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Fruit de plusieurs collaborations entre chercheurs et étudiants des villes universitaires de Trèves et Sarrebruck en Allemagne, cet ouvrage collectif pose un regard neuf et rafraîchissant sur les imaginaires médiatiques de la diversité sous toutes leurs formes. Les auteurs traitent notamment de l’Office national du film (ONF), de divers films et cinéastes québécois, de discours publics d’associations culturelles ou ethniques, de télévision, de radio et de journaux.
On découvre, par exemple, que la toute première émission montréalaise de télévision tournée entièrement en italien a été diffusée de 1964 à 1994. Du court récit que fait Paul Tana (p. 71-75) de son échec à faire reconnaître par des institutions subventionnaires (la SODEC) ou de diffusion (Rendez-vous du cinéma québécois) son court métrage documentant l’archivage des bobines de film de l’émission italienne Teledomenica comme un produit de la culture québécoise, on comprend que les groupes ethniques sont relégués aux marges de la culture québécoise, dans ce qu’il appelle un « aquarium ethnique », pour reprendre ses termes. On leur refuse, en effet, tout apport non étroitement centré sur « leur » minorité culturelle, ici les immigrants italiens et tous leurs descendants, pourtant montréalais ou québécois. De même, Michèle Garneau (p. 35-50) critique le fait qu’en s’ouvrant au multiculturalisme, l’ONF s’est en même temps fermé aux revendications politiques, constitutionnelles ou socio-économiques. De sorte que l’institution est désormais plus au service de la reconnaissance de la différence culturelle que de la redistribution de la richesse collective (p. 35-50). Ces analyses critiques mettent ainsi en relief le fait que l’ouverture à l’Autre n’aboutit pas forcément à son inclusion sociale et que les politiques multiculturalistes officielles non seulement n’encouragent pas la justice sociale, mais peuvent même y nuire.
Il est beaucoup question d’identité dans les textes analysant des productions cinématographiques. Walter Moser (p. 75-88) décortique Mémoires affectives de Francis Leclerc et Ute Fendler (p. 89-98) et Congorama de Philippe Falardeau, le premier pour insister sur le fait qu’aucune homogénéité culturelle ou identitaire n’est possible, et le second pour souligner les liens étroits entre des régions fort éloignées qui ont en commun une histoire coloniale, des relations difficiles avec des autochtones, une même langue, et une réalité politique marquée par les relations entre majorité et minorité linguistiques. Le texte de Hans-Jurgen Lüsebrink (p. 99-109) analyse la pièce d’Évelyne de la Chenelière et le film qu’en a fait Philippe Falardeau, Monsieur Lazhar, pour montrer que l’intégration n’est jamais seulement affaire de désir et de volonté, et toujours affaire d’ajustements difficiles et réciproques. Dans la pièce comme dans le film, la réalité de l’immigrant n’est pas enjolivée : l’enseignement peu conventionnel de Monsieur Lazhar déplaît à certains parents et déroute des collègues; sa volonté de faire parler les élèves du suicide de leur professeur révèle des conceptions différentes du deuil et de la violence dans les sociétés algérienne et québécoise et la difficulté de les concilier. Dans tous ces cas concrets, l’identité est un objet flottant, difficilement saisissable, et une réalité fragile qui s’émiette quand on la fixe.
Mechthild Gilzmer (p. 147-166) traite d’une minorité éminemment hybride, faite d’héritages espagnol, arabe, nord-africain, francophone, etc. : la minorité sépharade au sein de la minorité juive du Québec. Elle montre l’écart entre la représentation officielle que se donne cette communauté à travers le discours de son association (où l’héritage marocain éclipse les autres apports) et la représentation qui en est faite dans les films de trois cinéastes (Bensimon, Saäl et Mills-Affif) qui savent mieux mettre à profit la complexité de la réalité de cette petite communauté, tout en abordant qui les mécanismes de l’exclusion sociale, qui les douloureuses expériences de l’exil, qui encore la pesanteur des pratiques traditionnelles pour les jeunes générations.
Mais l’article le plus intéressant est celui de Schowalter et Vatter (p. 167-192) qui compare trois séries télévisuelles humoristiques mises en ondes pratiquement au même moment. Toutes se jouent des stéréotypes ethniques – c’est leur ressort comique – pour mieux les démonter : Little Mosque on the Prairie (CBC); Pure laine (Télé-Québec); et Türkisch für Anfänger (Turkish for Beginners, ARD). Comme on pouvait s’y attendre, le traitement de la diversité culturelle diffère d’une série à l’autre, tout comme ce sur quoi chacune met l’accent. La série canadienne-anglaise insiste sur la diversité interne de toute minorité, religieuse ou culturelle; la série québécoise confronte les discours officiels d’une société qui se dit ouverte et accueillante mais qui stigmatise la différence; et la série allemande joue sur les contrastes entre Turcs et Allemands à travers l’histoire d’une famille recomposée formée d’une mère célibataire allemande, de sa fille et d’un père seul, d’origine turque, et de son garçon. Schowalter et Vatter montrent qu’au fond, les trois séries portent le même message : l’identité est une réalité trop complexe pour être ramenée à sa seule composante culturelle ou platement réduite à la nationalité.
En somme, cet ouvrage vaut d’être lu pour le regard critique et novateur qu’il pose sur le traitement de la diversité culturelle dans les sociétés canadienne et québécoise, car son approche braque le projecteur sur l’Autre autant que sur la majorité d’accueil pour saisir le pluralisme mis en scène.