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Cet ouvrage est le fruit du vingt-deuxième colloque annuel de l’Association des professeurs de littératures acadienne et québécoise de l’Atlantique (APLAQA), qui a eu lieu, en 2012, à l’Université de Poitiers. La directrice de publication, Anne-Yvonne Julien, est professeure de littérature française du 20e siècle à l’Université de Poitiers.

La représentation de la ville qui y est proposée est celle d’« un prisme signifiant » (p. 9) à travers lequel des écritures de romanciers, nouvellistes, poètes, dramaturges et auteurs-compositeurs de chansons exposent des problématiques politiques, identitaires, mémorielles et esthétiques. Outre la diversité des genres, le corpus analysé correspond à des territoires pluriels de la francophonie canadienne : non seulement des auteurs québécois et acadiens mais aussi des auteurs franco-ontariens et franco-manitobains. La période étudiée s’étend sur six décennies, de 1950 à 2010.

L’ouvrage est structuré en quatre parties. La première, « Montréal en diachronie », est constituée d’un seul texte, celui de Lise Gauvin, qui signale dans une note que ce texte « est tiré de son ouvrage Aventuriers et sédentaires. Parcours du roman québécois », publié en 2012. La deuxième partie, « Pôles de valeurs en tension », aborde l’espace urbain et périurbain comme un lieu d’affrontements axiologiques et sociolinguistiques, d’antagonisme entre cosmovisions diverses. La tension entre ruralité et urbanité est étudiée chez France Daigle, Simone Chaput et Daniel Poliquin (Lucie Hotte) et dans le projet contre-culturel véhiculé par la revue Mainmise (Jean-Philippe Warren). Juliette M. Rogers propose la conjugaison de deux types de regard, écopoétique et géocritique, pour rendre compte de l’évolution de l’oeuvre de Monique Proulx. La représentation des villes de Moncton et Montréal chez Jacques Ferron constitue l’objet d’étude des articles de Gerardo Acerenza et de Geneviève Chovrelat-Péchoux. Maurice Arpin analyse le « palimpseste » de la ville de Québec chez Anne Hébert. Daniel Laforest se penche sur la banlieue dans le récit québécois et propose une relecture de Nègres blancs d’Amérique de Vallières dans une nouvelle archéologie du périurbain. Alex Demeulenaere montre la reconfiguration de la ville de Montréal, un Montréal postnational, dans Nikolski de Nicolas Dickner. Les rivalités entre des villes (Ottawa et Sudbury), leur accès au rôle de capitales culturelles et littéraires (Moncton) et les représentations dans la littérature constituent l’objet de l’analyse des articles d’Ariane Brun del Re et de Johanne Melançon. Et Carla van den Bergh s’interroge sur les représentations de Paris dans le roman québécois contemporain et en élabore une typologie.

La troisième partie, « Variations sur le lexique urbain », s’intéresse aux topoï, aux thématiques, aux structures et aux images, aux lieux de mémoire et aux « non-lieux » ainsi qu’à la rhétorique et aux discours métaphorique de la ville. La lecture de l’espace urbain que mène Irène Oore dans le roman de Marie-Claire Blais Le Sourd dans la ville, à travers les références au mythe biblique et à l’art, montre l’affrontement entre la solidarité des personnages et le pouvoir aliénant de la ville. Sophie Beaulé se focalise sur les représentations de Montréal et de Québec dans des nouvelles relevant de la science-fiction, du merveilleux et du fantastique publiées dans la revue Solaris. Sarah-Anaïs Crevier Goulet analyse l’image de la « nécro-polis » dans l’oratorio Omaha Beach de Catherine Mavrikakis et la cohabitation entre les morts et les vivants qui y est suggérée. Denisa-Adriana Oprea étudie la manière dont les trois premiers romans de Lise Tremblay rendent compte de la métamorphose de trois villes, Chicoutimi, Québec et Montréal. L’écriture de la ville de Montréal est également analysée dans le roman La Canicule des pauvres de Jean-Simon Desrochers (Louis Bélanger), dans les romans de Réjean Ducharme (Petr Vurm) et dans les chansons du groupe Beau Dommage (Robert Proulx); tandis qu’Anne-Yvonne Julien se focalise sur le traitement scriptural de certains éléments de la scénographie urbaine dans les Chroniques du Plateau Mont-Royal de Michel Tremblay. Stefania Cubeddu-Proux analyse la ville de Québec chez Jacques Poulin, et Camille Deslauriers s’intéresse aux stratégies de spatialisation dans des nouvelles de Christiane Lahaie. D’autres chercheurs abordent des topoï comme la marche dans la ville chez les poètes José Acquelin, Renée Gagnon et Jean Sioui (Jonathan Lamy Beaupré) et le « mal d’espace » dans les textes de deux artistes acadiens, le groupe hip hop Radio Radio et Lisa Leblanc (Larry Steele). Emmanuelle Tremblay se penche sur le chronotope de la dégradation et le deuil de l’héritage dans Ruelle Océan de Rachel Leclerc. Deux autres chercheures abordent l’oeuvre de l’écrivaine Nicole Brossard : la représentation du désert et de la ville dans Le Désert mauve (Élodie Vignon), et l’écriture de la « cité » du désir dans Le Sens apparent et les configurations fictionnelles et fictives du récit des villes dans La Capture du sombre (Mireille Calle-Gruber).

La quatrième partie accueille des réflexions sur la façon dont les écritures migrantes ou des « migrances » (É. Ollivier) ont apporté de nouveaux regards sur la ville et ses reconfigurations. Robert Viau analyse l’évocation du quartier montréalais de Côte-des-Neiges dans l’oeuvre d’Alice Parizeau, Mauricio Segura et Émile Ollivier. Klaus-Dieter Ertler explore la mise en fiction de la ville dans le roman québécois du 21e siècle, et Régine Robin développe sa lecture de Montréal, « l’apprentissage de la bigarrure », en empruntant ses réflexions à la dernière partie – « après [léger] remaniement » – de son essai Nous autres, les autres. Annette Hayward analyse le chronotope de l’entre-deux dans cinq « romans migrants ». L’oeuvre de Dany Laferrière est l’objet de deux analyses : la mise en scène de la venue à l’écriture et le rôle propédeutique de la ville (Gabrielle Parker) et les sens et la mémoire de la ville (Juliette Valcke). Les trois derniers articles étudient la philosophie de l’urbanisme et de l’urbanité dans La Gare de Sergio Kokis (Jean Levasseur), la découverte sensorielle de la ville chez Ying Chen (Pamela V. Sing) et les configurations de l’hospitalité chez Abla Farhoud (Cécilia W. Francis).

L’imaginaire de l’espace urbain et périurbain constitue, au Canada et au Québec, un champ transdisciplinaire qui a atteint une grande qualité scientifique et un degré de maturité remarquable, grâce particulièrement à la convergence entre des chercheurs en sciences humaines et sociales tels que Lucie K. Morisset, Luc Noppen et Pierre Delorme, qui ont décidé d’aborder la complexité de la ville en adoptant une perspective pluridisciplinaire, des chercheurs en études littéraires comme Pierre Nepveu, Simon Harel et Jean-François Chassay, des traductologues comme Sherry Simon, et des écrivains tels que Nicole Brossard et Michel Tremblay, ou des écrivains-sociologues comme Émile Ollivier et Régine Robin. Le livre Littératures québécoise et acadienne contemporaines. Au prisme de la ville enrichit ce champ par la richesse et la diversité des approches et l’ampleur du corpus étudié, et nous invite parallèlement à réfléchir aux voies susceptibles de rendre compatibles le dynamisme inscrit dans la recherche et le fait que des chercheurs (Lise Gauvin et Régine Robin) proposent des chapitres déjà publiés d’une riche oeuvre littéraire. Une telle voie serait l’introduction d’entretiens ou entrevues permettant de réactualiser les discours et de créer ainsi un espace dialogique pertinent dans les ouvrages issus de colloques, conçus pour redynamiser et revivifier la recherche.