations et leur a expliqué la démarche et les objectifs du projet. Les personnes rencontrées ont alors été mieux informées et ont même décidé de participer à la rédaction du portrait de leur territoire, ce qui n’était pas prévu au début de la démarche. Cette situation a amené l’équipe de recherche à se questionner sur son niveau de collaboration et sur les enjeux de présentation des données. L’objectif étant de fournir un portrait co-construit avec les acteurs du milieu, des modifications ont été apportées à la présentation des données de chacun des secteurs.
Mécanismes d’évaluation
Un processus de rétroaction mutuelle et constante entre la théorie et la pratique est nécessaire à la réalisation d’une recherche participative. À cet égard, une analyse périodique du déroulement des travaux (contenu et processus) permet d’identifier et de résoudre rapidement les problèmes ou les conflits pouvant survenir au sein du partenariat et faire obstacle à la réalisation de la recherche participative (ex. : attentes différentes par rapport à l’implication de chacun, problèmes de communication, etc.) (Johnson et MartínezGuzmán, 2013; Reason et Bradbury, 2001; Wethingtonet al., 2007).
Un tel processus réflexif a eu cours lors du projet Habitats et a conduit à des ajustements. Par exemple, au départ, le comité de pilotage avait prévu consulter la population en général au moyen d’un sondage. Puis, à la suite d’une révision des objectifs – qui visaient à faire un état de situation et à mobiliser les acteurs impliqués et capables d’agir afin d’améliorer les conditions de l’habitat des aînés – il a plutôt été convenu de procéder à des rencontres sectorielles, par territoire géographique.
De plus, une évaluation du processus et des résultats du projet Habitats a été menée par une professionnelle de recherche extérieure au projet au moyen d’une grille développée par Fortier et ses collaborateurs (2015) et expérimentée lors de la réalisation d’autres recherches participatives. Les thèmes abordés lors de l’évaluation ont été les suivants : les conditions préalables au démarrage du partenariat (motivations au partenariat, et relations entre les partenaires); l’organisation du partenariat (attentes des participants, pouvoir d’agir du groupe de partenaires, planification de l’action en partenariat, ainsi qu’organisation et leadership); le suivi et l’évaluation du partenariat (suivi et évaluation au terme du projet). En bref, les membres du comité de pilotage ont apprécié le leadership « respectueux et participatif », le respect de chacun et la reconnaissance des expertises et des savoirs. Ils se sont montrés satisfaits de la dynamique entre les partenaires du comité de pilotage et des collaborations qui se sont créées tout en respectant le rôle de chacun. Des partenaires ont aussi soulevé des doutes et exprimé une déception quant aux actions possibles dans le contexte de bouleversement des structures administratives, régionales et de la santé et des services sociaux (ex. : disparition de la CRÉ de la Capitale-Nationale, réforme du système de santé et de services sociaux, etc.).
Défis rencontrés : la gestion du temps et des ressources
Dans une recherche participative telle qu’Habitats – dont la problématique est vaste et complexe, et dont les partenaires sont multiples et proviennent de divers secteurs – la gestion du temps et l’accès à des ressources apparaissent des défis incontournables. Ci-après, ces défis et les solutions mises en oeuvre dans le projet Habitats pour les surmonter sont abordés.
Gestion du temps
Dans un travail réalisé en partenariat par plusieurs personnes provenant de divers secteurs, la gestion du temps représente un réel défi (Wethingtonet al., 2007). Le rapport au temps est différent d’un milieu à l’autre. La recherche a des échéanciers parfois très différents de ceux de la pratique. D’une part, la recherche exige la réalisation de démarches qui paraissent longues pour les acteurs des milieux de pratiques. Il est nécessaire de tenir compte des demandes de financement aux organismes subventionnaires, des approbations à obtenir des comités d’éthique, et du délai qu’exige la réalisation du processus de recherche. D’autre part, les membres issus des milieux de pratiques ont souvent besoin d’agir rapidement et, pour ce faire, d’obtenir des résultats dans un court délai. De plus, la co-construction qui caractérise la recherche participative demande un investissement dans le temps pour tous les partenaires.
Par conséquent, au cours de la réalisation du projet Habitats, les échéanciers et les attentes ont dû être ajustés. D’une part, les chercheurs ont mieux compris les impératifs des milieux de pratiques et, de l’autre, les partenaires impliqués ont pu mieux saisir l’importance de travailler selon des bases théoriques, méthodologiques et éthiques solides. Aussi, le fait d’avoir fixé une date dès le début du processus pour la tenue du forum régional a exigé de livrer les portraits plus rapidement, ce qui a nécessité des ajustements au niveau des ressources humaines par l’embauche de professionnels de recherche supplémentaires.
Les membres étaient très enthousiastes lors de la création des portraits sectoriels. Toutefois, le grand nombre de portraits (N = 15) et les limites d’accès à des données fiables pouvant être utilisées pour l’ensemble des secteurs ont obligé l’équipe de recherche à proposer de ne pas retenir toutes les suggestions. Cette proposition a été entérinée par le comité de pilotage. L’équipe de recherche a alors mis en place un tableau récapitulatif des étapes réalisées et de celles à venir en guise d’outils de discussion, mais également pour gérer les priorités. Les suggestions des membres du comité de pilotage sur les données à recueillir et les étapes à réaliser ont été classées en trois catégories : 1) l’équipe de recherche traitera la suggestion à court terme; 2) l’équipe de recherche traitera la suggestion si les données existent et si le temps le permet; 3) la suggestion pourra être traitée dans un projet de recherche futur.
Ressources
L’accès à des ressources financières demeure important dans un projet de recherche participative (Wethingtonet al., 2007). La subvention provenant du MFA a rendu possible l’embauche de professionnels de recherche et a soutenu la collaboration avec des personnes externes, comme les cartographes professionnels qui ont illustré les données statistiques et les services dans les 15 secteurs géographiques étudiés. De plus, les partenaires du projet ont fourni des ressources humaines pour l’accomplissement de tâches (ex. : un professionnel en communication, un statisticien) et pour l’organisation et la logistique du forum régional qui a eu lieu à la fin de la démarche. Cette marge de manoeuvre financière a permis d’embaucher des professionnels de recherche supplémentaires pouvant produire les portraits et travailler à la logistique du forum et, ainsi, de répondre aux besoins et aux principaux objectifs du comité de pilotage.
⁂
Le choix d’opter pour une recherche participative va de pair avec la volonté de co-construire des connaissances et des interventions qui intègrent à la fois les savoirs issus de la recherche et de la pratique (Carbonneauet al., 2016). La recherche participative invite à un meilleur arrimage de la recherche avec les besoins du milieu (VanDerRiet et Boettiger, 2009; Wallerstein et Duran, 2006). Cette approche méthodologique est propice à l’appropriation des résultats de la recherche par les différents milieux de pratiques (VanDerRiet et Boettiger, 2009). Aussi, elle peut favoriser l’empowerment des citoyens (Blair et Minkler, 2009). À ce propos, l’analyse de la démarche et l’évaluation finale réalisées dans le projet Habitats montrent qu’il importe que les organismes partenaires impliqués dans la démarche regroupent des aînés ou des personnes qui interviennent auprès d’aînés susceptibles d’être à la marge des possibilités de participation sociale. En outre, la bonification des portraits n’aurait sans doute pas été possible sans le recours à une approche participative, l’apport des personnes consultées, ainsi que le dialogue qui a été privilégié tout au long de la démarche.
Une retombée potentielle du projet Habitats était l’élaboration d’un plan d’action à long terme, qui s’appuierait sur les résultats de l’étude et qui aurait été mis en oeuvre par une instance régionale afin d’améliorer les conditions d’habitat des aînés dans la région de la Capitale-Nationale. Toutefois, cette intervention régionale n’a pu être réalisée, car le gouvernement du Québec a aboli l’organisme mandaté pour accomplir cette tâche (la CRÉ de la Capitale-Nationale). Cette situation a coupé court à cette possibilité. Cependant, la mobilisation des acteurs effectuée au cours du projet a permis de mettre en oeuvre des actions concrètes dans la région.
D’ailleurs, la mobilisation d’acteurs concernés par l’habitat des aînés dans les 15 secteurs géographiques et au niveau de la région de la Capitale-Nationale est une retombée en soi. À cet égard, plusieurs personnes ont activement participé à une ou plusieurs des quatre phases du projet, que ce soit les informateurs clés, les participants aux rencontres sectorielles ou les participants au forum (voir Figure 1 présentée plus haut). Un grand nombre d’entre elles ont contribué à la construction d’un portrait par secteur géographique et régional. Par le fait même, ces personnes ont pu être sensibilisées aux enjeux liés au vieillissement et à l’habitation.
De plus, les résultats du projet ont suscité des retombées locales. À ce propos, des participants et des membres du comité de pilotage ont mentionné l’importance d’avoir accès à un portrait qui rassemble un grand nombre d’informations sur chacun des 15 secteurs. Des données ont été utiles pour la mise à jour de politiques familiales municipales ou ont été reprises dans l’étape du diagnostic réalisée par les municipalités amies des aînés.
La démarche de recherche du projet Habitats a également permis aux chercheurs de recruter de nouveaux partenaires pour des recherches futures et de consolider des contacts privilégiés entre des membres d’organismes de la région. L’IVPSA a aussi été contacté par la table de concertation des aînés d’une autre région du Québec pour accompagner une démarche similaire visant la mise en place d’une alliance régionale afin d’améliorer les conditions de vie des aînés. Encore une fois, une démarche participative permettra de décrire une situation complexe, et ce, en co-construisant les différentes étapes de la démarche avec les partenaires du milieu de l’intervention.
D’autres projets de recherche ont également vu le jour à la suite de cette démarche et permettent d’approfondir des réalités liées à l’habitat, aux milieux de vie et à la participation sociale des aînés. Des données recueillies lors du projet Habitats ont pu être utilisées notamment dans le cadre de deux projets. Le premier projet (Séguinet al., 2017) vise à mieux comprendre les liens qu’entretiennent les aînés avec les environnements où ils vivent. Plus précisément, il s’intéresse aux besoins des aînés et aux ressources qui sont accessibles dans leur milieu pour faire en sorte qu’ils vivent là où ils le souhaitent et dans des conditions qu’ils jugent acceptables. Le second projet (Cardinalet al., 2017), portant sur l’isolement des aînés, a pour but de rejoindre, comprendre et accompagner les personnes âgées isolées en milieux ruraux et urbains. Ce second projet a aussi été mené selon une démarche de recherche participative où chercheurs et partenaires des milieux de pratiques ont décidé conjointement des éléments liés au processus ou au contenu.
Dans l’avenir, il serait souhaitable d’accorder une attention particulière à la description de la méthodologie des projets menés suivant une approche participative et d’évaluer leurs processus et retombées de manière à mieux documenter ce pan de la recherche en plein essor. Il importerait de mieux tracer ces diverses formes, ainsi que de mieux cerner ses forces et ses limites, et ce, en suivant une analyse et une approche évaluative participative.
Parties annexes
Notes biographiques
Julie Castonguay est travailleuse sociale et candidate au doctorat en gérontologie à l’Université de Sherbrooke. Elle détient une maîtrise en service social et un baccalauréat en psychologie obtenus tous deux à l’Université Laval. Sa thèse porte sur les freins et les leviers à l’engagement bénévole des premiers-nés du bébé-boum dans les organismes communautaires en soutien à domicile des aînés. Elle travaille au Centre d’excellence sur le vieillissement de Québec (CEVQ) en tant que professionnelle de recherche.
Hélène Carbonneau détient un doctorat en gérontologie de l’Université de Sherbrooke et est professeure au Département d’études en loisir, culture et tourisme de l’UQTR. Ses intérêts de recherche portent sur le rôle de l’expérience de loisir inclusive pour la santé et le développement positif. Elle est co-directrice du Laboratoire en loisir et vie communautaire et responsable de l’axe Interaction et soutien social du RQRV.
Julie Fortier détient un doctorat en Études urbaines de l’UQAM. Depuis 2006, elle est professeure au Département d’études en loisir, culture et tourisme de l’UQTR. Ses intérêts de recherche touchent le bénévolat, la concertation, la participation publique et citoyenne. Elle est codirectrice du Laboratoire en loisir et vie communautaire effectuant des recherches sur ces questions. Depuis 2001, elle a participé à plus d'une dizaine de recherches sur le bénévolat.
Émilie Raymond est professeure à l’École de service social de l’Université Laval et chercheure au Centre interdisciplinaire de recherche en réadaptation et intégration sociale. Elle s’intéresse à la participation sociale et citoyenne, et explore l’intersection des discours publics et des expériences des acteurs. Ses travaux l’ont amenée à comparer les politiques du vieillissement et les pratiques d’aînés ayant des incapacités. Elle utilise des approches participatives de recherche, collaborant avec des milieux associatifs désireux de devenir plus inclusifs à l’égard des personnes en situation de handicap. Elle a coédité l’ouvrage Droits de vieillir et citoyenneté des aînés. Pour une perspective internationale (PUQ, 2015).
Mireille Fortier est professionnelle de recherche au Centre d'excellence sur le vieillissement du Québec (CEVQ) et coordonnatrice de l’Institut sur le vieillissement et la participation sociale des aînés de l’Université Laval. Elle détient une maîtrise en anthropologie et un certificat en gérontologie. Ses intérêts de recherche portent sur la recherche participative, la participation sociale des aînés, l’organisation des services de santé au Québec, le bénévolat en soins palliatifs et l’anthropologie des vieillissements. Sa plus récente publication avec d'autres auteurs est : Habitats, milieux de vie et participation sociale des aînés : Constats et perspectives. Synthèse de la région de la Capitale-Nationale (Québec : IVPSA, 2016).
Andrée Sévigny est professeure associée à l’École de service social de l’Université Laval et chercheure au Centre d’excellence sur le vieillissement de Québec. Ses travaux portent sur la participation des bénévoles au soutien à domicile des aînés en perte d’autonomie ou en fin de vie. Elle est chercheure principale du partenariat en développement sur la participation sociale des aînés (PASSAGE).
André Tourigny est médecin spécialiste en santé publique et médecine préventive à l’Institut national de santé publique du Québec, co-directeur de l’Institut sur le vieillissement et la participation sociale des aînés de l’Université Laval, professeur agrégé à la Faculté de médecine de l’Université Laval et chercheur au CEVQ. Il possède une expertise touchant le vieillissement en santé, l’organisation des services de santé et l’évaluation de programme ou d’interventions ciblant les personnes aînées.
Notes
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[1]
Dans le cadre de cette recension des écrits, quatre bases de données (Academic search complete, AgeLine, CINAHL et JSTOR) ont été interrogées pour la période 2005 – 2014 en croisant les termes participation sociale et recherche participative. Un premier tri des documents recensés (n = 391) a été effectué à partir du titre et du résumé, puis en effectuant une lecture plus approfondie de leur contenu. Ont alors été retenus 115 documents, principalement des articles scientifiques (articles empiriques ou théoriques, recensions systématiques, etc.) (n = 107) et quelques thèses (n = 8). Ces documents ont été analysés à l’aide du logiciel NVivo. À cette fin, un cahier de codification a été élaboré et validé lors d’un exercice auquel se sont prêtées deux chercheures et deux professionnelles de recherche.
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[2]
Institut sur le vieillissement et la participation sociale des aînés de l’Université Laval (IVPSA), CRÉ de la Capitale-Nationale, Agence de la santé et des services sociaux de la Capitale-Nationale (ASSS-CN), Centre local de développement (CLD) de la Municipalité régionale de comté (MRC) de Charlevoix, Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux (CIUSSS) de la Capitale-Nationale (Centre de santé et de services sociaux [CSSS] de Charlevoix, CSSS de la Vieille-Capitale, CSSS Québec-Nord, CSSS-Portneuf), Société d’aide au développement de la collectivité (SADC) de Portneuf, Société d’habitation du Québec (SHQ), Table de concertation des personnes aînées de la Capitale-Nationale, Ville de Québec (Service des loisirs), ainsi qu’une bénévole retraitée ayant participé à l’élaboration des projets CADA.
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[3]
Un informateur clé est une personne ayant une bonne connaissance de la réalité du terrain et pouvant fournir des informations privilégiées ou guider vers de telles informations (Creswell, 2013). Dans le projet Habitats, il pouvait s’agir de représentants locaux d’organismes communautaires de soutien à domicile, d’organisateurs communautaires, ou encore de responsables des loisirs municipaux.
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[4]
Ces documents peuvent être consultés à l’adresse suivante : [https://www.ivpsa.ulaval.ca/publications].
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