Résumés
Résumé
Cette étude analyse les conceptions divergentes touchant les obligations et les devoirs de la société d’accueil à l’endroit des minorités racisées. Notre premier objectif est de montrer que les principales voix s’exprimant au nom de ces minorités ne cherchent pas à court-circuiter le processus d’intégration qu’envisagent à leur égard les Québécois dits « de souche ». Notre deuxième objectif s’inscrit dans une perspective plus large dans la mesure où nous nous proposons de mener une réflexion sur la conceptualisation et de la (re)négociation de la citoyenneté en contexte québécois. Les dimensions constitutives de la citoyenneté ont été largement débattues lors de la « crise des accommodements raisonnables ». C’est donc ce moment particulier qui sera étudié à la lumière des mémoires déposés devant la commission Bouchard-Taylor par les associations représentant les minorités racisées et religieuses.
Mots-clés :
- Québec,
- citoyenneté,
- minorités racisées,
- intégration,
- appartenance,
- participation,
- droits
Abstract
This study analyzes the different conceptions of the duties and obligations of a host society with regard to racial minorities. Our first goal is to show that the main voices speaking on behalf of these minorities do not seek to bypass the integration process envisioned for them by the so-called pure laine Quebecers. Our second objective is part of a broader endeavour that seeks to conceptualize and (re)negotiate citizenship in the Quebec context. For this, we turn to a period in Quebec history during which the “reasonable accommodation” for immigrants was the subject of intense public debate: the period between 2007 and 2008. In particular, we examine the briefs submitted by associations representing racial and religious minorities to the Bouchard-Taylor Commission, a commission mandated by the Quebec government to examine public sentiment on these issues.
Keywords:
- Quebec,
- citizenship,
- racial minorities,
- integration,
- belonging,
- participation,
- rights
Corps de l’article
Au Québec, comme dans bien des sociétés démocratiques libérales, se déroule un débat sur les modalités d’incorporation des citoyens appartenant à des minorités ethnoculturelles ou religieuses[1]. Le sujet est d’une grande actualité à l’heure où les « valeurs québécoises » ont fait l’objet d’intenses discussions. Pourtant, au cours des dernières décennies, l’État québécois a mis en place une série de mesures visant à favoriser l’intégration des individus issus de l’immigration. Qualifiée de modèle interculturel, cette approche se fonde sur la reconnaissance du pluralisme culturel tout en soulignant clairement que les membres des minorités racisées doivent s’ancrer dans un Québec qui se présente comme une société d’accueil distincte du reste du Canada[2].
Or plusieurs remettent en question l’approche québécoise et la considèrent plutôt comme une version édulcorée du multiculturalisme canadien, nuisant à l’intégration réussie des nouveaux arrivants, à la cohésion sociale et, surtout, à l’identité nationale du Québec (Beauchemin, 2010; Bédard, 2007; Bock-Côté, 2010; Bourque et Duchastel, 1996; Courtois, 2008; Facal, 2010; Gagnon, 2008; Thériault, 2003)[3]. Comme l’a dévoilé la « crise des accommodements raisonnables » qui a donné lieu à la commission Bouchard-Taylor (2007-2008) et, plus récemment, au projet de loi no 60 sur la laïcité (2013-2014), plusieurs soutiennent que les individus appartenant aux minorités racisées refusent de s’intégrer au groupe majoritaire. Et pour bon nombre de Québécois, l’assimilation est la mesure à partir de laquelle l’intégration est considérée comme réussie. En témoigne le sondage réalisé par l’Association d’études canadiennes en décembre 2009 qui montrait que 53,6 % des Québécois souhaitaient que les immigrants abandonnent leurs coutumes ou traditions (la moyenne canadienne était de 45,1 %) (Jedwab, 2009, p. 7-8). Dans le même ordre d’idées, un autre sondage mené en 2011 indiquait que 43 % des répondants du Québec jugeaient que la diversité affaiblissait la culture nationale (Jedwab et Bannerjee, 2011).
Le coeur de la controverse nous semble renvoyer à des conceptions divergentes touchant les obligations et les devoirs de la société d’accueil à l’endroit des minorités racisées. La notion de réciprocité est souvent évacuée au profit d’une approche à sens unique ne visant que les individus et les groupes issus de l’immigration. Notre premier objectif est de montrer que les principales voix s’exprimant au nom des minorités racisées ne cherchent pas à court-circuiter le processus d’intégration qu’envisagent à leur égard les Québécois dits « de souche ». Une lecture sensible, ou moins sourde, doit prendre en considération la conception du « vivre ensemble » développée par ces minorités et la confronter aux attentes exprimées par le groupe majoritaire pour en déceler les éléments de convergence et de divergence. Notre deuxième objectif s’inscrit dans une perspective plus large, dans la mesure où nous nous proposons de mener une réflexion sur le processus de conceptualisation et de (re)négociation de la citoyenneté en contexte québécois. Il nous semble en effet qu’au-delà de l’opposition simpliste entre les devoirs de la majorité à l’endroit des minorités (« nous » devons favoriser l’intégration) ou les devoirs des minorités à l’endroit de la majorité (nous cherchons à devenir comme « vous »), l’enjeu fondamental renvoie à des conceptions contrastées de la citoyenneté.
En effet, il nous semble que c’est la manière dont la notion de citoyenneté est comprise qui pose problème. Cette dernière recouvre à la fois des dimensions objectives (statut, droits, participation) et subjectives (sentiment d’appartenance). Or ce sont ces dimensions objectives (à travers la remise en question du concept juridique d’accommodement raisonnable et d’une potentielle hiérarchisation des droits) et subjectives (à savoir la volonté d’intégrer et d’appartenir à la communauté politique et nationale québécoise) qui font l’objet d’un vif débat.
Les dimensions constitutives de la citoyenneté ont été largement débattues lors de la « crise des accommodements raisonnables ». C’est donc ce moment particulier qui sera étudié. De plus, peu d’événements ont autant retenu l’attention que les travaux menés par la Commission de consultation sur les pratiques d'accomodement reliées aux différences culturelles qui donna lieu à des forums publics (et télédiffusés) à travers le Québec et au dépôt de centaines de mémoires au cours des audiences publiques. Moment particulièrement fécond, ce point de départ nous permet de prendre la mesure des visions et préférences divergentes quant aux conditions du « vivre ensemble », du rapprochement intercommunautaire, de la définition de la communauté politique et nationale privilégiée par les intervenants.
Les mémoires déposés devant la commission Bouchard-Taylor (du nom des coprésidents) par les associations représentant les minorités racisées et religieuses ou celles qui se portent à leur défense ont été analysés en fonction des enjeux qui retiennent ici notre attention. À l’occasion de cette commission, 840 mémoires ont été soumis et 344 d’entre eux furent présentés lors des audiences de consultation. Dans le cadre de la présente recherche, nous en avons sélectionné 60. L’échantillon répond au critère d’exhaustivité puisque nous avons conservé tous ceux qui furent présentés par des organisations non gouvernementales (ONG) et des associations qui se portent à la défense des minorités à identité ethnique ou religieuse[4]. De ce fait, nous avons rejeté tous ceux rédigés par des organismes qui ont pour mandat de défendre ou représenter d’autres groupes ou qui se sont prononcés sur d’autres enjeux. Des mémoires retenus, 9 ont été déposés par des associations à identité ethnique ou multiethnique[5], 18 à identité religieuse[6] et 33 par des ONG et des associations à vocation générale[7]. Le tiers des mémoires avaient été soumis par des associations nationales, 24 par des associations localisées dans la grande région de Montréal (ce qui inclut Laval) et 16 de groupes situés à l’extérieur de région montréalaise (tableau 1). Dans le corpus, nous retrouvons bon nombre d’associations syndicales, les principaux porteurs du dossier de la défense des droits des minorités et des droits des personnes réfugiées et immigrantes, de même que plusieurs organismes voués à l’intégration des nouveaux arrivants ou des minorités racisées. Compte tenu du fait que dans l’imaginaire populaire la question des accommodements raisonnables fut rapidement associée aux demandes des musulmans, les associations musulmanes se sont mobilisées en grand nombre pour présenter des mémoires. Les documents ont été analysés en utilisant un logiciel d’analyse qualitative des données (NVivo) à partir d’une grille lexicographique de codification.
Notre démarche s’articule en trois temps. D’abord, nous procéderons à une mise en perspective théorique portant sur les aspects constitutifs de la citoyenneté : statut, droit, identité et participation. La deuxième section rappellera brièvement le contexte particulier dans lequel se sont déroulés les travaux de la commission Bouchard-Taylor. Ce contexte servira non seulement de toile de fond pour situer les interventions, mais permettra de comprendre les limites de l’exercice mené et les défis auxquels les porte-parole des groupes racisés ou ceux sensibles à leur réalité devaient faire face. La troisième section proposera une analyse des mémoires déposées devant la commission et des conceptions de la citoyenneté qui sont mises de l’avant.
Les éléments constitutifs de la citoyenneté
Dans son acception la plus simple, la notion de citoyenneté renvoie aux conditions d’appartenance (membership) à la communauté politique et, plus précisément, à l’État-nation. Pour T. H. Marshall, [traduction] « tous ceux qui possèdent ce statut sont égaux en ce qui concerne les droits et devoirs » (Marshall, 1963, p. 87). Ce principe d’égalité juridique formelle et abstraite est évidemment central. Mais la citoyenneté comporte aussi des dimensions à la fois symboliques et performatives importantes dans la mesure où elle contribue aussi à [traduction] « créer une image d’une citoyenneté idéale contre laquelle le succès peut être mesuré et vers laquelle les aspirations peuvent être dirigées » (p. 89). Pour Marshall, elle ne peut se réaliser dans un environnement éthéré. Au contraire, la citoyenneté repose sur l’expression d’un sentiment de [traduction] « loyauté à l’endroit d’une civilisation qui constitue un bien commun » (p. 96). Elle combine donc des éléments objectifs (droits et devoirs), mais se pose également comme un idéal normatif permettant de porter un jugement sur les formes d’appartenance effectives à une société donnée. Des droits peuvent être accordés et des devoirs imposés, mais les individus doivent être en mesure d’en jouir et de les exercer. Et la communauté où ses droits et devoirs se déploient est elle-même porteuse d’histoire et de sens.
Pour Christian Joppke, des transformations récentes posent des défis à la définition traditionnelle des conditions d’appartenance citoyenne d’abord pensées dans le cadre de sociétés relativement homogènes. La libéralisation de l’accès au statut de citoyen dans les pays occidentaux, par le retrait des barrières à la naturalisation associées au genre, aux orientations sexuelles et aux distinctions raciales notamment, a fait en sorte d’accroître la diversité interne des sociétés (Joppke, 2007 et 2008). La mobilité transnationale, la mondialisation, les besoins de main-d’oeuvre (qualifiée ou non) et la volonté d’attirer des investissements (et partant, des investisseurs, car on peut maintenant acheter le statut de citoyen) ont favorisé l’élargissement des conditions d’accès.
En règle générale, les études qui s’intéressent aux politiques d’acquisition de la citoyenneté s’inscrivent dans une vision unitaire de l’État. En d’autres termes, il n’y a que l’État national qui possède l’autorité de déterminer les règles de naturalisation des nouveaux citoyens. La situation est toutefois plus complexe dans les États comptant des institutions politiques infranationales. Si un seul ordre de gouvernement dispose de la capacité d’accorder ce statut, les individus peuvent néanmoins appartenir à plus d’une communauté politique, de telle sorte que les devoirs associés à la citoyenneté peuvent varier au sein d’un même État. C’est le cas notamment dans les régimes fédéraux. Cette distinction nous permet, comme le mentionne Rainer Bauböck, [traduction] « de mieux comprendre les intérêts individuels par rapport aux statuts alternatifs de citoyenneté » (Bauböck, 2010, p. 850). Cette constellation de statuts et de devoirs fait en sorte que les politiques publiques qui s’y rattachent sont non seulement interdépendantes, mais aussi que les individus disposent de points de référence qu’ils peuvent combiner les uns avec (ou contre) les autres.
Ajoutons que la notion de citoyenneté renvoie à une combinaison d’éléments qui sont en tension. Angus Stewart a déjà fait remarquer que la dimension « statocentrée » (state-centred) (statut et règles formelles d’appartenance) entre souvent en conflit avec la dimension démocratique qui fait appel à l’appartenance partagée à la communauté politique, ce qui implique une participation active à son édification (Stewart, 1995, p. 64-65). La contradiction tient au fait que [traduction] « dans la conception de la nationalité centrée sur l’État, on présuppose que les préférences, les intérêts et les identités sont donnés de manière exogène en amont du discours et de la délibération publics, que ce soit par les spécifications explicitement identifiées par l’État ou, de manière implicite, par la hiérarchisation des nombreuses possibilités concurrentes contenues dans la société civile » (italiques de l’auteur) (p. 75). Toutefois, il faudrait ajouter que les préférences, les intérêts et les identités sont autant le résultat de l’acceptation des règles (aspect exogène) que de la délibération publique autour de ces dernières ainsi que d’enjeux considérés comme étant d’intérêt public. En somme, la citoyenneté est donnée, mais elle se (re)construit dans le cadre d’un processus discursif et délibératif. Elle dépasse donc le seul formalisme juridique et doit aussi être considérée comme une activité politique à travers laquelle les enjeux collectifs sont débattus pour ultimement donner lieu à des politiques publiques (lois, institutions, programmes) qui contribuent à renforcer (ou non) l’idéal citoyen et la communauté politique où celui-ci s’incarne. Cette définition qui prend en considération à la fois les éléments exogènes et endogènes nous paraît particulièrement pertinente pour analyser les rapports entre minorités et majorités dans des États marqués par la présence de minorités racisées qui sont confrontées aux règles préétablies, résultats de rapports de pouvoir historiquement constitués, mais qui tentent aussi de s’insérer dans l’espace délibératif portant sur les conceptions de la communauté politique et les aménagements institutionnels devant présider à son évolution.
Enfin, notre analyse s’inscrit dans une vision de la citoyenneté qui considère les acteurs non pas comme des objets relativement inertes, mais plutôt comme des sujets politiques. Comme point de départ, nous empruntons à Bryan Turner une conception de la citoyenneté constituée de trois dimensions complémentaires : 1) un ensemble de droits et d’obligations qui s’incarnent dans un statut et qui permettent aux individus d’avoir accès aux ressources économiques et politiques, 2) les conditions plus ou moins contraignantes permettant la participation à la vie collective et 3) une appartenance (membership) à une communauté politique particulière ainsi qu’une socialisation à une culture civique (Turner, 1997, p. 7-9). À ces trois dimensions (statut, droit et identité), certains auteurs ont ajouté celle de la participation, qui permet de prendre en considération les liens dynamiques d’inclusion (et partant, d’exclusion) au sein de la communauté politique et de l’espace social commun (Blemraad, Korteweg et Yurdakul, 2008; Leitner et Ehrkamp, 2003).
Notre analyse s’intéresse donc à trois dimensions de la citoyenneté (droits, appartenance et participation – nous avons exclu la dimension « statut » puisqu’elle ne fut pas débattue au cours de la période retenue) et cherche à montrer comment les minorités racisées appréhendent leur configuration dans l’espace québécois dans un contexte marqué par de vives tensions sociales. Cela nous semble particulièrement utile dans la mesure où les études portant sur l’intersection entre citoyenneté et minorités racisées et religieuses ont surtout mis en lumière les positions adoptées par l’État, les conceptions auxquelles il souscrit et les politiques publiques développées s’y rattachant (Banting et KYmlicka, 2006; Banting, Courchene et Seidle, 2007; Li, 2003; Reitz, 2004; Simmons, 2010; Winter, 2014). Or, comme le faisaient remarquer Davide Però et John Solomos, [traduction] « l’action politique des individus et des groupes issus de l’immigration a, dans l’ensemble, retenu peu l’attention des chercheurs » (Però et Solomos, 2010, p. 7). Les populations en situation minoritaire ont surtout été analysées comme des objets de politiques publiques, en fonction de la nécessaire « gestion de la diversité » à la lumière des intérêts exprimés par la société ou par l’État-nation d’accueil (Fleras et Elliott, 2003; Gillborn et Youdell, 2000; James, 2003; Zinga, 2006). Cette perspective s’expliquerait par le fait que les approches s’intéressant à la mobilisation de ces groupes les considèrent en fonction de la place qu’ils occupent dans la structure économique (la mobilisation est donc le produit d’une lutte contre l’exploitation socioéconomique dont ils sont victimes) ou comme le reflet de leur ethnicité vue comme un déterminant culturel quasi essentialiste (Però et Solomos, 2010, p. 8). Ces analyses jettent un regard surplombant sur les minorités racisées et religieuses du point de vue de l’État en fonction des caractéristiques de ces groupes et des politiques qui peuvent être mises en place pour faciliter l’inclusion et l’intégration. Et ces politiques publiques firent l’objet de critiques sous l’angle des inégalités sociales fondées sur les distinctions culturelles (Abu-Laban et Gabriel, 2002; Bannerji, 2000; Hier et Bolaria, 2007; Mackey, 2002; Salée, 2007; Satzewich et Liodakis, 2010). Notre étude cherche plutôt à apporter un éclairage qui tienne compte de la manière dont les acteurs sociaux s’exprimant au nom des minorités conçoivent la citoyenneté. Plutôt que d’aborder cette question en surplomb, nous privilégions une perspective qui s’ancre dans la société civile.
Ainsi, dans le cadre de cette étude, nous mettons plutôt l’accent sur la manière dont la citoyenneté est définie par les groupes qui représentent les intérêts des minorités racisées ou religieuses au Québec. Le contexte dans lequel ils ont eu à développer leur position était marqué par d’importantes tensions articulées autour des enjeux entourant les pratiques d’accommodements raisonnables. Les groupes qui ont soumis des mémoires à la commission Bouchard-Taylor, compte tenu des enjeux qui y étaient débattus, ont eu l’occasion de faire valoir leur point de vue sur chacune des dimensions constitutives de la citoyenneté, à l’exception de celle liée au statut (les conditions de naturalisation) qui, comme nous l’avons vu, n’était pas remise en cause. Par contre, les enjeux renvoyant à la fois aux droits, à l’identité (loyauté, appartenance, cohésion sociale) et à la participation ont tous été abordés et débattus. Ainsi, il nous est possible de faire ressortir les éléments prégnants de la citoyenneté embrassés par les associations s’exprimant au nom des groupes racisés et religieux. Dans le cadre des audiences de la commission Bouchard-Taylor, ces associations ont évidemment participé à la vie démocratique, non seulement à titre de représentant des « intérêts » des individus qu’ils représentaient, mais aussi en mettant de l’avant un contre-discours par rapport à d’autres positions défendues et en participant activement aux délibérations dans l’espace public (Fung, 2003).
Bref retour sur le contexte
La prise de parole des groupes et des associations s’est faite dans un contexte particulier. En ce sens, leurs positions étaient en grande partie conditionnées par la nature des enjeux débattus et, surtout, par les critiques formulées, parfois de manière brutale et sans nuances, à l’endroit de la « diversité ». Ainsi, il faut prendre en considération le fait que les éléments et les arguments mis de l’avant par les intervenants qui font l’objet de notre étude s’inscrivent dans une position défensive visant souvent à répondre ou à contrecarrer des positions jugées néfastes au « vivre ensemble » dans une société pluraliste.
La commission Bouchard-Taylor fut mise sur pied dans un environnement médiatique dénigrant certains accommodements jugés déraisonnables. Plusieurs d’entre eux firent les manchettes. Par exemple, en 2002, une commission scolaire à Montréal interdisait le port du kirpan par un élève de confession sikh. La cause fut portée devant les tribunaux. En 2006, après une longue saga judiciaire, la Cour suprême du Canada, invoquant le fait que la prohibition absolue portait atteinte à la liberté de religion garantie par les chartes des droits et libertés québécoise et canadienne, infirmait la décision de la Cour d’appel du Québec qui avait maintenu cette interdiction. La Cour imposait toutefois des conditions que l’élève devait respecter : « le kirpan doit être enfermé dans un étui de bois, lequel doit être recouvert d’une étoffe cousue qui doit elle-même être fixée à une bandoulière portée sous les vêtements » (Cour suprême du Canada, 2006, para. 98). Ce jugement souleva un tollé médiatique d’une rare ampleur (Karmis, 2006). D’autres controverses alimentèrent le débat. En 2005, la télévision d’État révéla que des écoles juives privées hassidiques étaient financées à 100 % sans que celles-ci aient obtenu de permis d’enseignement et, fait significatif, au moment où l’enseignement religieux confessionnel catholique et protestant était évincé du parcours scolaire (Baubérot, 2008; Robitaille, 2007). En 2006, en réponse à plusieurs demandes formulées de la part de la communauté juive hassidique, un YMCA de Montréal décida d’installer des vitres givrées pour limiter la vue sur la salle d’entraînement. En 2007, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) proposa à l’École de technologie supérieure (ÉTS) « de permettre aux étudiants de religion musulmane fréquentant l’ÉTS de prier, sur une base régulière, dans des conditions qui respectent leur droit à la sauvegarde de leur dignité » ainsi que de retirer dans le formulaire d’admission la mention que l’on ne retrouvait pas de local destiné à la pratique religieuse (CDPDJ, 2006). Toujours en 2007, le conseil municipal du petit village d’Hérouxville (environ 1 400 habitants), de la région de la Mauricie, adoptait des « normes de vie » à l’intention des immigrants qui rappelaient, dans un langage stéréotypé, les us et coutumes des Québécois et sommait les immigrants (et plus particulièrement les musulmans, sans jamais les nommer) de s’y conformer.
Il n’est pas inutile de rappeler cet enchaînement d’événements, l’importante couverture médiatique dont ils firent l’objet et les débats publics qui s’ensuivirent, ainsi que leur instrumentalisation par un parti politique provincial (l’Action démocratique du Québec). Un vent de méfiance et de suspicion s’était levé à l’endroit du caractère trop « accommodant » des politiques et des pratiques concernant la diversité ethnoculturelle et religieuse (Nieguth et Lacassagne, 2009; Seidle, 2009). Comme le montre une analyse réalisée par Maryse Potvin portant sur les discours et opinions exprimés dans la presse vis-à-vis des accommodements, le « modèle québécois » subissait des assauts répétés et unidirectionnels, et ce, dans les termes les plus durs (Potvin, 2010, p. 86).
Tel était le contexte et l’état d’esprit au moment de la mise sur pied, quelques jours avant le déclenchement des élections, de la commission. En vertu de son mandat, la commission Bouchard-Taylor devait dresser le portrait des pratiques d’accommodement qui avaient cours au Québec, en analyser les enjeux, mener une vaste consultation publique et, évidemment, formuler des recommandations au gouvernement (Québec, 2007, p. 1372). Les commissaires décidèrent d’interpréter largement leur mandat, considérant les accommodements raisonnables comme « le symptôme d’un problème plus fondamental concernant le modèle d’intégration socioculturelle institué au Québec depuis les années 1970. Cette perspective invitait à revenir sur l’interculturalisme, l’immigration, la laïcité et la thématique de l’identité québécoise » (Commission de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles [CCPARDC], 2008, p. 17). Les citoyens étaient invités à présenter un mémoire ou un témoignage dans le cadre d’audiences publiques ou à participer à l’un des 17 forums régionaux.
Un document de consultation ainsi qu’un guide de participation furent distribués par le secrétariat de la commission. Dans le but d’encadrer les échanges, celle-ci invitait les participants à répondre à une série de questions. Le premier enjeu concernait les « valeurs fondamentales » présentes dans la société québécoise. Le second abordait le thème de la diversité et demandait d’en définir les avantages et les inconvénients, posait explicitement la question des « dangers » de fragmentation engendrés par cette diversité et souhaitaient que les participants se prononcent sur l’énoncé voulant que la culture héritée du passé « canadien-français » soit menacée par les pratiques d’harmonisation interculturelle. La troisième dimension touchait l’intégration, l’exclusion et la discrimination et les politiques d’immigration. Le quatrième bouquet de questions se penchait sur la laïcité. Enfin, le cinquième thème portait sur les pratiques d’harmonisation : la commission demandait entre autres si « les pratiques d’harmonisation sont 1) un rouage nécessaire dans une société diversifiée et démocratique, un geste élémentaire d’ouverture à l’Autre ou 2) une abdication de la part des Québécois d’origine canadienne-française, un reniement de leur culture? », et si l’on devait craindre « que les pratiques d’harmonisation en viennent à annuler le travail de laïcisation effectué dans la société québécoise au cours des dernières décennies? » (CCPARDC, 2007, p. 30). Comme nous pouvons le constater, ces questions s’adressaient surtout aux individus qui appartenaient à la culture dominante du Québec. Elles invitaient souvent les citoyens à donner leur avis sur la perception voulant que la diversité soit une menace pour la société.
Le document de consultation définissait les termes du débat de manière assez large, mais ceux-ci recoupaient les trois dimensions constitutives de la citoyenneté qui retiendront notre attention : droits, appartenance et participation.
Citoyenneté et minorités racisées et religieuses
Bien que la consultation ait surtout été destinée au groupe « majoritaire », il n’en demeure pas moins que plusieurs associations représentant les minorités racisées et religieuses ont participé à l’exercice. Leur voix, bien qu’ayant été entendue, est loin d’avoir été prépondérante.
Considérations liminaires : participer ou non aux délibérations?
Dans l’ensemble, les associations se sont réjouies de la création de la commission (voir le tableau 2). Des 60 mémoires retenus, 42 se sont prononcés sur la valeur de la consultation (70 %). Comme le souligna le mémoire conjoint déposé par plusieurs organismes communautaires dans la région de l’Outaouais, à l’instar de beaucoup d’autres intervenants, le fait de permettre aux citoyens de s’exprimer justifiait la mise sur pied de cet exercice néanmoins qualifié de « défouloir collectif » (Association des femmes immigrantes de l’Outaouais et coll., 2007, p. 9). L’élargissement du mandat défini par les instances gouvernementales fut aussi perçu positivement. Plusieurs ont fait valoir que leur intervention était importante, sinon nécessaire, compte tenu de l’expertise qu’elles ont su développer dans le cadre de leurs pratiques. La commission fut invitée à clarifier les enjeux liés à l’intégration dans le but de mettre fin aux controverses qui avaient pris une ampleur démesurée dans certains médias populaires. En somme, les arguments invoqués pour appuyer la création de la commission, leur participation et les effets attendus font état de la nécessité pour ces intervenants de tenir cet exercice à la lumière d’un contexte marqué par des tensions, de l’importance de faire le point sur la situation et de leur satisfaction devant la notoriété des deux commissaires, la valeur d’un exercice de délibération démocratique et le partage des expertises.
Quelques associations (5) se sont par ailleurs montrées nettement plus critiques à l’endroit de cet exercice de délibération, alors que d’autres affichaient des positions nuancées (5). Ces dernières appelaient à la prudence alors que plusieurs affirmaient souhaiter participer en dépit du contexte et de leur scepticisme à l’endroit des résultats attendus.
Il n’en demeure pas moins qu’une forte majorité des associations semble bien disposée face à la commission. Il s’agit sans aucun doute d’un biais dû à la sélection du corpus composé de groupes qui sont intervenus dans le cadre de la commission Bouchard-Taylor et donc, dans une certaine mesure, qui y ont été favorables.
Les raisons invoquées pour justifier le dépôt de ces mémoires ne nous fournissent pas d’indication quant aux positions des porte-parole de ces groupes à l’endroit des différentes dimensions de la citoyenneté. Toutefois, elles permettent de rendre compte du climat dans lequel leur réflexion fut élaborée.
Les droits des citoyens
Les aspects juridiques de la citoyenneté, qui renvoyait traditionnellement aux droits politiques et sociaux dans la perspective marshallienne, se sont transformés pour accorder une place importante aux droits s’inscrivant dans la lutte contre la discrimination et la reconnaissance des minorités issues de l’immigration (Joppke, 2007, p. 42). En d’autres termes, la citoyenneté accorde l’accès à des droits qui s’appliquent de manière indifférenciée à tous les citoyens et procure un traitement identique. Cependant, l’égalité formelle n’est pas garante d’une égalité réelle. C’est l’accès à cette dernière qui justifie une interprétation des droits à la lumière des effets discriminatoires que pourrait causer une lecture strictement formelle et procédurale des normes juridiques. C’est sur cette base que la dimension recouvrant les droits s’est transformée. Comme le faisait remarquer Iris M. Young, au coeur de ces défis [traduction] « se trouve le concept de citoyenneté différenciée qui se présente comme la meilleure façon d’appréhender l’inclusion et la participation de tous » (Young, 1995, p. 176 italiques dans le texte).
Les citoyens sont porteurs de droits et ceux-ci sont garantis dans des textes (législatifs ou constitutionnels). Ainsi, les chartes canadienne et québécoise reconnaissent, à l’instar de ce que l’on retrouve dans toutes les démocraties libérales, les droits démocratiques (notamment, le droit de voter et de se présenter à des postes électifs), juridiques et à l’égalité, ainsi que les libertés considérées comme fondamentales : libertés de conscience et de religion, d’expression, de réunion et d’association.
Les droits des citoyens étaient au coeur du document de consultation de la commission puisque la notion qui faisait l’objet de controverse, celle des accommodements raisonnables, découle du droit à l’égalité. Il n’est donc pas étonnant que cette dimension fût largement abordée dans les mémoires. Qui plus est, le document de consultation demandait explicitement « si certains droits que vous considérez comme plus fondamentaux, devraient avoir préséance sur d’autres ? » (CCPARDC, 2007, p. 18).
Au total, 33 associations ont traité de thèmes reliés au droit. Les chartes y sont vues comme remplissant un rôle essentiel, non seulement pour assurer l’égalité formelle (et abstraite) entre les individus, mais aussi pour renforcer les luttes contre la discrimination et assurer, de manière réelle, l’égalité entre les personnes. À cet égard, tous les citoyens font l’objet d’une protection identique, peu importe leur origine[8].
La question ayant retenu le plus l’attention est, de loin, celle portant sur la hiérarchisation et l’interdépendance des droits. Une forte opposition à l’endroit de cette perspective s’est manifestée, notamment en ce qui concerne la suprématie qu’occuperait le droit à l’égalité entre les femmes et les hommes. La position de la Ligue des droits et libertés (LDL) résume bien l’essentiel des arguments invoqués : « Comprendre le droit à l’égalité des hommes et des femmes dans la perspective d’une interdépendance des droits renforce ce dernier », de telle sorte que « consacrer la suprématie du droit à l’égalité des femmes et des hommes risque d’entraîner certaines contradictions et pourrait même porter atteinte, par exemple, à la pleine autonomie des femmes dans l’exercice de leur liberté de religion » (LDL, 2007, p. 4-5). À cet égard, l’association Al Hidaya souligne qu’une telle approche contribuerait à produire un effet contraire à celui souhaité puisqu’elle permettrait de discriminer les musulmanes qui portent le voile, institutionnaliserait une certaine forme d’inégalité en créant deux catégories de femmes, conduisant à des processus de stigmatisation, d’aliénation et de marginalisation au sein de la société et, finalement, irait à l’encontre du principe de l’égalité des chances en matière d’éducation et d’accès au travail[9]. Il faut souligner que cette position fut reprise par toutes les associations à vocation religieuse, qu’elles soient de confessions chrétienne, musulmane, sikhe ou juive.
D’autres associations, sans pour autant favoriser la hiérarchisation des droits, invitent l’État (et les tribunaux) à demeurer vigilants afin d’éviter que le droit à la liberté religieuse l’emporte sur le principe d’égalité des genres. Seulement deux associations sont en faveur de la primauté du principe de l’égalité entre les femmes et les hommes sur les autres droits. Pour le Service d’aide aux Néo-Canadiens, cette prééminence éviterait les problèmes de « conciliation » entre les valeurs (SANC, 2007). Cette position est partagée par le Congrès national des Italo-Canadiens puisqu’elle permettrait de mettre à l’écart des croyances « non conformes à nos valeurs d’égalité de tous les individus » (Congrès national des Italo-Canadiens, 2007, p. 4). Toutefois, ces positions sont marginales par rapport à celles défendues par les autres associations.
Les enjeux liés à la liberté de religion et de conscience ont été abordés dans 24 mémoires. Sans surprise, ce thème a particulièrement retenu l’attention des associations à identité religieuse. Ces dernières se prononcent contre toute modification qui pourrait en limiter la portée. Les croyances (religieuses ou non) s’inscrivent dans une identité que nous pourrions qualifier de totalisante en ce qu’elles représentent une composante essentielle de l’identité individuelle, de la liberté et de la dignité de la personne. À la lumière du contexte dans lequel se déroulent les travaux de la commission, la tension entre liberté religieuse et égalité se manifeste particulièrement autour du port de signes religieux, nommément le foulard islamique. Pour l’Association musulmane québécoise, le choix de porter ou non un hijab s’inscrit dans une démarche personnelle de la femme et toute prohibition « serait contraire à la liberté qu’elle a de disposer de son corps selon sa conscience et ses convictions » (2007, p. 15). Cette position est partagée par toutes les associations musulmanes, à l’exception du Centre culturel islamique de Québec[10]. Le respect de ce droit est présenté de manière plus nuancée par le Sikh Community of Montreal (SCM) ainsi que le B’nai Brith Canada – région Québec. Ce dernier rappelle l’importance d’accommoder les pratiques religieuses, « dans la mesure du possible », et souligne que « la religion ne devrait pas être restreinte uniquement à la sphère privée; il faudrait plutôt permettre les pratiques religieuses dans les lieux publics à la condition expresse qu’elles ne portent pas atteinte aux droits des autres », rappelant au passage que le droit de porter des symboles religieux, tant dans les sphères publiques que civiques, a été confirmé par les tribunaux (2007, p. 7).
Si l’idée d’une hiérarchisation des droits est fortement remise en question, il n’en demeure pas moins que les groupes souhaitent une modification des outils juridiques afin d’assurer que les droits puissent avoir des incidences réelles sur les conditions économiques et sociales qui font obstacle à leur pleine réalisation. La LDL fait remarquer que « [l]à où le bât blesse pour de trop nombreuses femmes, c’est qu’elles ne peuvent exercer en toute égalité leurs droits économiques, sociaux et culturels. Sans la mise en oeuvre de ces droits, le droit à l’égalité est désincarné, vidé d’une partie de son sens, ramené à sa dimension formelle. Ce qui importe pour les femmes, c’est l’exercice en toute égalité de leur droit à un revenu décent, leur droit à la santé, à la sûreté, à la liberté » (2007, p. 5)[11]. C’est ainsi que les accommodements raisonnables, qui s’inscrivent dans le droit à l’égalité, sont considérés comme une mesure d’inclusion sociale et de pleine intégration en milieu de travail.
En somme, et puisque certaines questions posées par la commission se penchaient sur la possibilité de reconfigurer les rapports entre les droits, quitte à les hiérarchiser, les positions exprimées permettaient de cerner la manière dont les membres des minorités racisées et religieuses entrevoyaient le régime de citoyenneté sous cet angle. À cet égard, les chartes jouent indubitablement un rôle central. La mobilisation du droit permet de dépasser certains blocages rencontrés dans le cadre des débats politiques qui peuvent avoir une incidence sur les minorités racisées et religieuses. La quête d’égalité et la lutte contre la discrimination ne peuvent faire l’économie du recours à la normativité juridique lorsqu’il s’agit de garantir les droits des minorités. Et comme cette normativité peut prendre plusieurs visages, il importe d’éviter la hiérarchisation des droits, ce qui ne pourrait se traduire que par de nouvelles formes de stigmatisation et de mise à l’écart et affecter particulièrement les femmes vulnérables que l’on cherche justement à protéger. Cette normativité n’est jamais présentée de manière statique, mais s’inscrit plutôt dans la négociation perpétuelle des règles à la lumière de l’évolution des rapports sociaux. Les citoyens sont effectivement porteurs de droits, mais leur interprétation doit tenir compte de la sensibilité des populations jugées plus vulnérables. Celles-ci le rappellent avec insistance. L’accroissement de la diversité religieuse participe activement à cette renégociation des frontières entre les convictions (religieuses ou non) et l’encadrement de leur expression dans l’espace public, sinon civique. La capacité de la société à reconnaître ces droits est d’ailleurs présentée comme un vecteur favorisant l’adhésion des personnes issues des minorités et au renforcement de leur sens d’appartenance, autre dimension constitutive de la citoyenneté. Loin de remettre en question les fondements juridiques de la citoyenneté dans l’espace québécois (et canadien), les minorités racisées cherchent plutôt à atteindre une égalité réelle, à assurer leur inclusion et leur participation. Rien ne laisse croire à une instrumentalisation des droits dans le but d’accroître l’écart entre la société d’accueil et une normativité juridique qui lui serait étrangère.
L’appartenance citoyenne
L’élargissement et la reconfiguration des droits des citoyens ont produit des effets importants sur la dimension identitaire et subjective de la citoyenneté dans la mesure où les protections contre la discrimination et les droits « multiculturels » ont fait en sorte que l’appartenance à la communauté politique (l’État-nation) ne favorise plus une conception homogène de l’identité (si tel ne fut jamais le cas). Cela poserait des défis particuliers pour la cohésion sociale et l’unité nationale (Joppke, 2007, p. 38-39). C’est l’idéal de l’État-nation, comme lieu de chevauchement entre territoire et nation sociologique, qui est mis sous tension (Anderson, 1991; Hobsbawn, 1992; Thomas, 2006). La citoyenneté comme statut, dans le cadre des sociétés libérales, est maintenant dissociée de la dimension identitaire de telle sorte que [traduction] « les États ne peuvent plus imposer une identité substantielle comme condition préalable à l’acquisition de la citoyenneté, et les identités primordiales de groupe jouissent même d’un statut juridique » (Joppke, 2007, p. 44). Si les États ne peuvent imposer une identité collective ou même nationale, ils peuvent néanmoins contourner ce problème en la « resubstantialisant » par d’autres moyens. Ainsi, le recours à des principes universels en apparence neutres (la laïcité, l’égalité entre les femmes et les hommes, le respect de la règle de droit, etc.) est mis de l’avant pour y parvenir. Le fait de donner un caractère plus substantif aux principes qualifiés d’universels contribue ainsi à faire en sorte que ce libéralisme en apparence procédural et neutre se transforme en vecteur identitaire, renvoyant dos à dos les citoyens libéraux et les autres (généralement les minorités racisées d’immigration récente). Christian Joppke fait remarquer que, dans le contexte européen (ce qui peut aussi s’appliquer ailleurs), (traduction)« la première itération de cette idée s’est réalisée dans le contexte du colonialisme, ce dernier ayant permis la délimitation hiérarchique entre les modes de vie européens et non européens, les Européens se posant comme des ’êtres supérieurs’ » (Joppke, 2008, p. 544). La dimension qui renvoie à l’appartenance recèle une tendance inhérente à l’exclusion. En effet, l’identification des principes, des valeurs et des normes auxquels tous doivent impérativement souscrire constitue une forme de violence symbolique qui affecte particulièrement les individus et les groupes suspectés de vouloir y déroger (Benhabib, 2002; Bloemraad, Korteweg et Yurdakul, 2008; Bosniak, 2001; Brubaker, 1992).
Quoi qu’il en soit, l’État déploie des ressources considérables pour exercer son pouvoir symbolique en déclinant les éléments qui déterminent les conditions d’appartenance à la communauté politique et nationale. Il intervient, de ce fait, sur la dimension affective, qui touche aussi bien l’ensemble de la collectivité (le renforcement du sentiment de solidarité) que les individus (le sentiment d’être reconnu comme membre à part entière) (Bloemraad, 2000). Ainsi, l’État favorise une identité particulière qui, comme le souligne Daniel Salée, « apparaît largement et inéluctablement constituée des a priori normatifs de la culture ou de l’identité nationale dominante » (Salée, 2010, p. 159). L’inclusion est donc possible, mais dans un cadre bien balisé par le groupe et la culture majoritaires. Des transformations et des ajustements à ce cadre sont assurément inévitables, mais ne se réalisent « harmonieusement » que si elles ne menacent pas la cohésion sociale, c’est-à-dire l’hégémonie socioculturelle et le pouvoir social de la culture dominante.
Finalement, il importe de mentionner que la constellation des statuts, qui s’inscrit dans le processus de décentralisation propre à certains régimes fédéraux, a fait en sorte que les points de référence identitaires se sont multipliés. Ainsi, selon Eve Hepburn, [traduction] « les institutions régionales sont en mesure de promouvoir une identité régionale et d’agir comme agents de socialisation. [...] Les identités régionales sont renforcées si elles sont étayées par des revendications nationalistes fondées sur l’existence de traditions reposant sur l’histoire, la culture et la langue » (Hepburn, 2011, p. 510). Les projets concurrentiels de « nation building » interpellent donc directement les citoyens. Les appartenances, les loyautés et les identités peuvent évidemment se chevaucher, mais ces projets peuvent aussi afficher des attentes particulières quant à la hiérarchie des identités souhaitée. Cette dynamique est particulièrement présente dans le contexte québécois où les identités canadienne et québécoise font l’objet de tensions, sinon de conflits (Gagnon et Iacovino, 2007; Labelle et Rocher, 2009).
Il n’est donc pas étonnant de rappeler que les conditions du « vivre ensemble » furent au coeur des préoccupations de la commission Bouchard-Taylor. Comme le rappelle le guide à l’intention des participants, « le Québec doit trouver le moyen de conjuguer des cultures différentes partageant un même espace et relevant des mêmes institutions. Ce contexte de frictions interculturelles est vécu par plusieurs comme une crise, mais il peut être aussi abordé sous un angle positif, dans la mesure où il fournit l’occasion de revoir et, au besoin, de redéfinir les liens qui nous unissent » (CCPARDC 2007, p. 4). C’est d’ailleurs en ces termes que fut présentée la finalité de la consultation. Puisque la diversité est appréhendée comme une source de « friction » qui nuirait à l’unité au sein de la communauté nationale, les groupes qui ont présenté des mémoires ont dû tenir compte de cette compréhension des rapports intercommunautaires, que ce soit pour la qualifier, la contextualiser ou la déconstruire.
Rappelons que le lieu, l’espace et le territoire d’appartenance sont clairement identifiés dans les documents préparatoires aux audiences : il ne fait référence qu’au Québec. Le document de consultation ne mentionne le Canada qu’en lien avec la Charte des droits et libertés et le contrôle qu’exerce l’État canadien sur la politique d’immigration. Les neuf valeurs qui caractériseraient la société québécoise y sont par ailleurs énumérées : (1) le respect des libertés individuelles, (2) la solidarité, (3) la participation civique, (4) la démocratie, (5) l’égalité (particulièrement l’égalité homme-femme), (6) le pluralisme, (7) le français comme langue publique commune, (8) la laïcité, (9) le pacifisme (l’antimilitarisme, le règlement pacifique des conflits) (p. 18). On ne précise pas ce qu’on entend par « valeur » ni ne justifie ce choix. C’est néanmoins à ce bouquet de valeurs que tous les citoyens sont invités à adhérer. Dans cette rubrique, la commission demandait entre autres aux participants s’ils étaient d’accord avec cette énumération et s’il existait une hiérarchie entre ces différentes composantes. Dans la section traitant spécifiquement de « diversité culturelle », dans le volet diversité et cohésion, les questions portent notamment sur les inquiétudes liées à la fragmentation sociale : l’une d’entre elles demande si l’existence d’une identité canadienne-française forte, tout comme le nationalisme québécois, peut être une source de malaise pour les Québécois « d’autres origines » ou un obstacle à leur intégration (p. 20) et, sous le sous-titre « une identité, une culture québécoise » (les deux déclinés au singulier), le document pose la question suivante : « Comment concilier l’affirmation de la culture canadienne-française avec la diversité que représentent les minorités ethniques et les immigrants? Comment penser la coexistence ou l’articulation de ces cultures? Par exemple, le Québec devrait-il viser à instituer une identité commune? une pluralité d’identités? ou un compromis entre ces deux possibilités? » (p. 21). Pour l’essentiel, il s’agit de prendre la mesure du malaise et de voir dans quelle mesure l’identité québécoise présumée est menacée par la diversité.
Pas moins de 44 associations ont abordé l’enjeu des « valeurs québécoises ». Mais à quoi adhèrent-elles? Elles reconnaissent toutes la nécessité de défendre les valeurs démocratiques, la primauté du droit et le principe de l’égalité (et qui sont inscrites dans les chartes canadienne et québécoise). Aucune ne s’oppose à l’énumération des valeurs présentées dans le document de consultation. Toutefois, elles font valoir que leur interprétation n’est pas univoque : qu’il importe de distinguer entre les valeurs, les pratiques et les traditions, qu’une approche républicaine « à la française » a pour effet de ne pas tenir compte du principe d’équité qui permet de donner au principe d’égalité tout son sens. Elles craignent que l’instrumentalisation des valeurs dites universelles conduise au rejet et à l’exclusion de ceux qui veulent pouvoir exprimer librement leurs convictions religieuses dans l’espace public (et même civique). Qui plus est, elles dénoncent la hiérarchisation des identités et l’opposition entre Québécois de souche et ceux issus de l’immigration (ancienne ou récente) qui a pour effet de diviser la société en deux catégories s’excluant mutuellement. Les identités sont plurielles et ne constituent pas un jeu à somme nulle[12]. Dans cette perspective, les questions posées dans le document de consultation au sujet d’une identité québécoise qui ne se déclinerait qu’au singulier sont antinomiques avec la diversité constitutive du Québec, qu’elle soit contemporaine ou fonction de l’histoire du Québec.
Les associations rejettent tout autant une approche qui refuserait les aménagements qui découlent de la prise en compte de la diversité et invitent à l’expression d’une plus grande tolérance. Si la société d’accueil doit être animée par cette vertu, les immigrants se doivent aussi de ne pas perpétuer des manières de faire qui iraient à l’encontre des valeurs communes. Pour la Fondation de la tolérance, « [l]’intégration ne doit pas signifier pour le nouvel arrivant la négation de soi et encore moins l’ignorance des valeurs de la société d’accueil », même si ce dernier doit renoncer à son ancien mode de vie au nom du « vivre ensemble » et du projet commun (2007, p. 18). Elle rappelle que la tolérance consiste aussi « à accepter que les nouveaux arrivants perpétuent rites et coutumes qui ne sont pas en opposition fondamentale avec les valeurs de la société d’accueil »[13] (p. 18). L’intégration est présentée comme une responsabilité partagée : les individus appartenant à des minorités doivent faire un double effort, se faire mieux connaître, mais aussi souscrire aux valeurs, à l’imaginaire collectif et symbolique de la société d’accueil pour éviter le repli sur soi. La fondation ajoute que ce « ’contrat moral et citoyen’ entre l’immigrant et le Québec doit comprendre entre autres le respect des valeurs essentielles telles que l’égalité des sexes pour éviter les fractures identitaires » (Fondation de la tolérance, 2007, p. 23).
L’adhésion aux « valeurs québécoises » est ainsi réaffirmée sans détour. Certaines associations ne manquent pas de souligner que les raisons qui ont conduit à la mise sur pied de la commission sont en quelque sorte en porte-à-faux par rapport aux valeurs auxquelles la société québécoise prétend adhérer. Par exemple, le Centre culturel islamique de Québec rappelle qu’il ne remet question aucune de ces valeurs tout en espérant, en retour, « des attitudes plus conformes à ses propres acquits [sic] démocratiques et de respect de droits qu’elle a elle-même consacrés par consensus dans au moins une Charte des droits et libertés, celle du Québec » (Centre culturel islamique de Québec, 2007, p. 13).
Pour les associations préoccupées par les minorités racisées et religieuses, l’inclusion sans discrimination constitue l’une des premières conditions à respecter pour favoriser l’appartenance[14]. Pour y arriver, aux dires des intervenants, certaines mesures spécifiques s’imposent, notamment en matière de formation des fonctionnaires à la diversité de tous les ordres de gouvernement, une meilleure représentation des membres des communautés culturelles au sein de la fonction publique, des programmes de lutte contre la pauvreté, des mesures favorisant l’insertion en emploi, un accès équitable à la justice, une meilleure formation linguistique, etc.
Finalement, mentionnons que la plupart des associations n’abordent pas les conflits identitaires induits par la « question nationale » québécoise et les projets de construction nationale en concurrence entre le Canada et le Québec. La tension entre les modèles « multiculturel canadien » et « interculturel québécois> » n’est que rarement mentionnée, sinon pour indiquer que l’on n’entend pas se prononcer sur cet enjeu, que les différences entre les deux approches sont ténues ou que le gouvernement du Québec n’a pas véritablement mis en place l’interculturalisme[15]. La Fondation de la tolérance rejette le multiculturalisme « cloisonnant », la Fédération des travailleurs du Québec en fait de même en invoquant le relativisme culturel qu’il nourrirait, sans toutefois prendre parti en faveur de l’interculturalisme. Certaines associations souscrivent explicitement ou implicitement au « modèle québécois » défini dans le document de consultation, reprenant la critique maintes fois énoncée concernant le potentiel de ghettoïsation associée au multiculturalisme canadien d’inspiration anglo-saxonne[16]. D’autres associations considèrent simplement que le Québec participe et s’inscrit dans la politique canadienne du multiculturalisme canadien (Communauté catholique congolaise de Montréal, Fondation canado-palestinienne)[17].
Toutefois, quelques associations reconnaissent la présence d’un conflit entre les perspectives canadienne et québécoise et comprennent l’insécurité identitaire de la majorité francophone[18]. Une association affirme que « [t]ous les acteurs sociaux et politiques, d’autant plus s’ils appartiennent aux minorités nouvellement établies, devraient soutenir sans ambiguïté la volonté des Québécois d’ascendance française à affirmer la place centrale que doit occuper leur identité culturelle dans le Nous social et politique du Québec » (Astrolabe, 2007, p. 13). Elle impute le « malaise identitaire » à l’inachèvement du projet politique du Québec et affirme que « quelle que soit cette décision, nous participerons à la construction du Québec avec bonne volonté » (p. 14). Mais cette perspective n’est présente dans aucun autre mémoire.
En somme, l’appartenance citoyenne n’est ni unidirectionnelle, ni univoque. Les porte-parole des minorités racisées et religieuses reconnaissent la légitimité du processus d’acculturation et souscrivent aux normes édictées (ou, plus modestement, aux « valeurs » énumérées par la commission) dans la mesure où ils ont voix au chapitre. Quelques-uns admettent volontiers partager le destin de la société d’accueil, bien que la majorité d’entre eux ne se soit pas prononcée sur les enjeux liés au conflit identitaire ou même reconnu l’existence du modèle dit interculturel. Aucune association ne reprend, d’une manière ou d’une autre, la dichotomie simpliste qui consiste à savoir si c’est à la société d’accueil de s’adapter au nouvel arrivant ou plutôt l’inverse, et tous soutiennent que les ajustements doivent être mutuels. De plus, tous les mémoires affichent une forte adhésion aux valeurs énoncées dans le document de la commission. Toutefois, par-delà cette position de principe, des nuances doivent être mises en évidence. Évidemment, les « valeurs » qui renvoient aux libertés fondamentales et démocratiques sont fortement appuyées. Le respect des libertés individuelles apparaît comme l’une des pierres d’assise sur lesquelles repose l’adhésion au Québec. Qui plus est, le statut du français n’est jamais remis en question[19].
En ce qui concerne l’aspect plus « substantiel » des valeurs, les positions sont plus nuancées. Les principes d’égalité et de laïcité ne sont pas contestés, mais leur mise en application soulève de nombreux commentaires. On craint notamment qu’une approche marquée par l’érection d’interdits ne favorise la mise à l’écart des individus qui, en fonction de leurs convictions religieuses et des signes qui les accompagnent, dérogent à la « norme » édictée par la majorité. Ainsi, plusieurs soulignent que la discrimination dont font l’objet certaines minorités racisées et religieuses ne peut que nuire à la cohésion sociale tant souhaitée. Finalement, la notion d’appartenance contient une dimension identitaire et subjective. À cet égard, la société de référence demeure ambiguë. D’une part, les mémoires font largement référence à la Charte canadienne des droits et libertés. Même si les libertés qui y sont énumérées sont reprises dans la Charte des droits de la personne du Québec, l’encadrement juridique canadien qui balise les libertés fondamentales constitue le point nodal de référence. De plus, les débats entourant le statut du Québec au sein du Canada et l’opposition présumée entre le multiculturalisme canadien et l’interculturalisme québécois ne sont que très peu abordés. Parfois, les deux se confondent. Le quart des associations souscrit néanmoins au modèle interculturel et se montre critique à l’endroit du multiculturalisme. Enfin, l’adhésion et l’appartenance à la communauté politique sont réitérées. Celles-ci ne sont toutefois pas inconditionnelles et une certaine forme de réciprocité et d’ouverture est attendue. La frontière entre le « Nous » québécois et les minorités racisées et religieuses est donc poreuse.
La participation citoyenne
La participation ne se limite pas aux seuls aspects civique et politique (vie associative, vote, appartenance à un parti politique, signature de pétitions, etc.) qui ont fait l’objet de nombreuses études tant au Canada (Anderson et Black, 2008; Bilodeau, 2008; Black, 2001 et 2011; Whiteet al., 2006) qu’à l’étranger (Cho, 1999; Just et Anderson, 2012; Leighley et Matsubayashi, 2009; Ramakrishnan, 2005; Ramakrishnan et Espenshade, 2001; Stoll et Wong, 2007). Elle couvre d’autres modes de participation qui ont une incidence majeure sur la vie des individus, particulièrement ceux reliés à l’insertion sur le marché du travail et à l’inclusion sociale, qui soutiennent la capacité des individus à agir et à être reconnus comme citoyens (Hyman, Meinhard et Shields, 2011). Pour Irene Bloemraad, [traduction] « la participation crée un lien conceptuel et empirique entre l’individu et la communauté sociopolitique, introduisant ainsi un élément dynamique clé » (Bloemraad, 2000, p. 10). Ces formes de participation permettent de prendre la mesure de l’incorporation dans le tissu social, mais aussi celle de la possibilité de contribuer aux institutions politiques, économiques et aux mouvements sociaux qui formulent des revendications et sont actifs dans l’espace public. La participation devient un puissant indicateur d’intégration. Le caractère foncièrement dynamique de la participation rappelle que les actions des individus contribuent à modifier le contexte social dans lequel ils évoluent, même si ce dernier structure, encadre, facilite ou limite les différentes formes de participation.
La « pleine participation » était présentée dans le document de consultation de la commission Bouchard-Taylor comme une priorité gouvernementale. Rappelons que la participation civique, au sens large, constituerait l’une des valeurs fondamentales caractérisant la société québécoise. Pour les commissaires, intégration et participation forment une dyade. Selon la commission, « [u]n modèle équitable d’intégration devrait viser à assurer la participation de tous aux institutions publiques et à la vie citoyenne » (CCPARDC, 2007, p. 23). Cette préoccupation a été mentionnée dans 39 mémoires. Toutefois, les associations à vocation générale et celles à identité ethnique ont été nombreuses à relever cet enjeu (respectivement 66 % et 78 % des mémoires) alors que cette dimension était relativement moins présente dans les mémoires présentés par les associations à identité religieuse (56 %).
Tous reconnaissent la nécessité et l’importance de la participation. Le contraire aurait d’ailleurs été étonnant. Toutefois, les mémoires insistent surtout sur les limites, obstacles, problèmes et contraintes rencontrés par les groupes racisés pour pleinement l’exercer. À cet égard, c’est surtout la société d’accueil qui est interpellée. Les conditions optimales d’une « pleine participation » ne sont pas réunies, tant s’en faut. La Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes (TCRI) exprime bien le sentiment largement partagé voulant que le principal écueil consiste à « la place que la société est disposée à offrir pour inclure le nouvel arrivant » (TCRI, 2007, p. 7). L’existence de la discrimination, le manque de sensibilité de la population à l’endroit de cette question et la difficulté des membres des groupes racisés à faire reconnaître et à exercer leurs droits sont considérés comme des obstacles objectifs. Cette marginalisation ne touche pas tous les groupes de la même manière. Par exemple, le Congrès juif canadien indique que les contraintes discriminatoires affectant ses membres ont pratiquement disparu (Congrès juif canadien, 1987, p. 10). Il n’en est pas de même pour d’autres communautés. Le Conseil canadien des femmes musulmanes faisait remarquer qu’elles « viennent en troisième rang (après les juives et les hindoues) pour le degré de scolarité. Par contre elles (les musulmanes) détiennent le palmarès pour le chômage » (2007, p. 7). Cela serait le résultat d’une forme de discrimination religieuse affectant particulièrement les musulmanes qui portent le voile. La clé de voûte de la participation citoyenne est celle d’une intégration au marché du travail qui respecte les habilités et les compétences acquises. Le Conseil central du Montréal métropolitain (CCMM) de la CSN rappelait que les femmes immigrantes en âge de travailler représentaient la moitié de la population immigrante. Même en possédant un niveau d’éducation égal, voire même supérieur aux autres femmes, seulement la moitié d’entre elles réussissent à participer au marché du travail, soit un taux de 6 % inférieur aux femmes nées au Québec (CCMM-CSN, 2007, p. 3).
Pour les intervenants, toutes les mesures visant l’intégration adoptées par les autorités gouvernementales et même par les entreprises privées sont susceptibles d’accroître la participation : sur le plan juridique, les accommodements raisonnables remplissent une fonction intégratrice dans la mesure où ils empêchent que des normes qui semblent en apparence justes et légitimes aient un effet d’exclusion. Ces accommodements favorisent l’intégration puisqu’il incombe aux deux parties de trouver une solution mutuellement acceptable pour résoudre les problèmes rencontrés. Ils contribuent ainsi à l’implantation d’une culture de négociation (Conseil interculturel de Montréal [CIM], 2007, p. 24). Dans cet esprit, tous les mémoires soumis par les associations à identité religieuse ont souligné que l’imposition de nouvelles contraintes découlant d’une lecture « rigide » de la laïcité, notamment l’interdiction concernant le port de certains symboles religieux, se traduirait par l’exclusion d’individus sur la base de leurs convictions religieuses. Une approche plus flexible favoriserait, par ailleurs, l’inclusion[20].
En somme, la dimension renvoyant à la participation rappelle que la citoyenneté n’est pas une réalité passive. Les individus ne se bornent pas à souscrire à des normes – notamment juridiques – ou à répondre béatement à des attentes déclinées, de manière plus ou moins péremptoire, par les autorités publiques en matière d’appartenance et d’adhésion aux valeurs dites communes. Ils interviennent en tant que sujets actifs qui négocient les conditions de leur inclusion économique, sociale, culturelle et politique. Ce processus d’inclusion doit prendre en considération les contraintes (exclusion, discrimination, essentialisation) auxquelles certains groupes racisés et religieux sont confrontés. Encore une fois, la dimension participative devrait concerner tout autant, sinon davantage, le groupe majoritaire. Si cette participation est une condition nécessaire à l’intégration, elle n’est toutefois pas suffisante. La réciprocité est attendue de la part de la société d’accueil, qui doit faire preuve d’ouverture à l’endroit de la diversité dans une dynamique, forcément asymétrique, de recomposition socioculturelle.
⁂
Deux constats se dégagent de cette étude. Le premier permet de répondre aux préoccupations exprimées au sein du groupe majoritaire francophone vis-à-vis de l’intégration des minorités racisées. Dans les médias (et dans certains écrits polémiques), ces dernières furent dépeintes sous leur plus mauvais jour : elles réclameraient des privilèges, imposeraient leurs coutumes, représenteraient un danger pour les droits fondamentaux, opprimeraient les femmes, certaines minorités (en particulier les musulmans) seraient mues par des chefs de file religieux intégristes profitant du laxisme et de l’indécision des institutions québécoises, etc. En somme, elles refuseraient de s’intégrer. Or, si cette intégration passe par l’adhésion à des valeurs aux règles juridiques qui régissent la société québécoise, force est de constater l’inexistence d’un problème. Aucun mémoire ne les conteste ou ne les remet en question. Les tensions résident plutôt ailleurs.
Le deuxième constat renvoie à la problématique générale de la citoyenneté et à la perpétuelle (re)négociation de ses différentes composantes dans une société libérale et démocratique. Plutôt que de nous concentrer exclusivement sur la manière dont les autorités politiques (partis, gouvernements, institutions, politiques publiques) déclinent le cadre général de la citoyenneté du point de vue de la norme juridique, du sentiment d’appartenance à développer et des conditions sociétales favorisant la participation, nous avons plutôt cherché à apporter un éclairage qui tienne compte de la manière dont les acteurs sociaux issus des minorités envisagent la citoyenneté. En d’autres termes, de montrer en quoi la prise en compte de cette dimension permet une compréhension plus fine du processus de construction de la citoyenneté.
D’abord, les normes juridiques jouent un rôle essentiel pour non seulement assurer l’égalité des citoyens, mais surtout pour faire en sorte que les formes de discrimination auxquelles peuvent faire face les individus appartenant aux minorités racisées et religieuses puissent être combattues. Les normes juridiques fournissent une protection contre les abus pouvant être exercés à l’encontre des individus à cause de leur différence de statut, d’origine, de conviction, d’origine, etc. C’est à travers le recours au droit que ceux-ci accèdent à l’égalité réelle lorsque cette dernière est mise à mal. À cet égard, les chartes demeurent des documents de référence incontournables à cause de leur portée juridique, mais aussi en vertu de la charge symbolique qu’elles véhiculent. Dans ce contexte, une possible hiérarchisation des droits apparaît comme un non-sens puisqu’elle produirait des résultats incompatibles avec ses fonctions d’inclusion, de réparation des torts causés et de pleine participation.
Ensuite, concernant l’appartenance (membership), la prise en compte du discours des intervenants issus des minorités racisées montre que, plutôt que de se plier aux injonctions à se conformer aux éléments constitutifs de la culture de la majorité, ils défendent la perméabilité des frontières et la recomposition des conditions permettant de partager une communauté de destin. Une minorité d’associations fait preuve d’empathie à l’endroit de l’insécurité identitaire du groupe majoritaire (les autres ne se prononcent pas, ce qui ne peut être interprété comme un signe d’antipathie). Néanmoins, tout en ne remettant pas en question la pérennisation de la culture de la majorité, les associations craignent plutôt l’instrumentalisation politique des valeurs qualifiées d’universelles. En effet, on souligne que celles-ci sont sujettes à interprétation, évoluent, se transforment au gré des interactions et des inévitables négociations. C’est donc dire que les particularismes identitaires des minorités ne sauraient se fondre en un tout indifférencié dont les contours seraient définis exclusivement par le groupe majoritaire ou par les acteurs politiques et sociaux les plus influents, sinon les plus volubiles. En clair, on ne saurait reprocher aux porte-parole des minorités de faire preuve d’indifférence ou même de s’opposer au « Québec historique » : ils cherchent plutôt à y contribuer de manière significative et insistent pour que leur voix soit entendue. Plus important encore, l’appartenance souhaitée impose un devoir de réciprocité qui interpelle directement la société majoritaire. En d’autres termes, le désir clairement exprimé d’appartenir à la société québécoise exige que celle-ci se montre réceptive à l’endroit des individus issus des minorités racisées, respecte les différences et mette en place des mécanismes et des politiques proactives d’intégration. En somme, l’appartenance citoyenne, sans être conditionnelle, trouve sa plénitude dans un rapport social reconnaissant l’altérité, et ce, dans le cadre d’une société historiquement constituée. C’est pourquoi les débats portant sur les distinctions entre les modèles multiculturel et interculturel trouvent relativement peu d’écho dans les mémoires. Ce qui importe, en fin de compte, est de faire sauter les barrières nuisant à une réelle appartenance.
Finalement, la normativité juridique et les conditions permettant l’appartenance ne prennent tout leur sens que dans la mesure où les individus issus des minorités racisées peuvent pleinement participer à la vie sociale, économique, politique et culturelle de la société d’accueil. Du point de vue des minorités, c’est encore ici la majorité qui doit davantage se sentir interpellée que l’inverse. En effet, qui subit la discrimination, l’exclusion, la marginalisation et la mise à l’écart, si ce ne sont les groupes qui affichent une différence visible par rapport aux préférences et aux normes implicites dictées par le groupe majoritaire? Dit autrement, les minorités racisées et religieuses cherchent moins à se mettre à l’écart afin de préserver coûte que coûte leurs différences qu’à supprimer les obstacles à une pleine intégration dans un contexte marqué par des rapports de domination – appelons les choses par leur nom – camouflés derrière un discours qui met de l’avant l’impératif de l’adhésion inconditionnelle aux normes et valeurs édictées par le groupe majoritaire.
Cette perspective générale oblige à une compréhension plus nuancée des différentes dimensions associées à la citoyenneté que ce que laisse entrevoir la littérature qui l’appréhende en surplomb. Elle nous invite à être attentifs au fait que les dimensions constitutives de la citoyenneté font l’objet de délibérations publiques, forcément teintées de rapports de force asymétriques entre acteurs sociaux. Ne porter son regard que sur la manière dont l’État appréhende la citoyenneté, comme la littérature tend généralement à le faire, c’est oublier que les paramètres fixés par le haut tendent à oblitérer le fait que les citoyens ne sont pas simplement des objets de politiques publiques, mais des acteurs qui interagissent et contestent parfois les rôles ou les représentations qui leur sont assignés.
Parties annexes
Note biographique
François Rocher est professeur titulaire de l’École d’études politiques à l’Université d’Ottawa. Ses intérêts de recherche portent notamment sur les enjeux liés à la diversité pluriethnique et plurinationale, la citoyenneté, la politique constitutionnelle et le fédéralisme canadiens et le nationalisme québécois. Il a publié plusieurs ouvrages et notamment codirigé Le nouvel ordre constitutionnel canadien. Du rapatriement de 1982 à nos jours (2013), La dynamique confiance / méfiance dans les démocraties multinationales (2012), Immigration, diversité et sécurité: les associations arabo-musulmanes face à l’État au Canada et au Québec (2009). Il est membre fondateur du Groupe de recherche sur les sociétés plurinationales (GRSP) et est chercheur régulier du Centre de recherche interdisciplinaire sur la diversité et la démocratie (CRIDAQ) de l’UQÀM.
Notes
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[1]
Cette recherche a reçu l’appui du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH). Nous tenons à remercier Daniel Salée ainsi que les deux évaluateurs anonymes de RS pour leurs commentaires et suggestions. Nous ne saurions leur tenir rigueur pour toute erreur ou omission.
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[2]
Nous préférons utiliser le néologisme minorités « racisées » à celui de « communautés culturelles » ou de « minorités ethnoculturelles ». Ce faisant, nous souscrivons à la définition qu’en donne le sociologue Paul Eid : « [L]a notion de racisation vise non seulement à souligner le caractère socialement construit de la “race” mais, par-dessus tout, le fait que celle-ci résulte d’un processus de catégorisation externe opérée par le groupe majoritaire. Cette catégorisation exerce une violence symbolique sur les catégorisés en leur assignant, non pas une culture historiquement construite et en mouvement (privilège des groupes majoritaires), mais plutôt une essence immuable de laquelle sont dérivés mécaniquement tous les traits sociaux, culturels et individuels. Cette essentialisation inhérente à la racisation aboutit à l’assignation des racisés à une nature qui s’épuise dans une marque physique, ou plutôt un stigmate, érigée en principe explicatif à la base de tout leur être collectif » (Eid, 2012, p. 1).
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[3]
Ce courant est parfois qualifié de conservateur, de néoconservateur ou de néo-traditionaliste dans la mesure où l’accent est principalement mis sur des questions identitaires. Voir les critiques de Belkhodja (2008), Labelle (2008), Labelle et Dionne (2011) et Weinstock (2012).
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[4]
Fait significatif de l’intensité du débat qui traversait la composante majoritaire de la société, les mémoires déposés par les associations intervenant auprès ou issus des minorités racisées ou religieuses ne représentaient que 7,1 % de tous ceux soumis à la commission.
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[5]
Par exemple, la Maison culturelle de l’Iran, le South Asian Women’s Community Centre ou le Congrès national des Italo-Canadiens.
-
[6]
Par exemple, l’Association musulmane québécoise, le B’nai Brith Canada ou le Rassemblement des chrétiens du Moyen-Orient.
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[7]
Par exemple, la Ligue des droits et libertés (LDL), le Conseil interculturel de Montréal (CIM) ou la Confédération des syndicats nationaux (CSN).
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[8]
Comme le rappelle la Confédération des syndicats démocratiques (CSD) : « Le législateur a choisi de protéger ces droits parce que toute personne, les ’vieilles souches’, les ’jeunes souches’ comme les nouveaux venus, ’a droit à la reconnaissance et à l’exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence’ fondée sur les motifs cités à l’article 10 de la Charte » (2007, p. 4-5).
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[9]
Il s’agit du Centre communautaire musulman de Montréal qui propose des services religieux, sociaux, éducationnels ainsi que des activités sportives pour les jeunes auprès de la population musulmane dans le but de faciliter l’accueil et l’intégration des nouveaux arrivants. Au sujet de la hiérarchisation des droits, et plus particulièrement la primauté accordée à l’égalité des genres, l’association Al Hidaya soutient que [traduction] : « il est paradoxal de voir comment la primauté de l’égalité entre les sexes par rapport à la liberté de religion contribuerait à l’égalité entre les individus du même sexe. Tout raisonnement humain peut conclure qu’en imposant à une femme ce qu’elle doit porter ou pas et où, ne la rend inégale non seulement à l’endroit des hommes, mais aussi de ses collègues femmes. Par conséquent, ces propositions, si elles sont soutenues et mises en oeuvre, produiront les résultats suivants: a. discrimination contre les femmes musulmanes ; b. institutionnalisation du racisme et de la promotion d’une forme d’inégalité en créant deux catégories de femmes dans la société ; c. stigmatisation, contribuant ainsi à l’aliénation et à la marginalisation d’un groupe de femmes dans la société ; d. dépouillement des femmes de leur droit à l’égalité des chances à l’éducation et au travail, et donc l’autodétermination » (Al Hidaya Association, 2007, p. 10-11).
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[10]
Par contre, le Centre culturel islamique de Québec adopte une position différente, pour le moins ambiguë. Alors qu’il soutient que le choix de porter le foulard est personnel, qu’il traduit une conviction et n’est pas le fruit de l’oppression pour « la majorité des femmes musulmanes », son caractère optionnel est quelque peu battu en brèche lorsque les auteurs du mémoire soutiennent que « le port du foulard et des habits décents fait partie d’un ensemble cohérent de valeurs de l’Islam, que c’est obligatoire en Islam et que c’est un choix des femmes musulmanes pour mieux adhérer aux valeurs de leur religion, il importe de respecter et protéger ce droit dans le cadre du droit fondamental à la liberté de la religion » (2007, p. 14). En somme, il s’agit d’un choix individuel, mais une bonne musulmane doit le porter pour être en harmonie avec les valeurs de l’Islam.
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[11]
Cette idée est reprise par la CSN qui rappelle que le droit à l’égalité des femmes en emploi concerne aussi les congés de maternité, l’équité salariale, les programmes d’accès à l’égalité, les mesures contre le harcèlement sexuel et la violence faite aux femmes. Cette problématique affecte particulièrement plusieurs femmes issues des minorités ethnoculturelles et religieuses qui « vivent une double discrimination en matière d’emploi » (Alliance des communautés culturelles pour l’égalité dans la santé et les services sociaux [ACCÉSSS], 2007, p. 3).
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[12]
Par exemple, le mémoire du groupe Astrolabe rappelle que « les Québécois de confession musulmane, dans leur écrasante majorité, ne veulent au contraire point devoir choisir entre leur identité musulmane, qu’elle soit culturelle ou religieuse, et leur appartenance citoyenne. […] Ils se perçoivent aussi pleinement québécois que musulmans » (2007, p. 17). De plus, il ajoute que la démocratie représentative est incompatible avec une telle approche : la très vaste majorité des musulmans vivant au Québec « se définissent d’abord et avant tout comme des citoyens à part entière dont les représentants politiques ne sont autres que ceux et celles de l’ensemble des Québécois, c’est-à-dire les élus du peuple » (p. 18-19).
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[13]
Il s’agit d’un organisme montréalais qui offre des services de sensibilisation contre la discrimination raciale auprès des jeunes du secondaire pour les familiariser avec différentes questions reliées à l’exclusion pour des raisons de race, handicap, etc., leur enseigner les conséquences des discriminations et prévenir les préjugés.
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[14]
Le Barreau du Québec affirme qu’il « ne faut pas perdre de vue que lorsque certains groupes font l’objet de discrimination, soit en vertu de leur ethnicité ou encore de leur religion, ces attaques érodent le sentiment d’appartenance à la société québécoise et leur confiance envers celle-ci » (2007, p. 23).
-
[15]
Ce fut le cas du Conseil canadien des femmes musulmanes (Québec), du Montreal Chapter of the Canadian Italian Business and Professional Association (CIBPA) et de la Sikh Community of Montreal (SCM). Par exemple, le CIBPA écrivit que (traduction) « [l]a commission a également correctement identifié les fortes similitudes entre le multiculturalisme et l’interculturalisme, qui d’un point de vue ethnique, semble plus un débat d’étiquettes politisées qu’un débat réel quant au contenu » (2007, p. 9); la SCM, pour sa part, soutint que [traduction] « [l]a différence réside peut-être dans le fait que chaque modèle s’efforce de parvenir à la cohésion sociale centrée sur les valeurs fondamentales partagées par les différents groupes et leur désir d’apprendre et de partager avec l’autre. Bien que le Québec ait adopté le modèle de l’interculturalisme il y a quelque temps, malheureusement, les données disponibles montrent qu’il n’a pas été mis en oeuvre. Si le modèle avait véritablement été mis en oeuvre, la culture québécoise aurait évolué en intégrant certaines des valeurs culturelles des communautés immigrées au cours des dernières décennies » (2007, p. 8-9).
-
[16]
C’est le cas d’une seule association à identité ethnique (Congrès national des Italo-canadiens), de deux associations à identité religieuse (Association de la Communauté copte orthodoxe du Grand Montréal et Association culturelle islamique de l’Estrie) et de sept associations à vocation générale (Institut Interculturel de Montréal, SCN, Centrale des syndicats du Québec, PROMIS – Intégration, Promotion, Société nouvelle, Québec Multi Plus (consultants), ABL – Accès Accueil Action Basses-Laurentides, Hirondelle – Services d’accueil et d’intégration des immigrants).
-
[17]
La MuslimStudentAssociation of McGill University va même jusqu’à avancer que [traduction] « [le] Canada a été à l’avant-garde du développement de l’idée du multiculturalisme dans le but de s’adapter à la spécificité de la culture québécoise » (2007, p. 3). On ne saurait trouver plus grande incompréhension des raisons qui ont mené à l’adoption de cette politique.
-
[18]
C’est notamment le cas de l’Association musulmane québécoise et d’Astrolabe.
-
[19]
Sa mise en application est toutefois contestée par l’association Al Hidaya pour qui [traduction] « [l]a seule question qui pourrait distinguer le Québec est, malheureusement, la manière dont la primauté du français est mise en oeuvre, et non pas le concept de primauté lui-même. Chaque État, normalement, essaie de faire avancer la langue qui permet d’établir une meilleure communication entre ses habitants. Il s’agit du français au Québec. Quant à la mise en oeuvre de ce concept, la discussion détaillée, qui couvre les tâches de l’Office de la langue française, mieux connu sous le nom de police de la langue, ne peut être couverte ici. Toutefois, nous pouvons observer une certaine similitude avec la façon dont l’Empire ottoman a tenté de forcer l’utilisation de la langue turque dans les zones qu’il occupait depuis des siècles et la façon dont la France a cherché à abolir l’utilisation de la langue arabe dans les pays occupés en Afrique du Nord » (Al Hidaya Association, 2007, p. 7).
-
[20]
À titre d’exemple, Astrolabe souligne que le port de symboles religieux (et plus spécifiquement le foulard pour les femmes) permet une plus grande participation dans la sphère publique. Faire autrement « [fermerait] les portes de la participation à certains citoyens et [pousserait] ceux et celles qui puisent le sens de leur vie dans la pratique religieuse à s’enfermer davantage dans les ghettos psychologiques de la victimisation et du repli sur soi » (Astrolabe, 2007, p. 24).
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