Note critique

L'adaptation, concept-clé pour la compréhension de la francophonie nord-américaine?Francoeur, Aline (dir.), Adaptation dans les espaces francophones. Formes, expression et diffusion, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2016, 195 p. (Coll. « Culture française d’Amérique ».)Laniel, Jean-François et Joseph Yvon Thériault (dir.) , Retour sur les États généraux du Canada français. Continuités et ruptures d’un projet national, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2016, 410 p. (Coll. « Politeia ».)[Notice]

  • Leslie Choquette

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  • Leslie Choquette
    Professeure d’histoire et directrice de l’Institut français, Assumption College
    lchoquet@assumption.edu

Pourquoi jumeler la recension de ces deux livres récents, si différents par leurs thèmes et leur approche? À y regarder de près, ils ont plusieurs points de ressemblance : ce sont deux recueils de textes ayant leur origine, l’un, dans le séminaire annuel de la Chaire pour le développement de la recherche sur la culture d’expression française en Amérique du Nord (CEFAN), et l’autre, dans un colloque de circonstance organisé pour faire le point sur les États généraux du Canada français, quarante-cinq ans plus tard. Si les disciplines concernées ne sont pas les mêmes, dans les deux cas l’approche est pluridisciplinaire. Mais ce qui les rapproche le plus, c’est qu’ils s’attaquent, soit explicitement, soit implicitement, à la problématique de l’adaptation à l’intérieur de la francophonie nord-américaine. Qu’il s’agisse de l’adaptation de l’expression française ou de l’adaptation identitaire et historiographique, ce questionnement paraît particulièrement pertinent dans le contexte actuel où les francophones québécois et canadiens sont confrontés à une réalité sociale multiculturelle et un paysage politique changé. Le livre dirigé par Aline Francoeur aborde la question de l’adaptation du point de vue des lettres et des sciences humaines, le parti pris étant celui des regards croisés. Les champs de spécialisation des auteurs vont de la littérature à la phonétique en passant par l’ethnologie, les études cinématographiques, l’histoire, la sémiologie et la traduction. Malgré cette diversité, en s’appuyant sur une abondante littérature (Hutcheon, 2012; Sanders, 2015), les auteurs s’accordent à définir l’adaptation à la fois comme un produit et comme un processus : de (re)création, d’une part, et de réception de l’autre. Dans une première partie intitulée « D’une version à l’autre », ils se penchent sur les transferts de formes dans des domaines aussi variés que la chanson populaire, le récit de tradition orale, le film ou le programme d’enseignement en histoire au niveau secondaire. Tout aussi éclectique, la seconde partie, « D’une variété à l’autre », se veut une réflexion sur les transferts intralinguistiques et sociolinguistiques dans la bande dessinée, le livre de cuisine et la production vocale (l’accent). Dans un premier chapitre sur la chanson populaire, Joanne Melançon fait le tour du phénomène de l’adaptation musicale. À part les variantes et les versions, inhérentes à la chanson folklorique de tradition orale, il faut considérer les esthétiques, les interprétations et les contextes, ainsi que les nouvelles technologies. En posant la question du contexte historique de l’interprétation, l’auteure frôle celui des transformations idéologiques qui est au coeur du deuxième ouvrage considéré ici. Dans sa collection La bonne chanson (1937-1955), l’abbé Charles-Émile Gadbois modifie les paroles de chansons folkloriques pour en adapter le contenu à l’idéologie de la survivance, une démarche comparable à celle du docteur Thomas Bowdler, le censeur victorien de Shakespeare. Dans les années 1970, si plusieurs chansons québécoises se prêtent à l’interprétation néonationaliste, ce sens politique disparaîtra à son tour des adaptations de ces mêmes chansons au 21e siècle. Dans son chapitre sur les récits de tradition orale et leur adaptation, Martine Roberge soulève la question connexe des continuités et ruptures de la mémoire. Tout en reconnaissant le défi de « raconter les histoires d’autrefois sans les folkloriser » (p. 64), elle n’oppose pas la tradition à la modernité et conclut à l’existence d’une « tradition bien vivante » (p. 66). Si la plupart des études de l’adaptation au cinéma concernent le transfert d’un texte littéraire vers le visuel, Elspeth Tulloch s’intéresse plutôt aux questions linguistiques et culturelles, souvent négligées. Seule auteure de ce recueil à aborder explicitement la question des minorités francophones hors Québec, elle emprunte à Hutcheon le concept d’indigénisation pour parler de …

Parties annexes