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Michel Bock et François Charbonneau proposent un ouvrage collectif sur le Règlement 17 et la grave crise provinciale et nationale que ce dernier a provoquée. Il faut saluer l’intelligence des directeurs de ce collectif qui apporte de nouveaux éclairages et démontre la vigueur de la recherche sur la francophonie ontarienne. L’introduction donne le ton puisque les auteurs se demandent si le Règlement 17 a eu sur la mémoire collective franco-ontarienne une influence similaire à celle qu’a eue la Déportation sur la mémoire collective acadienne. Voilà une question qui mérite d’être fouillée et qui, nous l’espérons, donnera lieu dans l’avenir à la parution d’un ouvrage sur le rôle d’événements traumatisants de ce type dans la création des mémoires collectives des communautés minoritaires.
L’ouvrage est divisé en cinq parties. La première traite des anglophones et de la crise scolaire. Le texte de Jean-Philippe Croteau rappelle que pour les Irlandais catholiques les écoles dites séparées souffrent d’un financement inadéquat et que le militantisme des Franco-Ontariens menace leurs revendications, et même l’existence des écoles séparées. Les Irlandais sont en conséquence des adversaires des Franco-Ontariens, mais des alliés du gouvernement puisque l’action de celui-ci permet de préserver les écoles séparées. Pour sa part, Sylvie Lacombe analyse la couverture médiatique du Toronto Daily Star, du Daily Mail and Empire et du Saturday Night pendant l’année 1912. Elle souligne que ces médias insistent, dans leur traitement de la crise scolaire, sur l’importance de l’anglais comme langue commune en Ontario et que son apprentissage favorise l’intégration sociale. Les deux derniers chapitres de cette première partie présentent des individus qui cherchent une solution politique à la crise. Hans-Jurgen Lüsebrink analyse les écrits de William Henry Moore qui dénoncent les politiques assimilatrices gouvernementales et promeut la dualité linguistique et culturelle. Pour sa part, Geneviève Richer présente les efforts de Napoléon Belcourt pour gagner des alliés chez l’élite anglo-canadienne. D’ailleurs, le sénateur franco-ontarien n’hésite pas à envoyer des exemplaires des ouvrages de Moore aux membres de la classe politique en Ontario et ailleurs dans l’Empire britannique.
La seconde partie de l’ouvrage traite des stratégies de résistance. Signalons deux textes en particulier, dont celui de Jack Cécillon sur le Sud-Ouest ontarien, où les individus qui organisent la résistance, peu nombreux, sont souvent des migrants récemment arrivés du Québec. Pour sa part, Pierre Anctil rappelle le rôle important du quotidien Le Devoir et celui de son directeur dans la mobilisation contre le Règlement 17 au Québec. Il observe que la crise favorise l’émergence de l’autonomie provinciale et d’un sentiment d’appartenance au Québec.
François Charbonneau se penche sur l’action de la classe politique : lors du débat sur le Règlement 17 à la Chambre des Communes, les députés canadiens-français insistent sur le fait que le français comme langue d’enseignement est un privilège concédé aux Canadiens français en échange de leur loyauté envers l’Empire britannique. La majorité anglophone doit en conséquence permettre aux francophones d’utiliser le français dans leurs écoles. Pour sa part, Damien-Claude Bélanger explore le rôle de l’historien et politicien conservateur Thomas Chapais, dont le travail d’influence reste discret et se termine vers 1917. Enfin, le texte de Pierre Foucher offre un excellent survol de la question des protections constitutionnelles et il contextualise la crise scolaire en Ontario en rappelant les autres crises scolaires depuis 1870.
La quatrième partie de l’ouvrage est particulièrement intéressante puisqu’elle porte sur les productions littéraires et théâtrales. Le chapitre de Johanne Melançon et celui de Lucie Hotte analysent la place du Règlement 17 dans la littérature franco-ontarienne. Comme le souligne Hotte, ce fameux document n’a pas occupé une place très importante dans la littérature, ce qui l’incite à conclure que « le Règlement 17 n’a pas connu une grande fortune littéraire » (p. 350).
Dans le dernier chapitre, Michel Bock se demande pourquoi l’Association canadienne-française d’éducation de l’Ontario et l’élite francophone ont opté pour la modération à compter des années 1920. Cette stratégie résulte d’un changement de conjoncture, alors que certains Canadiens anglais ne considèrent plus l’appartenance à l’Empire britannique comme un des fondements de leur identité, et que d’autres souhaitent reconstruire des ponts avec les francophones après la Première Guerre mondiale. De son côté, l’élite canadienne-française sépare les questions nationales et les questions religieuses.
L’ouvrage fort intéressant contient des pistes de recherche stimulantes sur la construction de la mémoire collective, mais aussi sur le rôle des individus et des groupes lors de conflits nationaux.