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Années de ferveur 1987-1995, jette un regard personnel, voire intime, sur une époque marquante de l’histoire politique du Québec. Sous la forme d’un récit de vie, Bédard partage son expérience de militant au sein du Parti québécois (PQ), de l’arrivée de Jacques Parizeau à la tête du parti en 1988 jusqu’au lendemain du référendum sur la souveraineté du Québec en 1995. Plus qu’un simple témoignage, le texte nous fait vivre de l’intérieur les tensions, les exaltations et les déceptions qui caractérisent la politique partisane, les campagnes électorales et référendaires. Un récit volontairement partial, lequel présente les points de vue d’un intellectuel engagé dans la lutte pour l’indépendance nationale de la province.
Dans cette perspective, l’ouvrage se trouve à l’opposé de la pensée de Weber développée dans Le savant et le politique. Il prend pour exemple le positionnement ontologique de Parizeau : celui que l’on appelait « Monsieur » ne se cantonnait pas dans le « dualisme stérile » entre la réflexion et l’action politique (p. 25). Par ailleurs, le biais nationaliste et l’angle personnel qu’emprunte l’historien ne viennent pas pour autant amoindrir l’intérêt que l’on peut accorder à ce document. Il apporte quelques éléments de réponses empiriques à certaines questions récurrentes en sciences sociales, en science politique tout particulièrement. Comment devient-on militant? Quels sont les motifs derrière l’implication politique? À ce sujet, Bédard estime que c’est un savant mélange d’intérêts individuels et d’idéalisme qui représente le principal moteur de l’action politique (p. 12). Son épilogue vient confirmer ce point de vue affirmant que la politique « est une affaire humaine » faisant appel « autant à nos idées » qu’à « nos principes et notre intelligence » (p. 205). On comprend aussi que son penchant nationaliste en faveur de la souveraineté du Québec est en partie un héritage familial, du côté paternel (p. 2), et éducationnel, à travers entre autres les cours de philosophie de Denis Jetté et ceux d’histoire de Maurice Séguin (p. 38). C’est toutefois sa rencontre avec Jacques Parizeau, à la fin des années 1980, qui lui donne le goût de s’investir davantage jusqu’à prendre la tête du Comité national des jeunes du PQ en 1994 (p. 66).
Outre l’influence de Jacques Parizeau, l’auteur fait plusieurs fois référence à d’autres intellectuels l’ayant marqué. À l’évidence, l’oeuvre de Fernand Dumont occupe une place importante dans le développement de la pensée de Bédard. Sa conception de la nation par exemple, indissociable de la dimension historique, correspond à celle de Dumont. Comme pour l’auteur de Genèse de la société québécoise, Bédard estime que le nationalisme québécois s’appuie sur une série de rendez-vous manqués. Un constat également souligné par Louis Balthazar dans son Bilan du nationalisme québécois. « Être Québécois » pour Bédard, c’est « aussi se reconnaître dans une histoire, être attaché à une culture » (p. 198). « À quand la vraie victoire? », demande Bédard dans une lettre à un ami (p. 191). Sans laisser toute la place à la dimension historique et culturelle, la définition de la nation que propose Bédard s’accorde également à celle de certains de ses contemporains; on pense à Jacques Beauchemin ou à Mathieu Bock-Côté, ce dernier étant mentionné à quelques reprises dans l’ouvrage de Bédard.
Bien qu’il laisse clairement transparaître ses opinions politiques, le travail de Bédard accorde une place importante à la nuance. On le constate en particulier lorsqu’il fait référence à la jeunesse. C’est d’ailleurs une des grandes leçons qu’il retient au terme de sa participation active en politique. « ’La jeunesse’ n’a vraiment rien d’un bloc monolithique », précise-t-il (p. 206). Paradoxalement, il effectue tout de même quelques généralisations justement sur l’aspect générationnel, notamment lorsqu’il traite des hippies, « surtout reconnus pour [leur] consommation de champignons magiques » (p. 14). Ce genre de cliché demeure toutefois peu fréquent.
Évidemment, il demeure difficile de parler de la défaite du camp du « Oui » en 1995 sans traiter du discours de Jacques Parizeau. À ce propos, Bédard considère que « Monsieur » a raté sa sortie (p. 199). Cela dit, il accorde peu de place à cet épisode ou au lendemain de la défaite référendaire. Il faut admettre d’une part que cette sortie a été maintes fois abordée. D’autre part, à travers le récit de son cheminement, Bédard vise surtout à proposer un regard interne sur les événements ayant mené au référendum. Sur le plan de la forme, on ne peut nier que l’historien sait raconter. Il parvient habilement à décrire l’intensité ressentie la journée du vote, le 30 octobre 1995 (p.184). Sa rencontre fortuite avec le poète Gaston Miron (p.158) et sa brève collaboration avec le coloré cinéaste Pierre Falardeau (p.152) sont aussi dignes de mention.