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L’augmentation des prix du gaz et du pétrole, couplée à des innovations technologiques, a rendu intéressante l’exploitation du gaz de schiste dans les années 2000 aux États-Unis. Cet hydrocarbure de roche mère, contrairement au gaz naturel conventionnel contenu dans des réservoirs localisés, est piégé dans les porosités d’une roche imperméable à 2000 ou 3000 m de profondeur et sur de vastes surfaces[1]. Son extraction s’effectue en fracturant la roche par forage horizontal, à l’aide d’un mélange d’eau, de sables et de produits chimiques; on parle alors de fracturation hydraulique. Alors qu’aux États-Unis, en Alberta et en Colombie-Britannique, ces hydrocarbures non conventionnels ont été considérés comme représentant une opportunité économique et stratégique, au Québec, ils ont été progressivement identifiés comme un risque environnemental et sanitaire.

Batellier et Sauvé (2011) ont déjà permis de saisir certains des enjeux de cette controverse sur le gaz de schiste au Québec. Des trois études sociologiques rassemblées par l’ÉES[2] (2014), celle de Bherer, Dufour et Rothmayr Allison (2013) décrit le mouvement citoyen, sans toutefois avoir eu accès aux matériaux de recherche de la présente étude. Celle de Fortin et Fournis (2013) conclut à l’absence d’acceptabilité sociale de l’industrie en définissant une approche multiniveau des diverses problématiques. Montpetit et Lachapelle (2013) s’intéressent pour leur part à la comparaison de l’opinion publique entre le Québec, le Michigan et la Pennsylvanie. De son côté, l’Institut National de la Santé Publique du Québec (INSPQ, 2013) produit un état des connaissances relatives aux risques sanitaires. Outre ces recherches récentes, la controverse est encore peu documentée dans les revues de sciences sociales en comparaison de la place grandissante qui lui est faite dans les sciences de la terre. Cet article examine la construction sociale et politique de la controverse sur le gaz de schiste[3] au Québec et de ses multiples enjeux. Il apporte un éclairage supplémentaire à l’analyse des controverses et des mobilisations en illustrant la force d’une coalition portant une revendication spécifique et la tendance tenace des gouvernements québécois successifs à prendre parti pour l’exploitation des ressources naturelles comme coeur de l’économie régionale.

Approche théorique

La construction du problème public de l’exploitation du gaz de schiste est abordée ici à travers la sociologie de la traduction – ou théorie de l’acteur-réseau – de façon à souligner les phases d’intéressement d’acteurs hétérogènes au sein d’un réseau (Akrich, Callon et Latour, 2006; Callon, 1986). Cette approche, habituellement appliquée à l’étude des innovations, des sciences et des techniques, met en jeu la figure du scientifique ou de l’ingénieur se trouvant au centre du réseau, comme un porte-parole qui cherche à imposer sa problématisation à tout un réseau d’acteurs qu’il doit intéresser pour permettre le succès de son innovation. L’« intéressement » est défini par M. Callon comme « l’ensemble des actions par lesquelles une entité s’efforce d’imposer et de stabiliser l’identité des autres acteurs qu’elle a définie par sa problématisation » (Callon, 1986, p. 187).

Je fais le choix d’utiliser le langage de l’acteur-réseau[4] pour décrire comment des acteurs parviennent à se faire les porte-paroles d’une vision particulière du problème de l’exploitation du gaz de schiste. Rompant avec la dynamique classique de la sociologie de la traduction, j’adopte une position écologique et décris plusieurs problématisations[5] concurrentes, portées par des acteurs différents qui s’allient finalement en deux réseaux principaux et opposés l’un à l’autre. En développant des liens d’intéressement spécifiques par le biais de constructions narratives efficaces (Hannigan, 2014), certains acteurs réussissent momentanément à cristalliser un réseau qui impose alors son cadrage (Goffman, 1974) du problème public.

La sociologie de la traduction manque cependant d’outils pour analyser le contenu des discours, c’est pourquoi j’utilise le concept de coalitions discursives (Hajer, 1993) qui permet d’insister sur les opérations narratives qui participent à l’enrôlement des acteurs. Ces coalitions ou réseaux d’acteurs « traduisent[6] » l’exploitation du gaz de schiste de manière contrastée dans différentes sphères : publique, médiatique et politique. Le passage d’une sphère à une autre implique un processus de « retraduction » qui tend à modifier la problématisation initiale, ce qui peut, à terme, conduire certains membres du réseau à la dissidence et entrainer la formation d’une nouvelle problématisation autour d’un nouveau porte-parole.

Méthodologie

Cette étude repose sur quinze entretiens réalisés en 2013 et 2014 au Québec auprès de militants, de responsables associatifs et administratifs et d’experts scientifiques. J’analyse également des documents de communication des acteurs engagés dans la controverse, qui me permettent d’interpréter leur positionnement argumentatif, et, en me servant des mémoires déposés au BAPE, de cartographier les coalitions discursives en présence dans la sphère publique et les ressorts des alliances entre les acteurs. J’ai ainsi regroupé les acteurs au sein de deux grandes coalitions : les promoteurs et les opposants. Il est possible de subdiviser ces coalitions selon le degré de soutien ou d’opposition, mais, pour la clarté du propos, un clivage binaire semble plus approprié. Pour définir la problématisation défendue au sein de la sphère politique, je m’appuie sur une étude des débats de l’Assemblée nationale (2009-2013) et sur près de 1900 articles de presse (2009-2012) issus des versions électroniques du Devoir et de LaPresse.ca (ceux-ci me servent aussi à analyser la traduction médiatique de l’exploitation du gaz de schiste). L’analyse des rapports du Bureau d’Audiences Publiques sur l’Environnement (BAPE, 2011) et de l’évaluation environnementale stratégique (ÉES, 2014) illustre le traitement administratif de la controverse et met en évidence sa retraduction institutionnelle à travers les types de discours et d’expertise mis en oeuvre pour y répondre.

L’article débute par la description de la position initiale du secteur d’action publique au sujet du gaz de schiste et de ses acteurs majeurs. Puis j’introduis la controverse en présentant l’intervention d’un réseau militant qui en met en cause la traduction établie. Enfin, je présente l’endiguement du mouvement d’opposition sous l’effet d’une problématisation gouvernementale qui n’interdit le gaz de schiste que pour mieux développer d’autres types d’hydrocarbures.

Une industrie soutenue par l’État

La tentative de mise en place d’une industrie du gaz de schiste au Québec est le fait d’un réseau de promoteurs regroupant entreprises et gouvernement. Leur coalition, portée par l’Association pétrolière et gazière du Québec (APGQ), se structure autour d’une narration assez traditionnelle qui présente l’exploitation du gaz de schiste comme une opportunité économique et stratégique, et les techniques d’extraction comme maitrisées et sécuritaires.

Une coalition d’acteurs économiques à la manoeuvre

Entre 2006 et 2008, la gestion étatisée des hydrocarbures québécois laisse la place à une gestion privée lorsque Hydro-Québec cède ses permis à trois compagnies privées : Junex, Gastem et Pétrolia, qui débutent l’exploration du gaz de schiste dans la vallée du Saint Laurent. Cette dynamique résulte du travail combiné du gouvernement libéral de Jean Charest et des membres de l’APGQ, créée en 2009, dont le président n’est autre qu’André Caillé, ancien président d’Hydro-Québec, qui s’affiche en porte-parole d’une industrie déjà en plein essor de l’autre côté de la frontière américaine et dans l’Ouest canadien.

L’industrie gazière regroupe des entreprises provinciales comme Junex, nationales comme l’albertaine Talisman, ou encore étrangères telles que l’australienne Molopo. Ce sont des compagnies dites juniors, qui prospectent et revendent ensuite à prix d’or leurs permis d’exploitation à des majors. La majorité des 26 compagnies se partageant plus de 450 permis déposés sur le shale (ou schiste) d’Utica sont membres de l’APGQ. L’industrie possède des dizaines de lobbyistes inscrits au registre de l’Assemblée nationale, dont un certain nombre sont issus du Parti Libéral du Québec.

L’industrie communique avant tout par l’intermédiaire de l’APGQ et de son président A. Caillé. D’autres organisations prennent la défense de l’industrie[7], comme la Fédération des chambres de commerce, certaines entreprises liées à cette industrie , et certains élus locaux[8]. L’industrie est défendue par le gouvernement Charest qui, dans la veine de sa promotion du Plan Nord, souhaite appuyer le développement économique du Québec sur l’exploitation des ressources naturelles (MRNF, 2011; PLQ, 2012). Ce réseau d’acteurs forme une seule coalition discursive qui traduit l’industrie du gaz de schiste comme un potentiel économique et un domaine technique connu par les seuls professionnels et experts (ingénieurs-géologues notamment) qui le pratiquent de l’intérieur.

Un réseau soutenu par le cadre légal et la conjoncture économique

La Loi sur les mines fixe la procédure d’attribution des permis à des tarifs faibles et s’appuie sur le principe de la préséance minière, ne favorisant ni l’information, ni la participation du public. L’industrie bénéficie ainsi d’une bienveillance légale qui, quoique la loi soit inadaptée, favorise son développement dans la tradition de l’économie canadienne des matières premières (Hessing et Howlett, 1997).

La spécificité technique de l’exploitation du gaz de schiste n’est pas encadrée légalement puisqu’aucun texte ne cible la fracturation hydraulique et ses risques potentiels. Ceux-ci sont d’ailleurs minimisés par A. Caillé qui décrit les produits chimiques utilisés comme courants, les risques de pollution comme accidentels et les fuites, de méthane ou de produits chimiques, comme liées à des défauts de cimentation des puits. Pour l’APGQ : « La fracturation hydraulique est une technologie éprouvée qui est utilisée partout dans le monde depuis plus de 60 ans pour accéder de façon sécuritaire aux réserves de pétrole et de gaz naturel »[9]. La technique est parfaitement maitrisée et les erreurs des premières années ne seront pas répétées au Québec puisque les compagnies gazières utilisent les meilleures pratiques disponibles.

En juin 2008, le prix du gaz atteint un pic à 13US$/MBTU[10] et rend l’exploitation du gaz de schiste québécois intéressante économiquement. Un premier forage exploratoire à Bécancour confirme la présence de gaz naturel dans le shale d’Utica. Les acteurs étatiques souhaitent que le Québec bénéficie du même développement gazier que son voisin américain et réduise sa dépendance aux hydrocarbures venant de l’Ouest canadien. Les opportunités de création d’emploi et de redevances minières sont aussi présentées comme des arguments centraux par la plupart des partisans (le Ministère des Ressources Naturelles et de la Faune (MRNF) dans son rapport au BAPE parle de la création de 10 000 emplois). L’activité gazière est présentée comme structurante pour les territoires qui en retireront des emplois « bien payés » et de nouvelles infrastructures, tandis que l’État engrangera des redevances permettant le maintien du modèle social québécois[11]. L’APGQ et le gouvernement Charest mettent aussi en avant l’intérêt de produire un gaz « national », moins polluant[12] puisque transporté sur de plus courtes distances, et de bénéficier d’un développement économique comparable à l’Alberta et à la Colombie-Britannique, qui exploitent leur gaz de schiste.

La traduction dominante de l’industrie du gaz de schiste est donc celle d’un gaz naturel en plein essor, sur le point de devenir l’énergie du 21e siècle[13] grâce à sa caractérisation comme énergie de transition entre le charbon et le pétrole (très émetteurs de gaz à effet de serre), d’une part, et les énergies renouvelables (pas encore assez efficaces), d’autre part. Le gaz de schiste s’inscrit dans la continuité de la production gazière sans qu’on tienne compte de ses spécificités techniques. On est dans un niveau d’argumentation technique qui cherche sa justification dans la diversification énergétique mais surtout dans la nécessité de produire de l’énergie face à une demande mondiale grandissante.

La construction narrative mise en avant par ses promoteurs fait du gaz de schiste une ressource économique et énergétique pour les décennies à venir, et de la fracturation hydraulique un non problème. L’exploitation gazière est ainsi problématisée par l’APGQ : l’essor économique des États-Unis et de l’Alberta est-il reproductible au Québec?

Un récit insuffisant et maladroit

Dès le printemps 2010, le discours de maitrise technique de l’industrie vacille. À l’accident sur la plateforme Deepwater Horizon, en avril, succède un accident de même nature sur un puits de gaz de schiste en Pennsylvanie, que l’industrie a du mal à maitriser. Mais l’APGQ se veut optimiste puisque l’industrie gazière québécoise mettra en place les meilleurs standards et deviendra, selon les mots de Nathalie Normandeau, « la référence en Amérique du Nord »[14].

Face à la montée de la contestation en 2010, l’APGQ modifie sa stratégie de communication. Conjointement au déclenchement de l’enquête du BAPE en septembre, elle lance une campagne d’information, mais les membres de l’industrie, et surtout son président A. Caillé, sont pris à partie. L’opportunité de cette industrie, les modalités et la précipitation de sa mise en oeuvre sont remises en question. L’industrie ne fait pas mieux lors des audiences du BAPE puisque sa défense technique du gaz de schiste se heurte à une mise en cause globale de cette activité. Les propos rassurants d’experts anglophones n’empêchent pas le « gros bon sens » de soulever des interrogations, auxquelles l’industrie n’a pas de réponse, sur des sujets tels que la capacité assurantielle des riverains, l’entretien de l’après-puits, ou encore les impacts de santé publique. L’industrie est surprise par l’ampleur du mouvement de contestation et par sa durée.

Pendant l’automne, ce sont deux figures du mouvement souverainiste qui arrivent au-devant de la scène : Lucien Bouchard, ancien premier ministre du Québec, et André Boisclair, ancien chef du Parti Québécois (PQ). La stratégie est de montrer que l’industrie du gaz de schiste n’est pas une filière libérale comme les accusations de collusion portent à le croire (Chouinard, 2010). L. Bouchard prend la place d’André Caillé comme porte-parole à la fin de 2010 et met en avant le rôle du gaz comme ressource nationale; il en fait l’outil du développement provincial au même titre que l’hydroélectricité dans les années 60.

La crédibilité du porte-parole est mise à mal par l’intervention d’autres partisans qui développent un discours contre-productif en récusant l’opposition au projet d’exploitation comme reposant sur un manque de connaissances ou un biais idéologique; ou en la réduisant à des considérations purement psychologiques, tel Michael Binnion, le président de Questerre Energy, qui compare les opposants au gaz de schiste aux gens qui croient qu’Elvis Presley est encore vivant (Presse canadienne, 2011a). Il déclare aussi : [traduction] « Nous [l’industrie] pensons qu’il faut un diplôme universitaire et vingt ans d’expérience pour comprendre [les enjeux du gaz de schiste], mais maintenant nous faisons face à des gens qui pensent pouvoir le comprendre après dix minutes sur internet »[15]. Un ancien porte-parole de l’industrie concède que « beaucoup de rendez-vous [ont été] manqués », et que les compagnies étrangères ont commis l’erreur de ne pas s’être « adapt[ées] à une réalité québécoise »[16].

À partir de 2011, l’industrie se tourne plutôt vers le pétrole de schiste et conventionnel de Gaspésie et de l’Île d’Anticosti. Le prix du gaz est tombé si bas (3.89US$/MBTU en 2009 et presque 2US$/MBTU en 2012 avant de se stabiliser autour de 3.5US$ depuis 2012 [Gonzalez, Criado et Herrmann, 2013]), à cause du boum gazier américain, qu’investir au Québec devient de moins en moins rentable, d’autant que la possibilité d’un durcissement réglementaire constitue un frein à l’investissement. Ce revirement tactique ne restaure pas pour autant l’image durablement dégradée de l’industrie gazière au Québec.

L’image même du gaz de schiste comme énergie propre est écornée à travers la publication médiatisée d’une étude de l’Université Cornell sur les émissions fugitives de méthane et le potentiel polluant du cycle complet de production de ces hydrocarbures non conventionnels (Howarth, Santoro et Ingraffea, 2011). En quelques mois, le réseau de l’industrie perd la faveur de la conjoncture économique et de la transition énergétique, et sa problématisation est affaiblie.

La faiblesse des liens forts

Le second acteur de poids de ce réseau des promoteurs du gaz est le gouvernement Charest. Le Ministre de l’Environnement, Pierre Arcand, ne mandate le BAPE en 2010 que sous la contrainte de mobilisations en plein essor, et c’est surtout sa collègue du MRNF, Nathalie Normandeau, la vice-première ministre, qui est aux commandes du dossier. Dès juin 2010, elle déclare : « c’est un rendez-vous que le Québec ne peut pas manquer » (Shield, 2010b).

Mais tout comme l’industrie, le gouvernement faillit dans sa gestion, et surtout sa communication, sur le gaz de schiste. Les liens étroits entre le Parti Libéral du Québec (PLQ) et l’industrie sont d’abord mis en évidence dans les médias (Presse canadienne, 2010a). Force est de constater que les lobbyistes de l’industrie inscrits au registre public comptent de nombreux transfuges du PLQ. Ensuite, le manque de maitrise du dossier transparait lorsque la ministre affirme que le gaz de schiste réduira les émissions de gaz à effet de serre (Presse canadienne, 2010b), sans aucune étude à l’appui. En janvier 2011, après la découverte de nombreuses fuites de méthane à Leclercville, la Ministre Normandeau continue de soutenir que la situation est parfaitement sous contrôle (Côté, 2011), mais rien ne semble être fait pour changer la situation (Presse canadienne, 2011b). Pourtant, la stratégie semble évoluer, le Ministère de l’Environnement assume son rôle à travers des interventions « préoccupées » du Ministre Arcand (Presse canadienne, 2011c), et des avis d’infraction médiatisés sont envoyés aux compagnies ne respectant pas les normes environnementales. Le Ministre des Finances Raymond Bachand révise également les redevances gazières à la hausse, afin de démontrer l’intérêt de l’exploitation pour les finances publiques, et déclare : « Comme peuple, on ne se fait pas fourrer » (Salvet, 2011). Mais les libéraux, qui ont perdu leur crédibilité dans la gestion de ce dossier (Commissaire au développement durable, 2011), limitent leur argumentaire à un niveau technique d’adaptation réglementaire.

La problématisation du gaz de schiste comme opportunité économique, et de la fracturation hydraulique comme technique maitrisée, est fragilisée à partir de l’été 2010. Les liens forts entre l’industrie et le gouvernement, qui avaient permis aux compagnies d’acquérir près de 600 permis d’exploration, sont progressivement affaiblis par la montée d’une traduction contraire, qui enrôle un nombre bien plus conséquent d’acteurs opposés à l’exploitation.

Enrôlement d’un réseau d’opposants unis autour d’un moratoire

Le réseau d’opposition regroupe des acteurs situés à divers niveaux d’échelle, qui se coalisent autour d’une problématisation axée sur un moratoire pendant la durée duquel des études d’impact devront évaluer l’opportunité sociale, économique et environnementale de l’exploitation du gaz de schiste.

Une coalition hétérogène

Une militante de la vallée du Richelieu fait émerger la cause du gaz de schiste au Québec en publiant dès 2008 un article sur gaïapresse.ca[17], repris au début 2009 dans un ouvrage collectif sur la transition énergétique intitulé « Maitre chez nous, 21e siècle », dirigé par D. Breton. Il s’agit de donner l’alerte sur les risques liés à la fracturation hydraulique pour les communautés locales, à partir d’informations provenant de militants des États de New-York et de Pennsylvanie.

C’est ensuite l’AQLPA (Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique) qui demande un moratoire, en septembre 2009, en mettant en avant les risques de pollution de l’eau et de l’air, le manque de ressources pour des inspections et le droit des municipalités[18]. Le mouvement d’opposition se concentre alors sur la demande de moratoire, dénonçant en creux le blanc-seing donné à l’industrie.

Fin 2009, à Saint-Marc-sur-Richelieu, se forme le premier comité de vigilance contre le gaz de schiste, suite à la planification d’un forage dans la municipalité par la société Molopo. Ce comité de Saint-Marc est symbolique à plusieurs égards parce qu’il regroupe des citoyens impliqués dans l’opposition aux porcheries industrielles, dans la protection des cours d’eau régionaux, dans l’AQLPA et dans le collectif scientifique contre le gaz de schiste qui sera formé au début de 2011. Le maire, qui vient d’être élu en novembre 2009, dépose une demande de moratoire à la MRC de la Vallée-du-Richelieu, qui est acceptée en janvier 2010. Après une rencontre infructueuse avec la société Molopo, une première action juridique est entamée en mars 2010 par les citoyens de Saint-Marc, qui intentent un recours auprès de la Commission de Protection du Territoire Agricole du Québec (CPTAQ). Le comité perd son recours mais gagne suffisamment de temps pour empêcher le début des travaux avant le déclenchement, à l’été 2010, des audiences publiques qui bloquent tout travail d’exploration. Très vite, il s’agit de planifier une action nationale; une rencontre à laquelle prennent part plusieurs organisations environnementales, des citoyens et des universitaires, a lieu à Saint-Marc à la fin de mai 2010, et un mouvement d’opposition provincial prend forme. La construction narrative initiale, publiée dans un document intitulé « Québécois(es), dormons-nous au gaz… de schiste?[19] » , combine une dénonciation de la gouvernance du territoire basée sur la préséance minière et de l’absence d’étude d’impact portant sur les effets de la fracturation hydraulique.

Le mouvement d’opposition s’enracine dans les régions concernées par les permis, qui sont parmi les plus urbanisées et les plus agricoles de la province, mais également en dehors de ces régions. Montpetit et Lachapelle (2013) font valoir que l’opinion négative sur le gaz de schiste dépasse largement le cadre restreint du « Pas dans ma cour ». Bherer, Dufour et Rothmayr Allison (2013) montrent que les endroits où se concentrent le plus de collectifs citoyens et de réunions publiques sont aussi les plus urbanisés, comme la vallée du Richelieu et les périphéries de Drummondville et de Trois-Rivières. On dénombre une centaine de comités citoyens à la fin de 2013, formés sur la base des villages et des MRC. Leurs membres sont issus de précédentes mobilisations sociales, mais aussi et surtout des populations locales, inquiètes pour leur santé et leur qualité de vie, suivant le modèle des mouvements grassroots américains. Dans un premier temps, il ne s’agit pas tant de s’opposer à cette industrie que d’en connaitre les impacts.

La matérialité du gaz de schiste joue contre la problématisation des promoteurs : l’étendue du territoire à forer, le faible taux de récupération en comparaison des forages conventionnels, les forages horizontaux et la fracturation hydraulique sont autant de qualités chargées négativement pour les opposants. Malgré la capacité technique des ingénieurs-géologues à exploiter ces gisements, les opposants parviennent à définir l’exploitation du gaz de schiste non comme une prouesse technologique mais comme une technique dangereuse pour exploiter des hydrocarbures toujours plus sales.

Les comités citoyens sont soutenus par des associations environnementalistes comme l’AQLPA ou la coalition Eau Secours, ou encore « Maîtres chez nous au 21e siècle » (MCN21), centrant ses actions sur les problèmes énergétiques et rassemblant depuis 2005 des associations provinciales et nationales. Le dossier du gaz de schiste s’agglomère ainsi dès les débuts avec d’autres problématiques touchant l’énergie et la protection de l’environnement. Ces associations amplifient le discours et apportent un soutien logistique et technique aux collectifs grâce à leurs ressources humaines et financières plus importantes : animation de débats, rédaction de mémoires pour le BAPE, communiqués de presse, expertise, etc. Elles offrent également des porte-paroles reconnus par les médias, alors que l’horizontalité du mouvement des comités de vigilance déroute les journalistes (peu de représentants des comités sont cités dans les articles de presse dans les premiers mois de la mobilisation). Au niveau national, la contestation porte davantage sur l’insertion de l’exploitation d’hydrocarbures dans un projet énergétique pour le Québec; le choix paradigmatique apparait alors plus clairement. Le discours militant traduit l’industrie du gaz de schiste comme une menace pour l’environnement et un révélateur des lacunes dans la gouvernance des territoires. Les opposants forment une coalition discursive qui regroupe des préoccupations locales d’occupation du territoire, nationales de gouvernance des ressources et de processus décisionnel, et globales de transition énergétique.

À la question-synthèse des promoteurs de l’industrie, « Comment reproduire l’essor économique américain basé sur l’exploitation du gaz de schiste? », les opposants répliquent en intéressant les acteurs locaux et nationaux à la problématisation « Pourquoi développer le gaz de schiste? ».

Une problématisation environnementale experte, populaire et territoriale

Les opposants s’emploient à défaire les liens d’intéressement mis en place par le réseau des promoteurs autour des avantages économiques, de la maitrise technique et du positionnement en matière de stratégie énergétique. Ils accusent les experts de l’industrie et de l’administration de biais idéologiques et réclament une expertise indépendante :

Au début 2010, quand on a eu la confirmation en anglais que la compagnie allait s’installer dans notre village et qu’on n’avait rien à dire, et que peut-être on aurait une patinoire en compensation, à ce moment-là, nous avons été saisis d’une peur profonde et collective. On a compris que l’information à laquelle le gouvernement avait accès était totalement insuffisante. J’ai demandé aux représentants des ministères : d’où vient l’information? Et ils m’ont répondu : nous l’avons des compagnies[20].

Le mouvement citoyen mobilise ainsi différents experts pour contrer l’argumentaire de l’industrie et du gouvernement. Il s’agit d’abord de géologues, souvent retraités, d’économistes ou de juristes, mais également d’experts provenant de disciplines peu mobilisées dans le discours de l’industrie, comme la toxicologie, la biologie, le développement territorial, etc. On peut notamment citer l’influence du professeur retraité de l’UQAM Marc Durand sur les questions géologiques, ou celle du docteur en droit Richard E. Langelier en matière juridique, lequel rédige le règlement de Saint-Bonaventure permettant aux municipalités de s’opposer par voie légale à l’industrie. Ce règlement municipal interdit l’introduction de produits chimiques dans le sol à proximité des captages d’eau municipaux, et permet de bloquer l’industrie dans les limites des compétences municipales. Saint-Bonaventure est la première municipalité à l’adopter en novembre 2011, suivie par plus de 100 municipalités à la fin 2013. Des économistes de HEC Montréal, Pierre Batellier et Jacques Fortin, dénoncent les calculs des avantages économiques et des créations d’emplois avancés par l’industrie et ses firmes de consultants.

Les militants mobilisent aussi des connaissances dans des champs extérieurs à la lutte, en consultant par exemple des rapports en santé publique de l’Institut National de Santé Publique du Québec ou du National Institute of Environmental Health Sciences américain. Le collectif scientifique sur la question du gaz de schiste, créé début 2011, centralise toutes ces expertises. Regroupant 169 professeurs d’université et de CEGEP, il rassemble de nombreuses études et organise des cycles de conférences pour favoriser l’éducation citoyenne sur ce sujet.

Mieux encore, une myriade de personnes dont l’expertise est « basée sur l’expérience » s’engagent dans la mobilisation. Certains pêcheurs ou agriculteurs utilisent leur capacité de « discrimination locale » (Collins et Evans, 2007, p. 49) pour critiquer l’expertise certifiée et la non prise en compte de spécificités locales. Par exemple, un programme de réintroduction du chevalier cuivré dans un cours d’eau relié à la rivière Richelieu serait mis à mal par les prélèvements et les rejets de l’industrie (MRNF, 2012)[21]. Dans Lotbinière, ce sont les agriculteurs qui mettent en lumière les impacts de la production gazière des années 70 ou les problèmes posés lors de l’implantation de la filière éolienne, dont l’industrie gazière répète les erreurs[22].

Les municipalités s’affichent en première ligne en demandant plus de pouvoir sur leur territoire et en s’estimant lésées par le modèle actuel qui fait de l’État l’unique interlocuteur des compagnies exploitantes.

L’utilisation des terres pour des fins non agricoles comme [les industriels du gaz de schiste] le font, c’est clair que notre schéma d’aménagement, notre règlement d’urbanisme ne le permettraient pas pour tout autre type d’industrie, mais eux, oui parce que c’est la Loi sur les mines qui a préséance[23].

La position des élus municipaux apparait plus pragmatique qu’idéologique, ces derniers souhaitant connaitre les risques liés à cette activité avant de l’autoriser, et ils prennent position surtout sous la pression de leurs administrés. Mais en prenant position a minima pour un moratoire afin d’évaluer les risques, ceux-ci participent à la coalition discursive des opposants. Ces élus locaux deviennent une courroie importante du mouvement d’opposition à travers diverses résolutions prises en conseil municipal et au sein des MRC. Ce sont d’abord de petites municipalités qui demandent un moratoire, mais elles sont suivies par de plus importantes comme Saint-Hyacinthe[24]. Certaines Conférences régionales des élus (CRE) soutiennent le mouvement, comme en Montérégie-Est, où la CRE demande la démonstration « par des instances crédibles, objectives, indépendantes, disposant des moyens et du temps requis, que le développement de l’industrie peut être viable, vivable et équitable »[25]. Ces résolutions demeurent symboliques mais il s’agit pour ces élus de défendre leur territoire, leurs prérogatives et les intérêts de leurs administrés.

Les élus locaux souhaitent savoir si cette industrie est conciliable avec les caractéristiques de leur territoire :

Au sein de la MRC des Maskoutains, c’était moins les préoccupations environnementales qui faisaient l’unanimité que l’impact économique de la présence des puits de gaz de schiste sur nos terres agricoles, parce qu’ici la production agricole est le moteur de notre développement[26].

Ils ne veulent pas d’une indépendance énergétique au détriment de l’indépendance alimentaire, et sur ces questions agricoles, des institutions comme la CPTAQ ou l’union des producteurs agricoles (UPA) jouent aussi un rôle important. Alors que la première tend à ne pas entraver les forages, la seconde soutient finalement un moratoire. L’UPA souhaite d’abord représenter l’intérêt de ses membres en cherchant à négocier un accord-cadre avec l’APGQ fixant les conditions minimales des contrats d’utilisation des terres agricoles[27]. Mais plusieurs de ses comités régionaux prennent position contre l’industrie en 2011, suite notamment à un voyage d’information effectué en Pennsylvanie[28]. Pour le monde agricole, ce n’est pas tant les forages qui laissent une empreinte sur le territoire que le réseau de gazoducs nécessaires à l’acheminement du gaz, ce dernier étant laissé complètement de côté lors des débats publics, dans une tentative de gestion « saucissonnée » de la controverse. La non-consultation des acteurs locaux et l’encadrement inadéquat sont deux moteurs de la contestation pour les acteurs qui ne sont pas des militants écologistes. Fortin et Fournis le montrent bien en analysant les mémoires déposés au BAPE, dont plus de 90 % abordent la question du processus politique et de la régulation, tandis que 70 % discutent d’environnement et d’économie (Fortin et Fournis, 2013, p. 69).

Grâce à leur choix d’une problématique centrée sur l’opportunité de la filière gazière au Québec, les opposants au gaz de schiste parviennent à enrôler efficacement à la fois des habitants inquiets pour leur qualité de vie, des militants environnementaux préoccupés par la transition énergétique, des élus locaux soucieux de faire valoir leurs prérogatives territoriales et un monde agricole désireux de préserver son économie alimentaire. En coupant les liens établis par les promoteurs de l’industrie et en publicisant la construction narrative mise en avant par ces derniers, ils réussissent à imposer leur propre cadrage du problème dans la sphère publique et médiatique.

Une réaction institutionnelle contre-productive face à un mouvement de contestation en expansion

À partir de l’été 2010, les principaux médias traitent plus abondamment du dossier du gaz de schiste, favorisant ainsi la convergence d’acteurs vers des objectifs communs d’opposition à la politique gouvernementale. Le gouvernement Charest, qui campait sur sa position de refus du moratoire, accepte finalement une enquête publique du BAPE en septembre 2010.

Le BAPE, instrument de publicisation et de confinement

Le gouvernement Charest cède à la pression populaire et médiatique en mandatant une enquête du BAPE en septembre 2010. Mais sa portée est réduite, et nombreux sont ceux qui y voient une opération tournée uniquement vers la recherche d’acceptabilité sociale et une tentative d’encadrement institutionnel de l’opposition. L’enquête ne porte que sur le développement durable de l’industrie du gaz de schiste et non sur son opportunité; de plus, seules les trois régions concernées par l’industrie sont ciblées, et la commission ne dispose que de cinq mois pour travailler. L’éditorialiste Pierre Foglia résume ainsi cet exercice consultatif : « Le vrai mandat du BAPE : fracturer la roche de la résistance citoyenne, en extraire le gaz et le laisser s’échapper pour relâcher la pression » (Foglia, 2010). Ce mandat du BAPE bricolé aiguise ainsi la méfiance des militants et renforce l’opposition au gouvernement libéral accusé d’être « vendu » à l’industrie minière.

Près de 400 personnes sont auditionnées et 200 mémoires déposés auprès de la Commission du BAPE. On note toutefois que le nombre de participants de l’industrie (65 représentants des compagnies et 25 des associations professionnelles) est relativement important, puisque seulement une vingtaine de compagnies se partagent les permis de recherche de gaz de schiste. À l’inverse, 13 comités citoyens et 32 associations environnementales sont auditionnées, et c’est surtout par des voix individuelles (97) que les « opinions » des citoyens sont recueillies. Le rapport final laisse une large part à la définition technique du gaz de schiste (la bibliographie est composée de près de 50 % de références concernant l’administration et l’industrie, et les références scientifiques relèvent à plus de 50 % du domaine des géosciences), et confine les « préoccupations et opinions des participants » au seul chapitre 5. Le BAPE conclut à l’impossibilité de donner un avis, en raison de l’insuffisance des connaissances nécessaires à une réglementation adéquate. Ses conclusions ne satisfont ni le gouvernement, qui avait espéré une résolution rapide, ni l’industrie, qui doit attendre l’évaluation environnementale stratégique (ÉES) à suivre, ni enfin les militants, qui souhaitent un moratoire. La prise de décision est repoussée jusqu’à ce que des données scientifiques plus précises soient disponibles.

La retraduction médiatique, le point de bascule?

Bien que lancée dès 2009, l’alerte sur le risque environnemental n’atteint la sphère médiatique qu’à l’aube du déclenchement de l’enquête du BAPE. La présence de porte-paroles charismatiques comme Dominic Champagne, Daniel Breton ou André Bélisle facilite la diffusion des revendications des opposants dans les médias, mais, de son côté, le modèle de développement critiqué par une grande partie des opposants ne parvient pas à trouver d’écho médiatique. Les principaux journaux font la chronique des prises de position de nombreux acteurs et des réactions politiques et administratives. L’attention médiatique atteint son point culminant avec l’annonce du mandat confié au BAPE, à la fin d’août 2010, suscitant une avalanche d’articles (160 articles en septembre 2010, dont 84 uniquement dans Le Devoir). D’autres moments d’intense activité médiatique correspondent à l’arrivée de Lucien Bouchard à l’APGQ, en janvier 2011, et à la publication du rapport du BAPE, en février 2011. Ce sont en effet le feuilleton politique et la critique de la gouvernance par le gouvernement libéral qui remplissent le plus les colonnes des journaux. La lunette médiatique déforme le discours militant en en cristallisant avant tout les aspects conflictuels : « depuis au moins deux ans, on fait des conférences de presse en deux parties, une partie sur le gaz de schiste et une partie sur les alternatives au gaz de schiste. Quand ça sort dans les journaux, c’est comme si on n’avait pas fait de deuxième partie »[29]. Les dossiers de fond sont en effet plus rares que les articles sensationnalistes. Le filtre médiatique et politique ne laisse donc passer qu’une partie de la traduction défendue par les militants. La problématisation centrée sur les risques est bien représentée dans ces journaux, mais le cadrage est principalement fait sur le mode de gouvernance. La critique sous-entend que davatange de consultation en amont et moins de précipitation auraient permis un développement harmonieux de cette filière. La traduction de l’industrie est ainsi défaite dans la forme mais pas directement sur le fond.

Néanmoins, les opposants parviennent à enrôler partiellement les journalistes. Les médias participent à la création d’une situation d’urgence qui favorise un traitement sensationnaliste qui aide au succès de l’alerte lancée par les opposants. Chateauraynaud et Torny soutiennent qu’« une des conditions du succès d’une alerte réside dans un certain art de l’amplification visant à susciter l’extrapolation. Il faut en quelque sorte convoquer l’imagination des agents récepteurs » (Chateauraynaud et Torny, 1999, p. 46). Le documentaire engagé Gasland, sorti à l’automne 2010, les fuites du puits de Leclercville, les risques irréversibles pour les nappes phréatiques, tout cela a engendré un climat d’urgence. L’effet d’alerte est amplifié par la mise en série avec d’autres évènements d’envergure concernant l’exploitation d’hydrocarbures et la production énergétique : « Tous les évènements désastreux qui se passent ailleurs servent d’affiche. Les pipelines qui se déversent dans la rivière Kalamazoo, le puits qui a explosé dans le golfe du Mexique. Tu imagines le golfe du Saint Laurent, la rivière Yamaska »[30]. Ces évènements sont opportunément mobilisés pour élargir les revendications.

Les parlementaires, des acteurs essentiels à la problématisation dans la sphère politique

Les audiences publiques poussent un allié politique important à se positionner : le Parti Québécois (PQ). L’automne 2010 voit se multiplier les passes d’armes entre M. Charest et Mme Marois à propos de la gouvernance du dossier du gaz de schiste. Fin octobre 2010, le député péquiste Scott McKay dépose une proposition de loi sur un moratoire sur le gaz de schiste, rejetée faute d’une majorité pour la voter. La position du PQ demeure ambivalente, comme le montre cette déclaration de la députée Martine Ouellet : « Je suis pour l’exploitation des gaz de schiste, mais pas à n’importe quel prix sur la santé, pas à n’importe quel prix sur l’environnement, puis pas pour des retombées économiques ridicules pour le Québec »[31]. Difficile pour les péquistes de sortir de l’idéologie productiviste dominante, surtout lorsque les libéraux les accusent d’être anti développement : « La chef de l’opposition officielle demande un moratoire et s’associe à José Bové, M. le Président, un activiste radical de gauche pour qui, M. le Président, le développement économique est devenu une menace pour le genre humain »[32].

Désormais le sujet est entré dans la sphère parlementaire et il se conjugue plus finement avec les revendications en matière de préséance minière sur lesquelles le PQ est déjà en lutte avec le PLQ. En 2010 et 2011, le PQ fait échouer deux tentatives de réforme de la loi sur les mines qui renforçaient le droit minier au détriment de celui de l’environnement et des municipalités (projets de loi n°79 et n°14). Cette loi ne correspond pas à la réalité d’une industrie se développant dans un milieu peuplé et sur un territoire dont les ressources sont déjà exploitées de nombreuses manières. Les militants de la coalition Pour que le Québec ait meilleure mine[33] font justement remarquer les problèmes de gouvernance associés à cette loi et réclament un meilleur compromis entre le respect de l’environnement, la participation des municipalités et des habitants au développement territorial, et la possibilité pour l’industrie d’exploiter le sous-sol. L’autre bataille législative concerne le règlement sur les prélèvements d’eau, dont la réforme n’aboutit pas (projets des libéraux en 2011 et des péquistes en 2013). Ces deux luttes législatives mettent en évidence les lacunes de la gestion du dossier du gaz de schiste qui ont permis la mobilisation des élus locaux et des habitants. Dernier sujet parlementaire important, la loi n°18, limitant les activités pétrolières et gazières dans le golfe du Saint-Laurent est votée par les libéraux en juin 2011. Elle interdit les forages dans le lit du fleuve en aval de Québec, et les péquistes tenteront en vain de faire étendre l’interdiction à la totalité du fleuve et d’y inclure les forages horizontaux depuis les rives.

Un mouvement d’opposition durable face à un cadrage sur l’incertitude

Malgré les travaux du BAPE, le mouvement d’opposition s’étend en 2011, mais la poursuite du processus administratif menant à une évaluation environnementale stratégique (ÉES) déplace la controverse vers la sphère scientifique. Malgré leur caractère artificiel, les sondages montrent une opposition croissante au gaz de schiste dans la population. Selon un sondage Léger Marketing effectué fin septembre 2010, les opposants représentent 35 % de la population; fin octobre, 76 % se disent en faveur d’un moratoire; deux ans plus tard, les partisans de l’exploitation ne représentent que 17 % de la population. Au début de 2011, une pétition de 120 000 signatures exigeant un moratoire, parrainée par le député de Québec Solidaire Amir Khadir, est déposée par l’association « Non au Pétrole et Gaz de Schiste au Québec »[34].

Les comités locaux se sont organisés dans le Regroupement interrégional sur le gaz de schiste de la vallée du Saint-Laurent (RIGSVSL), créé en décembre 2010, ou encore dans le Moratoire d’une génération, le groupe le plus actif du mouvement. Ces regroupements favorisent la reconnaissance de porte-paroles provinciaux comme Serge Fortier ou Marc Brullemans qui apparaissent souvent dans les médias. Internet et les médias sociaux sont fortement utilisés par le regroupement afin de mobiliser la population en faveur de son action, comme par exemple lors de la campagne « Wo! » menée fin novembre 2010 sous l’impulsion du metteur en scène Dominic Champagne. Le clip sera visionné plus de 550 000 fois en quelques mois. Le rôle d’internet est central dans l’échange d’information et la coordination des actions entre les différents citoyens engagés dans la lutte, mais aussi dans la communication avec le grand public.

La publication du rapport du BAPE en février 2011 ne clôt pas la controverse, dont la gestion passe dans les mains du comité de l’ÉES. Ses travaux débutent en mai, mais les membres composant le comité sont dénoncés comme acquis à l’industrie. Les militants se méfient de ce nouveau processus d’évaluation qu’ils perçoivent comme une opération de recherche d’acceptabilité sociale – ils refusent notamment de participer aux études sociologiques de l’ÉES (Bherer, Dufour et Rothmayr Allison, 2013). De l’aveu d’un membre du BAPE, le gouvernement n’a pas choisi les experts recommandés par ce dernier et opté en faveur de proches de l’industrie : « On leur avait dit ’oui ils ont les compétences, mais si j’étais vous je ne les nommerais pas’, ils ont fait l’inverse »[35]. Malgré certains aménagements comme la création de comités miroirs composés de certains opposants, ou l’organisation de séances publiques d’information en décembre 2011, l’ÉES restera marquée par le « péché originel » des libéraux de vouloir orienter politiquement les études. Ni le mandat confié au BAPE ni l’ÉES ne peuvent être considérés comme l’expression d’un changement de politique de la part des libéraux, puisque la controverse est abordée par le niveau technique des conditions de la mise en oeuvre de l’industrie. Néanmoins, parmi les 70 études de l’ÉES, on trouve des questionnements qui s’intègrent à la problématisation portée par les opposants : travaux sur le cadre légal, la rentabilité économique, l’acceptabilité sociale, les risques environnementaux, etc. Force est de constater que ces études apportent une caution scientifique aux préoccupations mises en avant par les opposants.

Le 5 mars 2011, une grande partie des militants environnementaux du Québec se rencontre à Trois-Rivières pour décider de l’avenir de la lutte.

On s’est dit : « Il faut faire quelque chose ». Le mot d’ordre à la sortie a été : « Quelle bataille peut-on gagner et le plus vite possible? C’est la bataille du gaz de schiste ». Et s’il y avait quelque chose après et bien ça serait le pétrole et le nucléaire, et d’autres après, il y a tellement de batailles. C’est comme si on avait hiérarchisé, scénarisé ce qui était pour arriver dans les années qui viennent[36].

La campagne « Moratoire d’une génération », lancée au printemps 2011, prévoit de nombreuses actions qui vont de l’organisation de formation à la désobéissance civile à la pression sur les investisseurs. Elle se déroule en parallèle avec la campagne « Vous n’entrerez pas chez nous », qui consiste en la signature d’une lettre préparée par des avocats par plus de 37 000 citoyens dont 20 000 propriétaires signifiant leur refus d’autoriser l’industrie gazière à entrer sur leur terrain. Les actions de mobilisation culminent avec une marche de 700 km vers Montréal fin juin 2011, conclue par une manifestation importante qui regroupe des milliers de manifestants. À partir de l’été 2011, les municipalités opposées adoptent le règlement dit de Saint-Bonaventure pour protéger les ressources en eau. Le mouvement utilise tout le répertoire d’actions disponibles. À l’automne 2011, c’est au tour de l’UPA de demander un moratoire et de refuser tout forage avant la réalisation d’une étude d’impact (Aubry, 2011). Les instruments d’action publique n’ont pas réussi à calmer la mobilisation qui, au contraire, renforce sa cohésion et sa détermination en dénonçant une manipulation politique.

Émergence d’une troisième problématisation de compromis autour du Parti Québécois

Le traitement institutionnel est bouleversé par le Printemps Érable (février à septembre 2012). L’élection du gouvernement Marois en septembre 2012 permet aux revendications contre le gaz de schiste d’obtenir une écoute institutionnelle : le gouvernement transmet la direction de l’ÉES au BAPE en 2013 – évinçant le comité aux membres controversés. Daniel Breton (militant anti gaz de schiste, MCN21) est nommé, momentanément, Ministre de l’Environnement, Louis-Gilles Francoeur (journaliste au Devoir ayant écrit des articles défavorables à l’industrie du gaz de schiste) est nommé vice-président du BAPE. C’est un premier changement de politique de la part du gouvernement qui représente une tentative de mise en perspective de l’industrie (commission sur les enjeux énergétiques mise en place en 2013). Le gouvernement péquiste réussit à réformer le droit minier en décembre 2013, au prix de concessions à l’industrie qui ne satisfont pas pleinement les opposants au gaz de schiste. En revanche, le moratoire tant espéré reste au stade de projet (projet de loi n°37), car les élections d’avril 2014 ramènent les libéraux au pouvoir.

Pour le mouvement social, la période Marois en est pourtant une d’expectative. En 2013, un militant se désole :

À la nomination des ministres, M. Breton a été nommé à l’environnement, Mme Ouellet aux richesses naturelles, et là on s’est dit, ça y est c’est gagné. (…) Et là, ça s’est comme évaporé. (…) Il y a parmi nous des éléments plus vindicatifs qui sont excédés. Nous, les coordonnateurs, on a énormément de pression à l’heure actuelle[37].

Le gouvernement Marois se montre opposé au gaz de schiste mais laisse la porte ouverte au pétrole du golfe du Saint-Laurent; la coopération avec le mouvement d’opposition a donc ses limites. Depuis 2011, le mouvement a évolué vers une opposition plus large aux hydrocarbures de roche-mère et à la fracturation hydraulique, non sans divisions internes. En septembre 2013, le RIGSVSL s’est renommé le « Regroupement Vigilance Hydrocarbures Québec » (RVHQ), mais une partie de ses membres dirigeants refuse l’élargissement et forme un mouvement annexe, CMAVI (Collectif, Moratoire, Alternatives, Vigilance, Intervention), qui reste centré sur la seule question du gaz de schiste, tout en demeurant solidaire du mouvement plus global. Il y a donc une reproblématisation interne au mouvement, dont une fraction attaque l’opportunité de la filière gazière en regard de ses risques, et l’autre un modèle de développement basé sur les hydrocarbures. Le RVHQ s’oppose au « projet pétrolier canado-québécois »[38] regroupant tous les hydrocarbures non conventionnels : de l’exportation des sables bitumineux albertains via l’oléoduc Énergie Est ou la ligne 9B d’Enbridge et le port de Cacouna, jusqu’au pétrole de schiste d’Anticosti, en passant par les forages offshore au large des îles de la Madeleine. Le RVHQ refuse de soutenir la position intermédiaire du PQ et développe désormais une opposition farouche aux projets pétroliers.

On s’est rendu compte assez rapidement que lorsqu’il était question du pétrole avec le PQ, ça ne suivait pas. Il y a comme une césure très importante, que ça soit par Mme Ouellet, que ça soit par n’importe qui, c’est : « Le pétrole, on n’est pas contre », ou bien : « C’est sécuritaire ». Et ça ressemblait à peu de mots près à ce que l’on pouvait entendre que ça soit du Ministre Arcand, de Mme Normandeau, de M. Charest. (…) Nous, on a progressé depuis nos demandes originales[39].

La diversification des thématiques (gazoducs, port pétrolier, pétrole de schiste, etc.) renouvelle l’opposition militante et citoyenne qui demeure toujours très mobilisée : au règlement de Saint-Bonaventure se substitue un règlement contre le passage d’un gazoduc, la construction du port pétrolier de Cacouna est arrêtée à cause de la période de reproduction des Bélugas, etc. Mais cet élargissement fragilise la cohésion du réseau, et notamment ses relations avec certains acteurs institutionnels et élus politiques qui ne sont pas opposés au modèle de développement.

Le gouvernement Marois met en place une troisième problématisation qui vise à permettre la production de richesses à partir du sous-sol sans rencontrer d’opposition sociale. Les acteurs de ce nouveau réseau ciblent alors des zones qui sont peu peuplées, peu agricoles et peu touristiques afin d’y développer des projets industriels (Anticosti, Cacouna mais aussi la cimenterie de Port-Daniel). Alors que l’interdiction de la fracturation hydraulique en France est le résultat d’un cadrage du problème du gaz de schiste comme un problème technique de fracturation hydraulique, les élus québécois ont tendance à le traduire comme un problème d’acceptabilité sociale, définie strictement comme une contrainte sociale. Cette problématisation est compatible avec l’exploration du pétrole de schiste à Anticosti, qui utilise la fracturation hydraulique. Elle est efficace puisqu’elle affaiblit les liens des opposants : l’inadéquation de la Loi sur les mines, les risques sanitaires et environnementaux sont moins flagrants en milieu peu peuplé, la rentabilité du pétrole est plus élevée, et son « utilité » plus évidente pour des citoyens qui sont aussi des automobilistes, alors que le gaz est principalement utilisé dans l’industrie de l’aluminium.

Revenus au pouvoir, les libéraux souhaitent poursuivre l’aventure gazière et réforment le règlement sur la protection de l’eau en faveur de l’industrie, invalidant ainsi le règlement de Saint-Bonaventure. Ils souhaitent également mettre en place une loi sur les hydrocarbures, excluant ceux-ci du périmètre de la Loi sur les mines. Pourtant ce nouvel élan est arrêté par les conclusions du second rapport du BAPE publié en novembre 2014. Le BAPE s’appuie désormais sur les études de l’ÉES qui, tout en nuançant les craintes couramment exprimées, montrent qu’il existe des risques bien réels (le problème n’est pas tant celui de la gestion de l’eau que celui des émissions de gaz à effet de serre), que l’acceptabilité sociale n’est pas présente, et que l’opportunité économique du projet industriel est douteuse. Le BAPE conclut à l’absence de pertinence économique, sociale et environnementale du projet pendant les 25 prochaines années. C’est la problématisation des opposants qui sort donc victorieuse de la controverse – les liens d’enrôlement ont tenu jusqu’au bout. Leur construction narrative se voit en partie validée par le BAPE qui reconnait les lacunes réglementaires et de gouvernance, et les risques environnementaux et sanitaires (même si tous ne sont pas confirmés). C’est au contraire un échec pour la traduction portée par les promoteurs puisque la maitrise technique n’est pas confirmée par les études, et c’est encore moins le cas pour ce qui concerne les avantages économiques et énergétiques. Pour autant, la victoire des opposants n’est que partielle puisqu’elle ne concerne que le gaz de schiste des basses terres du Saint-Laurent, de nombreux chantiers restant ouverts à la mobilisation.

Une controverse non stabilisée

Alors que l’industrie du gaz de schiste est initialement conceptualisée par un réseau de promoteurs comme une opportunité économique à saisir, une deuxième problématisation émerge en 2009-2010 autour des risques afférents, des problèmes de gouvernance et de la remise en cause du besoin de cette filière dans un processus de transition énergétique. Le réseau d’opposants qui la porte parvient à défaire les liens d’intéressement mis en place par les promoteurs : la filière n’est pas économiquement intéressante, ne correspond pas à la transition énergétique provinciale, et la technique utilisée n’est pas totalement maitrisée. Ce réseau intéresse de nombreux acteurs de manière différenciée et développe ses propres liens entre des comités citoyens, des associations environnementalistes, des élus locaux, et le monde agricole. La convergence conjoncturelle de différents mouvements de contestation politique dépassant le cadre de l’environnement favorise un momentum propice à l’avancée des revendications, aidée aussi par la visibilité médiatique de ces mouvements.

L’alternance politique permet l’élaboration d’un cadrage institutionnel spécifique qui limite l’expansion de la mobilisation. La problématisation des opposants n’est pas entièrement reprise dans la nouvelle politique publique, qui signe plutôt la création d’une traduction de compromis autour d’un nouveau réseau, qui s’oppose localement au gaz de schiste mais soutient la filière des hydrocarbures non conventionnels en zone peu habitée. Si le gaz de schiste est discrédité, c’est en raison de son manque d’acceptabilité sociale et de rentabilité économique démontré par l’ÉES, tandis que le reste de la filière des hydrocarbures est appelé à se développer. Ni la technique controversée de la fracturation hydraulique ni le modèle de développement basé sur l’exploitation d’énergies fossiles ne sont remis en cause. Le réseau des opposants est parvenu à transformer ponctuellement les rapports de force dans ce secteur très fermé de la politique publique, tout en demeurant à ses marges. Il reste une force d’opposition, puisque ses propositions n’obtiennent pas de légitimité. Il constitue un pouvoir de surveillance et d’empêchement (Rosanvallon, 2006) face à des élus orientés vers les avantages économiques du projet et une gestion des ressources naturelles de type « staple » (Hessing et Howlett, 1997)[40].

Les opposants obtiennent gain de cause par vice de forme plutôt qu’en convainquant sur le fond. En effet, le mode de gestion dominant demeure celui du réseau des promoteurs. Cette perpétuation de la coalition discursive traditionnelle malgré le poids des opposants fait bien sûr écho à l’analyse de Hajer (1993) sur la gestion des pluies acides en Grande Bretagne, et aux multiples travaux qu’elle a inspirés sur l’instrumentalisation des expertises (Fischer, 2009; Barthe, 2006 notamment) et de la participation (Irwin, 2006; Levidow, 2007, par exemple). La gestion gouvernementale des controverses sociotechniques n’évolue que vers un raffinement des outils de contournement des oppositions. Les avancées politiques du mouvement social concernent surtout le registre de la gouvernance, dont elles marquent une relative amélioration de la transparence. Mais les ressources naturelles demeurent encore le pré carré du Ministère des Ressources Naturelles et de la Faune (qui conserve encore le dernier mot sur l’utilisation du territoire malgré les concessions faites aux municipalités) et des compagnies privées (la poursuite en dommages et intérêts intentée par Gastem contre la municipalité de Ristigouche pour 115 millions de dollars illustre bien une volonté de faire taire les velléités locales). Pour ce qui touche au registre de la justice environnementale et de la transition énergétique, on demeure plutôt dans le statu quo. Le fardeau de la preuve n’a pas réellement changé d’épaule. Au lieu d’être du ressort des acteurs locaux et des militants comme au début de la controverse, il a été pris en charge par les pouvoirs publics à travers les études du BAPE et de l’ÉES. C’est bien en fonction de l’élimination des incertitudes scientifiques que le gouvernement a choisi de ne pas poursuivre le développement de la filière du gaz de schiste à la suite du dépôt du rapport du BAPE à la fin 2014. L’action publique peine à s’ouvrir à d’autres formes de rationalité que celle d’une science légitimatrice. Cette « science réglementaire » (Jasanoff, 1990) s’est avérée une arme à double tranchant pour les promoteurs puisque les analyses ont discrédité leur argumentaire économique.

La controverse englobe désormais la détermination d’orientations énergétiques claires – jusque-là peu clivantes – pour les partis politiques. Les libéraux ont remisé le rapport – audacieux – sur les enjeux énergétiques des péquistes en promettant de nouvelles consultations, déjà dénoncées par les militants comme une tentative pour les épuiser par la multiplication de forums sans suite. Cette « hyper consultation » en matière de projets énergétiques n’apparait pas comme marquant un changement paradigmatique au profit d’une ouverture décisionnelle, mais bien plutôt comme une stratégie en vue de favoriser les acteurs possédant le plus de moyens pour participer ad aeternam à ces forums : le dernier encore présent remportant le débat.