Depuis le match nul constaté au référendum du 30 octobre 1995 sur la souveraineté du Québec, nous semblons ne plus savoir quoi faire de notre nationalisme. Après la déclaration du premier ministre Jacques Parizeau attribuant la défaite des militants de l’indépendance à « des votes ethniques », après la Loi sur la clarté du ministre fédéral Stéphane Dion et tout ce qui aura entouré le débat constitutionnel de la fin des années 1990, on a vu se cristalliser depuis le début des années 2000 deux positions qui, aujourd’hui encore, semblent dominantes au sein des familles politiques québécoises. D’un côté, la défaite référendaire a eu pour effet de provoquer un mouvement de repli, une sorte de rejet du nationalisme qui avait dominé le Québec depuis les années 1960 – un nationalisme civique intégrant la dimension culturelle de l’identité québécoise tout en ouvrant ses bras aux Québécois d’origines diverses, « tricoté serré » certes, mais avec des laines aux couleurs chatoyantes venues des quatre coins du monde. Le « Nous » de ces souverainistes inquiets ou fatigués exige des nouveaux arrivants qu’ils se conforment ou qu’ils convergent sur le plan culturel vers une définition de l’être québécois qui ne fait guère de compromis. Cette posture n’est pas unanime chez ceux qui avaient voté oui en 1995 mais elle a dominé le Parti Québécois au cours des dernières années. Les débats entourant le projet de Charte des valeurs de laïcité en 2013 en portaient les stigmates (voir Gagnon et St-Louis, 2016). Les échanges vifs entendus durant la course au leadership du PQ en 2016 en témoignent encore une fois. De l’autre, la question nationale est devenue taboue depuis 15 ans. Un dernier sursaut est survenu lors de la publication en 2001 par l’ancien ministre provincial Benoît Pelletier du rapport du comité spécial du Parti libéral du Québec sur l’avenir politique et constitutionnel de la société québécoise. Pelletier y affirme que le fédéralisme canadien ne pourra s’offrir comme modèle à la face du monde que dans la mesure où il réussira à « conjuguer son propre développement avec l’affirmation du caractère national du Québec ». La Chambre des communes a adopté plus tard une motion reconnaissant que « les Québécois forment une nation au sein d’un Canada uni », mais ces paroles n’ont pas connu de suites concrètes. Le statu quo s’impose et s’enracine. Les fédéralistes, ayant eu la frousse de leur vie en 1995, ne veulent tout simplement plus jamais subir un tel traumatisme et, pour l’éviter, rejettent toute velléité de faire renaître un débat sur le statut politique du Québec qui comporterait le risque de réveiller le mouvement en faveur de l’indépendance. Tous ne vivent pas dans la peur d’une reprise du scénario référendaire, mais personne n’ose plus proposer de démarche constitutionnelle structurante pour l’identité nationale québécoise allant au-delà de voeux pieux. Bref, les élites politiques ne savent plus trop quoi faire de notre nationalisme, pourtant encore bien vivant au sein de la population qui ne renonce pas à son identité québécoise et distincte. Les deux ouvrages témoignent de ce désarroi. Tous les deux ont en commun de rendre caduque la longue démarche politique qui a conduit au référendum de 1995. Au cours de cette démarche, qui commence après le référendum de 1980, les Québécois avaient fait évoluer leur nationalisme vers des bases civiques et territoriales, ce qui devait les amener à tirer la conclusion qu’une reconnaissance du Québec comme nation allait de pair avec un nouveau statut, celui d’une société distincte au sein du Canada, ou bien celui d’un État souverain, entraînant dans les deux cas l’acquisition de nouveaux pouvoirs …
Parties annexes
Bibliographie
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