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La question des rapports entre les groupes ethniques s’impose plus que jamais aux sociétés qui connaissent une diversification de leur population. Elle induit un débat sur le rôle que l’éducation doit jouer en matière de « production ou [de] redéfinition des frontières ethniques » (p. 3). Le Québec est une société intéressante pour explorer cette problématique et l’exemple de la communauté juive la représente bien. En effet, « de nombreux sondages et études illustrent que la connaissance de cette communauté est très déficiente au sein de la population québécoise » (p. 4). Dans ce contexte, il y a lieu de mieux comprendre « le rôle actuel et potentiel de l’éducation formelle dans la dynamique des relations entre les communautés juives bien implantées dans leurs sociétés d’accueil et la culture majoritaire » (p. 5).
C’est cet ambitieux objectif que se sont donné les chercheures Hirsch, Mc Andrew, Audet et Ipgrave ainsi qu’une vingtaine de collaborateurs. Trois enjeux spécifiques, faisant chacun l’objet d’une partie distincte dans l’ouvrage, sont traités : l’enseignement portant sur les communautés juives dans des écoles secondaires, des pratiques novatrices en matière d’éducation à l’Holocauste, et la réalité des écoles juives. À cela, les auteures ajoutent une perspective comparative nationale et internationale qui montre comment chacun de ces enjeux se présente dans différents contextes.
La première partie de l’ouvrage est consacrée à la représentation des communautés juives et du judaïsme dans le matériel didactique proposé aux écoles secondaires. D’abord, Hirsch et McAndrew analysent les manuels d’histoire et d’éducation à la citoyenneté (HÉC) et ceux d’éthique et culture religieuse (ÉCR) au regard du traitement de l’histoire de la communauté juive québécoise. En complément, elles rendent compte de la perception d’une vingtaine de conseillers pédagogiques et d’enseignants sur les défis pouvant être rencontrés lorsqu’on parle des communautés juives québécoises en classe. Les enseignants avouent considérer ne pas avoir les connaissances nécessaires pour le faire, ce qui invite le lecteur à se questionner sur la formation des enseignants à la diversité au Québec. Ensuite, alors qu’Estivalèzes se penche sur la représentation du judaïsme dans les manuels québécois d’ÉCR, la perspective comparative permet, enfin, de considérer l’image de la communauté juive véhiculée dans des manuels français. L’analyse révèle l’absence des Juifs dans l’enseignement de l’histoire, ce « à un point tel qu’il ne doit pas être facile pour les élèves de comprendre que les Juifs aient pu faire l’objet de déportation et d’extermination » (p. 54). Ce chapitre est certainement l’un des plus intéressants puisqu’il montre bien la « gêne face au “ problème ” juif » (p. 54) que vit le peuple français et amène clairement à mieux comprendre la situation actuelle, fréquemment médiatisée.
La deuxième partie se penche sur des pratiques pédagogiques novatrices permettant de soutenir l’enseignement de l’Holocauste. Dans cette perspective, des pratiques développées au Canada, en France et en Autriche sont présentées. Il s’agit d’un point fort de l’ouvrage, car les stratégies et les pistes d’action éducative avancées et favorisant le développement de relations harmonieuses entre les communautés majoritaires et minoritaires sauront assurément intéresser tous les intervenants scolaires. Plus encore, les chapitres qui suivent portent sur les raisons qui peuvent motiver l’enseignement de l’Holocauste. Moisan propose notamment de faire des liens étroits avec le programme d’HÉC au Québec. Ainsi, une incursion dans les contextes social, économique et politique du Québec et du Canada des années 1930 et 1940 permet de réfléchir aux réponses, souvent méconnues, à des questions telles que celle relative aux raisons ayant poussé le Canada à ne rien faire pour venir en aide aux Juifs en Europe.
La troisième partie analyse le rôle que jouent les écoles ethnoreligieuses dans les relations entre les communautés juives et leur société d’accueil. D’une part, Hirsch et Amiraux décrivent comment l’éducation juive est dispensée dans quatre écoles montréalaises. D’autre part, Tremblay et Milot tentent de cerner comment la perspective religieuse du projet éducatif de deux écoles juives montréalaises peut s’y traduire, notamment pour ce qui touche à l’éducation à la citoyenneté. Immanquablement, ces chapitres aident le lecteur à mieux saisir comment s’articule la diversité religieuse au sein de la société québécoise actuelle. Ils sont enrichis d’une perspective comparative digne d’intérêt grâce à la présentation des contextes britannique, français et ontarien.
L’ouvrage se clôt par un rappel de l’histoire de la communauté juive québécoise, permettant de considérer l’ensemble des chapitres sous un angle élargi. Compte tenu de son excellente qualité et de la pertinence des éléments amenés, il me semble que le lecteur aurait davantage tiré parti de cette contextualisation historique si elle avait été placée en amont de l’ouvrage. Cela dit, il n’en demeure pas moins que Judaïsme et éducation, enjeux et défis pédagogiques est un ouvrage majeur, essentiel à quiconque, dans les milieux scolaire, communautaire et universitaire, souhaite comprendre comment, au 21e siècle, les systèmes scolaires tentent de s’adapter à la diversité.