Corps de l’article

Souvent traités de chroniques des « chiens écrasés » (Ambroise-Rendu, 2007) et encore boudés par les sciences sociales (M’Sili, 2005), les faits divers constituent un genre littéraire (Barthes, 1964) qui peine à être clairement défini étant donné la nature profondément éparse du contenu auquel il réfère (Dubied, 2000). Il s’agit d’une catégorie journalistique générique qui regroupe un ensemble de nouvelles locales censées émouvoir le lecteur (Lits, 2000). Dans Le Mana quotidien, le sociologue français Georges Auclair les pense comme un système de représentations sociales qui donne accès à la pensée des lecteurs. Selon lui, le chercheur peut la dégager en se concentrant sur les rapports causals qui sont sous-entendus dans la nouvelle. Il ajoute que ces rapports ont pour fonction d’informer les lecteurs sur leur condition humaine, condition d’existence qui s’ancre non pas dans les grands débats politiques, mais dans la vie quotidienne (Auclair, 1970).

Dans un article publié dans Genèses, Dominique Kalifa, fort d’une analyse de 4215 faits divers publiés dans Le Petit Parisien entre 1894 et 1914, a poussé plus loin les conclusions d’Auclair en insistant sur l’idée que ce n’est pas tant le caractère extraordinaire du fait divers rapporté qui informe le chercheur sur les représentations sociales que sa banalité. C’est à travers le caractère ordinaire du récit qu’on peut comprendre comment ce matériel met en scène des croyances. Sur cette base, il suggère que la fonction des faits divers serait de « moraliser et édifier, défendre, illustrer et diffuser un système normatif reposant sur le respect tacite et la résignation à l’ordre social » (Kalifa, 1995, p. 75).

Marine M’Sili, qui analyse « des faits divers publiés par la presse populaire des années 1870 à nos jours » (M’Sili, 2005, p. 31), abonde en ce sens et affirme que les faits divers sont les véhicules d’une vision du monde. En retraçant les grandes lignes de l’évolution de la fonction de ce type de nouvelles, elle avance l’idée que celles-ci se présentent dorénavant – et ce, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale – comme des symptômes de dysfonctionnements de la société. De ce fait, il y a en filigrane de ces récits la volonté de réfléchir à la part de responsabilité de ladite société dans les événements rapportés (M’Sili, 2005).

Pour illustrer la théorie de Georges Auclair et de ses successeurs, je présente un exemple fictif inspiré de l’actualité. Selon cette lecture, un article sur un grave accident de la route n’apprend pas aux lecteurs seulement le décès d’une femme. Il leur apprend surtout que si cette dernière n’avait pas utilisé son cellulaire en conduisant, elle serait encore en vie. Le texte devient ainsi une leçon de morale sur l’utilisation du cellulaire au volant. Par ce prétexte, le texte insiste sur le fait que l’individu est le premier responsable de sa conduite et par extension de sa survie. Ce constat n’est pas banal, car il suppose que la femme ne serait pas décédée si elle avait décidé de ne pas répondre ou de se doter d’un kit mains libres. Le pouvoir de vie ou de mort n’incombe par conséquent pas, dans le contexte de la conduite automobile, à une force divine, mais à l’individu qui, par ses choix, écrit lui-même le cours de son destin. En prenant le volant, l’individu devient son propre dieu, et peut même avoir un pouvoir de vie ou de mort sur les autres. Il incombe dès lors à la société individualiste de constamment rappeler à ses membres l’importance de faire des choix qui vont aider leur survie. Pour s’en assurer, elle va se doter de mesures et de politiques. Un simple fait divers donne ainsi accès à tout un système de représentation : il sert de miroir à la société.

Si les successeurs d’Auclair font bien la démonstration de la grande valeur heuristique de cette perspective pour historiciser un vaste corpus d’articles de journaux, le chercheur est en droit de se demander si elle peut être rapportée à une échelle microsociale. Cette dernière peut aider à dégager le contenu sémantique d’un fait en particulier, voire de ramener cette théorie à des questions de recherche qui ne concernent pas spécifiquement le passé, mais le présent. Cette préoccupation – empirique – pour la généralisation de la théorie semble d’autant plus justifiée lorsque le chercheur constate que les auteurs qui le mettent à l’épreuve, comme Anne-Claude Ambroise-Rendu dans son ouvrage sur la « Belle-Époque » du journalisme en France (Ambroise-Rendu, 2004), Quentin Deluermoz dans son article sur les représentations sociales de la circulation policière (Deluermoz, 2004) ou Claire Sécail sur l’évolution des récits de crime à la télévision française (Sécail, 2012), s’inscrivent pour la plupart dans une tradition historienne et visent à objectifier le fait divers pour en faire un « matériau pour l’histoire » (Perrot, 1983, p. 917). Le dossier « Le fait divers en province » de la revue Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest dirigé par Frédéric Chauvaud illustre toute la pertinence de ce projet interprétatif (Chauvaud, 2009).

Recadrer la théorie d’Auclair et de ses successeurs dans un projet socio-anthropologique paraît souhaitable, car ni la sociologie ni l’anthropologie n’ont perdu l’intérêt d’analyser les faits divers. L’un des meilleurs exemples demeure l’introduction du deuxième numéro de 2009 de la revue L’Homme dans laquelle l’anthropologue Jeanne Favret-Saada décortique la force de la magie à travers la judiciarisation d’un conflit opposant Nicolas Sarkozy aux Éditions K&B qui a commercialisé une poupée vaudou à son effigie (Favret-Saada, 2009). Il n’empêche que le projet socio-anthropologique a quelque peu abandonné l’idée de faire l’analyse des faits divers au profit d’une analyse par les faits divers : ils constituent rarement des objets d’étude en soi, mais sont prétextes à illustrer des phénomènes sociaux. C’est ainsi dire que l’anthropologie et la sociologie ont laissé à l’histoire le soin de développer les connaissances sur la fonction sociale des faits divers.

Afin de contribuer à démontrer le fort potentiel descriptif de la théorie de la fonction sociale des faits divers développée par Auclair et ses successeurs historiens, je[1] propose d’analyser le cas de la saga de la famille Lavigueur, qui a été bouleversée quand elle a gagné, en 1986, le gros lot du Lotto 6/49. En tant qu’expert des comportements de jeu à faible risque des Québécois, je le trouve exemplaire étant donné qu’il a profondément marqué la société et qu’il continue de le faire, près d’une génération plus tard. Lors de mon terrain de doctorat, qui porte sur la logique de la participation au Lotto 6/49, plusieurs joueurs méfiants interrogés m’ont cité l’exemple de l’histoire de la famille Lavigueur pour justifier de modérer leurs ardeurs au jeu (Gadbois, 2012). Cette histoire semble leur servir de leçon pour réduire les risques associés au jeu. Mais de quelle leçon s’agit-il?

La leçon des Lavigueur se pose en énigme pour les spécialistes des jeux de hasard et d’argent : nous ne savons pas quel problème (de jeu) l’histoire des Lavigueur réussit à prévenir, car le seul problème qui intéresse ce champ de recherche est celui de la dépendance comportementale. De toute évidence, il n’est pas question, dans l’histoire des Lavigueur, de prévention du jeu pathologique. La leçon de ce fait divers concerne plutôt une préoccupation que rencontre l’ensemble de la population. Mon objectif spécifique est de comprendre quelle leçon de morale l’histoire de la famille Lavigueur offre aux Québécois en matière de réduction des risques reliés aux jeux de hasard et d’argent.

Pour le découvrir, j’ai sélectionné dans ladite histoire de la famille un épisode particulier : celui s’étalant du 2 avril 1986 au 13 août 1986, soit du moment où cette famille gagne au Lotto 6/49 jusqu’à l’annonce de l’achat de leur résidence à l’Île-aux-Pruches. Cet épisode est marqué par le procès que Louise Lavigueur intente à sa famille pour avoir été écartée de la convention d’achat. Grâce à la télésérie Les Lavigueur, la vraie histoire, cet épisode est porté au petit écran en 2008, ce qui me permet d’enrichir mon analyse d’un deuxième temps de mesure[2]. Ce cadre devient intéressant, car les mêmes faits divers sont rapportés deux fois à travers deux décennies, par deux moyens différents. Cette double perspective m’aide à identifier plus clairement la leçon de morale à l’étude.

Pour atteindre mon objectif spécifique lors de mon premier temps de mesure (T1), la seule analyse de contenu des 81 articles[3] portant sur cette famille que j’ai pu trouver dans Le Journal de Montréal, La Presse et Le Journal de Québec[4] en dépouillant les archives imprimées et numériques de la Bibliothèque et Archives nationales du Québec n’a pas été suffisante. En l’absence d’un recul historique suffisamment grand pour saisir la portée de ces faits divers sur les représentations sociales des Québécois, je vois encore difficilement comment la fonction moralisatrice de ces textes s’opère ou, du moins, j’estime que l’analyse que j’ai pu en tirer reposait sur des éléments de preuve trop minces.

L’appel de textes de Recherches sociographiques, invitant les chercheurs à « tendre l’oreille » au discours de la caricature, m’a lancé sur une nouvelle piste : puisque la caricature se plaît à insister sur les distorsions en exagérant certains traits au profit des autres, intégrer son analyse à celle des faits divers me permet d’identifier plus clairement les principaux noeuds soutenant la fonction moralisatrice des faits divers. Aussi et surtout, la famille Lavigueur, qui a longtemps été la risée des Québécois, est abondamment caricaturée. J’ai donc ajouté au corpus d’autres sources primaires, soit les références à la famille Lavigueur dans les archives du magazine satirique mensuel Croc, notamment la bande dessinée Les Ravibreur assurément inspirée de cette famille, ainsi qu’un sketch du Bye-Bye 1986[5]. Pour le deuxième temps de mesure (T2), je me suis penché sur la télésérie Les Lavigueur, la vraie histoire réalisée par Sylvain Archambault (2008) ainsi que les cahiers et le scénario de Jacques Savoie (2008) et sur des réactions à cette série, notamment celle de chroniqueurs de La Presse. J’ai ajouté un sketch du Bye-Bye 2008 pour compléter le portrait, pour établir un point de comparaison et pour consolider ma démonstration. J’ai procédé à une analyse sémique simple[6] pour chaque temps de mesure et je les ai superposées pour dégager la réponse à ma question spécifique. Cette réponse m’a lancé sur une piste d’interprétation qui m’a incité à retourner chercher quelques éléments empiriques pour mieux asseoir mon propos et identifier d’autres pistes, qui restent à explorer.

Je présente dans une première partie les résultats de ma recherche en décrivant de manière chronologique le contenu de mes différentes sources. Dans une deuxième partie, j’expose les analyses que je tire dudit contenu pour dégager quelle leçon les Québécois sont censés tirer de l’histoire de la famille Lavigueur pour réduire les risques liés à la loterie. Enfin, j’oriente mon interprétation vers la question de la stigmatisation des joueurs au Québec et de la difficulté d’implanter un programme de prévention primaire efficace dans un tel contexte moral.

L’histoire de la famille Lavigueur

Premier temps de mesure

Un conte de fées

Le 2 avril 1986, plusieurs médias québécois publient un fait divers qui revêt toutes les caractéristiques d’un conte de fées moderne (voirGreenhill et Matrix, 2010). Le Journal de Montréal lui réserve d’ailleurs pour la une le titre Un conte de fées de 7 650 267 $ (Girouard, 1986a, p. 1). Le Journal de Québec titre de son côté L’honnêteté paye 1,2 million et sous-titre Du’B.S.’ à l’abondance (Presse canadienne et Girouard, 1986, p. 3). Ce conte commence avec un chômeur britanno-colombien, William Murphy, qui trouve un billet de Lotto 6/49 gagnant dans un portefeuille égaré. Il essaie de le rapporter à ses propriétaires, Jean-Guy Lavigueur et son clan (composé de trois de ses enfants, Yve, Sylvie et Michel, et de son beau-frère, Jean-Marie Deaudelin), habitant un quartier défavorisé de Montréal, mais il se heurte à Yve qui, ne comprenant pas l’anglais, lui demande de partir. Il revient malgré tout à la charge plus tard dans la journée. En apprenant la nouvelle, les gagnants décident spontanément de partager le gros lot avec lui. En conférence de presse, la famille Lavigueur attire l’attention des médias pour sa grande simplicité. Ils caressent des rêves qui semblent un peu trop modestes pour leurs nouveaux moyens. Ils affirment par exemple vouloir s’acheter un « truck de bières » pour les distribuer aux habitants de la rue Logan, une maison mobile à Saint-Ours et une Trans-AM noire (Gauvreau, 1986).

Le 26 avril 1986, un nouveau fait divers tue l’image médiatique des Lavigueur. Louise Lavigueur, fille de Jean-Guy âgée de 16 ans, poursuit sa famille pour avoir été exclue du gros lot en dépit de leur convention d’achat. Au sujet de ladite convention, Rodolphe Morissette du Journal de Montréal soutient que chaque membre y investit 50 % de son revenu net hebdomadaire (Morissette, 1986a). En rappelant au passage que cette même famille a offert le sixième du gros lot à un étranger, les journalistes racontent que Louise a été exclue du groupe quelques jours seulement avant le tirage parce qu’elle est rentrée chez elle après minuit (Morissette, 1986a et 1986b; Richer, 1986). Joyce Napier de La Presse ajoute que son père lui a dit au téléphone : « Tu es une imbécile. C’est de ta faute. Tu n’étais pas là. Tu viens de perdre 1,2 million » (Napier, 1986a, p. A3). Le conte de fées prend dès lors des airs de Cendrillon. Jean-Guy va camper le rôle du tuteur pingre, autoritaire et injuste.

Un récit burlesque

Le procès de Louise contre sa famille est couvert à chaque nouveau développement. Dès le lendemain de son annonce, les médias informent les lecteurs que le juge Jean Provost accorde la saisie d’une part du gros lot (Rousseau, 1986a). Le 29 avril, Jean-Denis Girouard publie des éléments nouveaux sur Louise : sa mère défunte était paraît-il la seule de la famille à l’aimer et elle est exclue du voyage familial en Guadeloupe. Malgré cela, elle se dit prête à leur pardonner. Elle précise qu’elle n’a jamais voulu « mettre un terme au contrat de société » (Girouard, 1986b, p. 3) qui les lie. Le lendemain, le même journaliste annonce que l’avocat de la famille Lavigueur, Me Jean-Paul Gaudreau, fait appel de la décision du juge Provost, notamment parce que ses clients « ne dilapideront pas les millions avant le procès » (Girouard, 1986c), mais sans succès (Morissette, 1986c).

Le 8 mai, Morissette rapporte que Louise a dorénavant un nouveau tuteur, Guy Trudeau, et qu’elle a la ferme intention de poursuivre son père pour dommages et intérêts (Morissette, 1986d). Napier rappelle de son côté que ledit tuteur souhaite un accord à l’amiable avant d’ajouter : « Ce gros lot de quelque $7 millions, gagné fin mars, n’est plus qu’un cauchemar pour la jeune Louise, 16 ans, à qui ses frères et son père, Jean-Guy, refusent désormais d’adresser la parole » (Napier, 1986b, p. A15).

Le 10 juin 1986, Guy Roy donne dans le Journal de Montréal des nouvelles des gagnants : « Quatre membres de la famille Lavigueur n’ont plus que $958,000 » : ils ne sont donc « ’déjà’ plus millionnaires » (Roy, 1986, p. 7)[7]. Le lendemain, Morissette fait état d’une « grosse chicane » en cour entre les Lavigueur. Il présente Jean-Guy comme un homme qui vit de l’aide sociale[8], qui paraît « bien au-dessus de ses affaires maintenant » et qui refuse catégoriquement de donner de l’argent à sa fille, car elle « n’aurait pas payé ses $2 pour le billet du tirage de la fin de mars ». Le journaliste ajoute que Jean-Guy a pourtant déclaré dans une entrevue accordée à Claude Poirier que Louise faisait partie des gagnants, mais qu’il ne s’en souvenait plus, parce qu’il a trop bu (Morissette, 1986e, p. 2). Martha Gagnon de La Presse décrit le même « spectacle navrant, désolant, tragico-comique » en se permettant le commentaire : « Ça fait mal à voir. » (Gagnon, 1986a, p. A2). Elle conclut son article en citant un homme qui était dans la salle d’audience : « Maudit argent! » (Gagnon, 1986a, p. A2).

Le 12 juin 1986, Morissette rapporte que le procès se poursuit « dans une atmosphère de salle de lavage » et que les différents témoins étendent « leur linge sale sur la corde » en Cour supérieure. La nature du litige concerne les deux dollars non versés au groupe et le non-respect du couvre-feu paternel. Le juge Benoît leur conseille de « remettre un peu d’harmonie dans la famille » (Morissette, 1986f, p. 2). À propos de cette querelle, Gagnon va jusqu’à dire, en parlant du témoignage d’Yve et de Michel : « Loin d’avoir des remords sur la conscience, ses deux frères et sa soeur aînée pensent qu’elle n’a aujourd’hui que le sort qu’elle mérite. Les millions leur ont durci le coeur ». La journaliste conclut que les membres de la famille Lavigueur sont « étourdis » par le gain (Gagnon, 1986b, p. A3). Le lendemain de ces événements, Morissette publie un court texte qui vient nuancer le récit de la querelle : selon ce journaliste, Louise affirme que revoir sa famille lui a été bénéfique et Jean-Guy formule le souhait que sa fille « se sorte de la m... » (Morissette, 1986g, p. 5).

L’affaire Lavigueur connaît un nouveau développement le 26 juin 1986 : le juge Benoît décide de dégeler les fonds, puisqu’aucune preuve ne lui laisse croire que les membres gagnants allaient dilapider la part de Louise avant le jugement final. Le lendemain, alors que le journaliste Claude Decotret présente les réactions de Louise à cette décision (Decotret, 1986), Napier préfère décrire la rue Logan en insistant sur l’absence des Lavigueur, comme si cette situation est anormale, comme si leur place est là « où les bambins jouent pieds nus sur le trottoir en évitant les tessons de bouteilles » (Napier, 1986c, p. A3).

Le litige est finalement réglé hors cour : Louise peut réintégrer le noyau familial. Tous les médias diffusent le 26 juillet 1986 la photographie de Jean-Guy et de Louise qui s’embrassent sur la bouche. Il s’agit pour Michel Rousseau du Journal de Montréal d’un « spectaculaire rebondissement » : il rapporte que Louise préfère l’amour de sa famille à l’argent. Il ajoute, comme l’auteur inconnu de l’article de La Presse (anonyme, 1986a), que Jean-Guy Lavigueur n’a pas changé, mais que le monde autour de lui a changé, et la preuve en est qu’il fume encore des « rouleuses »[9] (Rousseau, 1986b, p. 3). De son côté, Morissette insiste sur le fait qu’il n’envisage toujours pas de donner de l’argent à sa fille et que l’entente entre les membres est secrète selon Guy Trudeau (Morissette, 1986h). Ce dernier convoque par conséquent un conseil de famille dans lequel Louise, « qui ne fréquentait plus l’école et qui avait perdu son poste », et les autres membres peuvent expliciter leur décision (Napier, 1986d, p. A3).

Une comédie

Comme pour souligner la fin du procès et la réconciliation de la famille Lavigueur, le Journal de Montréal réserve le 12 août 1986 sa troisième page à l’annonce de leur nouvelle acquisition : « une île et un château de 22 pièces ». Le journal va jusqu’à comparer des images de cette propriété à celles du logement de « la modeste famille, rue Logan, avant qu’elle devienne millionnaire » (Labrosse, 1986, p. 3). La Presse suit en proposant un article semblable (anonyme, 1986b, p. C10). Si cet événement ne sonne pas la fin de l’apparition de la famille Lavigueur dans la rubrique des faits divers[10], il n’en faut pas plus pour devenir la cible des caricaturistes.

Du numéro du 1er septembre 1986 à celui du 1er juin 1989, le magazine Croc publie des blagues et des caricatures sur la famille Lavigueur. La fréquence se dissipe graduellement les mois suivants. La première caricature se présente comme une fausse illustration de Louise, alors personnifiée par une jeune femme armée, prête à tout pour récupérer la part qui lui revient.

Illustration 1

Fausse photographie de Louise Lavigueur dans Croc (septembre 1986, p. 7)

Fausse photographie de Louise Lavigueur dans Croc (septembre 1986, p. 7)

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Le même numéro contient deux blagues sur le rapport entre Louise et Jean-Guy, dont celle-ci :

Comme il le dit lui-même, le fait d’être millionnaire n’a pas changé monsieur Lavigueur : il roule toujours ses cigarettes, mais maintenant, il les roule dans des billets de cent... Rouler semble être un de ses passe-temps préférés, d’ailleurs. La preuve : la façon dont il a roulé sa fille qui a accepté de réintégrer le domicile paternel sans un sou. Nul doute que pour la consoler, monsieur Lavigueur va lui acheter un billet de Mini-Loto.

septembre 1986, p. 2

Le mois suivant, soit octobre 1986, on dénombre dans Croc huit blagues qui traitent entre autres d’« écraser avec sa voiture un des membres de la famille Lavigueur », de gaspillage d’argent et de visites d’agents gouvernementaux.

En novembre 1986, le dessinateur Raymond Parent et le scénariste Yves Taschereau publient, toujours dans Croc, la première planche de la série Les Ravibreur relatant la saga d’une famille richissime sans aucun sens de la classe et du goût[11]. Le protagoniste central est le père, un alcoolique ridiculement autoritaire, qui cherche désespérément l’amour. Il a quatre enfants, exactement comme Jean-Guy, dont une fille, appelée Cendrillon, à qui il ne veut pas donner un sou, qui est forcée de faire le ménage et qui lui sert de siège. Cette dernière est constamment rabaissée et humiliée par son père et le reste de sa famille, mais n’a pas les moyens (intellectuels, physiques, financiers) de se révolter. À la 16e planche toutefois, elle consulte la firme « Voleux verrat et verreux avocat » pour intenter une poursuite contre son père. Le juge somme le père Ravibreur de donner 200 000 $ à sa fille, somme qui est également demandée par ses avocats. Finalement, sa fille préfère que son père lui paye des études en droit (février 1988).

Illustration 2

Le père Ravibreur assis sur sa fille, Cendrillon, diffusé dans Croc (février 1988, p. 4)

Le père Ravibreur assis sur sa fille, Cendrillon, diffusé dans Croc (février 1988, p. 4)

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Illustration 3

Les Ravibreur de Raymond Parent et d’Yves Taschereau, diffusé dans Croc (février 1988, p. 53-54)

Les Ravibreur de Raymond Parent et d’Yves Taschereau, diffusé dans Croc (février 1988, p. 53-54)

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À travers les 32 planches, les chutes insistent particulièrement sur le statut de parvenus des Ravibreur, c’est-à-dire des nomades des classes sociales qui ne jouissent d’aucune armure de respectabilité (Bauman, 1998), et leur statut de « quétaines », c’est-à-dire de personnes consentant à présenter une image de soi qui manque de prestige sans chercher à y remédier (Gadbois, 2009), et celui d’ignares et d’avares. Au fil des mois, les lecteurs les surprennent à confondre champagne et baby duck[12] (février 1987), à se plaindre de se faire couper le bien-être social en dépit de leurs millions en capital (juillet 1987), à faire visiter leur « château 6/49 » dit « la maison la plus quétaine en ville » (août 1987) ou à entreposer un baril de poulets frits Kentucky dans leur coffre-fort (janvier 1988). Ils dépensent des fortunes pour des objets sans valeur, comme des billets de loterie (novembre 1986), des statuettes de jardin (décembre 1986), une compagnie de cueillette de bouteilles vides (avril 1987) ou des toiles de Muriel Millard[13] (janvier 1988).

Illustration 4

Les Ravibreur de Raymond Parent et d’Yves Taschereau, diffusé dans Croc (février 1988, p. 53-54)

Les Ravibreur de Raymond Parent et d’Yves Taschereau, diffusé dans Croc (février 1988, p. 53-54)

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La série Les Ravibreur se termine en 1989 avec l’apparition de Beth, une marâtre hideuse, cruelle, sans classe et aussi autoritaire que le père Ravibreur. Puisque ce dernier est profondément amoureux d’elle, elle cherche à l’épouser par pure cupidité. Toutefois, le jour du mariage (mai 1989), le passé de Beth la rattrape : l’église est remplie de pères monoparentaux qui ont été escroqués par elle. La dernière planche raconte la peine d’amour du père Ravibreur : son chouchou tente bien de lui faire oublier son échec, mais il ne réussit en fin de compte qu’à lui rappeler leur insurmontable imbécillité (juin 1989). En novembre 1989, il y a Le retour des Ravibreur, dans lequel les caricaturistes présentent des rots et des flatulences pour illustrer l’idée que gagner à la loterie ne change pas le monde.

Autre célèbre parodie, André Dubois rédige dans le cadre du Bye-Bye 1986 un sketch pour souligner que l’histoire de la famille Lavigueur a marqué l’actualité. De fait, les comédiens interprètent une adaptation théâtrale du Bourgeois gentilhomme dans laquelle les spectateurs peuvent voir Michel Côté tenir le rôle de « Monsieur de Lavigueur », portant fièrement un maillot de corps et buvant de la bière, et exiger de sa fille, jouée par Dominique Michel, qu’elle lui baise les pieds. Indifférent à ses supplications, il refuse de lui laisser un peu d’argent pour l’aider à se trouver un amoureux, sous prétexte qu’il lui a déjà donné dix dollars le jour de sa fête, argent qu’elle a par ailleurs gaspillé en s’achetant des billets de loterie. Elle est en revanche revenue à la fin du sketch pour apprendre à Monsieur de Lavigueur qu’elle venait de gagner treize millions au Lotto 6/49. La scène se termine avec Monsieur de Lavigueur, pris à embrasser les pieds de sa fille pour lui rappeler qu’il est son père (Payette, 1986). Cette scène demeure un moment d’anthologie.

Illustration 5

Images extraites du sketch Le Bourgeois gentilhomme Lavigueur du Bye-Bye 1986 (Payette, 1986)

Images extraites du sketch Le Bourgeois gentilhomme Lavigueur du Bye-Bye 1986 (Payette, 1986)

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Deuxième temps de mesure

Un drame

La parodie des Lavigueur du Bye-Bye est mise en ligne sur le site de partage de vidéos youtube.com le 21 décembre 2007. Contrairement aux réactions suscitées en 1986, le sketch n’est, de manière générale, pas bien reçu par les internautes. Parmi les 131 commentaires, H2Kmonkey s’interroge sur l’essence comique de la scène, burger755 la trouve irrespectueuse, Robert Cerat affirme que les gens qui ont ri doivent avoir honte, j’en passe. Même si, évidemment, cet accueil froid peut simplement signifier que l’humour de Dubois a mal vieilli, il semble y avoir derrière ces commentaires une toute nouvelle lecture de l’histoire de la famille Lavigueur.

Dans le T2, la nouvelle lecture des faits divers entourant la famille Lavigueur, en particulier le procès qui oppose Louise à sa famille, n’est plus conduite par des journalistes, mais par le milieu de la création. Pour remettre en contexte ce résultat, il faut rappeler qu’en 2000, soit très peu de temps après le décès de Jean-Guy et l’incendie de l’ancienne propriété, Yve Lavigueur décide de réhabiliter la dignité de son nom en signant un livre, écrit par Daniel Bertrand, sur l’histoire de sa famille. Ce livre, Les Lavigueur. Leur véritable histoire, fait germer le projet d’une télésérie (Cousineau, 2002), qui, après plusieurs rebondissements (Dumas, 2007), se concrétise à Radio-Canada, avec le scénario de Jacques Savoie[14]. Sylvain Archambault[15] réalise ainsi la série de six épisodes Les Lavigueur, la vraie histoire, en ondes durant l’hiver 2008.

En présentant le point de vue d’Yve Lavigueur et en ajoutant des éléments de fiction au récit, les quelque deux millions de téléspectateurs découvrent un tout nouveau portrait de la famille, de leur entourage, des journalistes, des avocats et des Québécois. Dans celui-ci, Louise, interprétée par Laurence Leboeuf, n’a rien d’une Cendrillon : elle est plutôt décrite comme une adolescente tourmentée et droguée qui attaque délibérément le tissu familial pour exprimer son sentiment de révolte. Surtout, elle est dépeinte comme une personne facilement manipulable, car insouciante des réels intérêts de son conjoint, de son avocat, de sa tante Alice, etc. De son côté, Jean-Guy – et on constate un effet miroir avec le T1 – est incarné par un caricaturiste, Pierre Verville. Il est présenté comme un bon père de famille, doux, mais dépassé par les événements. Son amour pour Louise est, dans la minisérie, aussi grand que son inquiétude de la voir évoluer dans la mauvaise direction (Archambault, 2008).

Pour produire l’effet dramatique souhaité, Savoie pimente le scénario en le parsemant de journalistes sans scrupules, d’avocats voraces et de caricaturistes insensibles. Sur ce dernier point, il prend soin de bien déconstruire le sketch du Bye-Bye 1986 en le replaçant dans le cadre des célébrations familiales du jour de l’An (Savoie, 2008). La parodie de Dubois devient, dans ce scénario, profondément décalée avec la réalité vécue par la famille. Les spectateurs assistent à un retournement complet de la caricature et ce retour du balancier n’est pas sans déplaire aux acteurs parodiés. Comme s’ils se sentaient accusés d’un crime quelconque, certains journalistes tiennent à « rétablir les faits ». Hugo Dumas (2008) et Marc Cassivi (2008), par exemple, déplorent dans leur chronique respective l’aspect caricatural des journalistes parodiés[16].

D’autres aspects de la télésérie sont critiqués dans les médias pour leur caractère invraisemblable, notamment le procès. Les avocats y sont présentés comme des vautours alors qu’objectivement les droits d’une mineure ont été bafoués (Croteau, 2008). Marc Cassivi reproche de son côté à la télésérie d’oser se prétendre comme étant la « vraie » histoire, alors qu’elle comporte des éléments de fiction (Cassivi, 2007). Sur cette controverse, les auteurs et acteurs doivent expliquer leur point de vue lors d’entrevues, comme à l’émission « Tout le monde en parle ». Pierre Foglia tue pourtant le débat dans l’oeuf dans sa chronique du 8 janvier 2008 en écrivant : « La version qu’on vous présente ce soir ne sera pas vraie parce que celle des médias de l’époque était fausse, elle sera vraie comme celle des médias était vraie à l’époque » (Foglia, 2008, p. A5).

Enfin, la télésérie reçoit 33 plaintes de téléspectateurs pour des scènes jugées trop osées pour un public de 13 ans et plus (Roy, 2008). Une scène en particulier soulève la polémique : celle où Louise a des relations sexuelles brutales avec son conjoint, qui en profite pour lui crier des ordres sur la suite des événements concernant le procès. Pour ajouter à l’effet miroir entre le T1 et le T2, cette scène est parodiée dans le Bye-Bye 2008 sous le titre La Couillard : La vraiment vraie histoire dans laquelle les protagonistes sont remplacés par Patrice L’Écuyer caricaturant le politicien Maxime Bernier et Véronique Cloutier caricaturant sa conjointe de l’époque, Julie Couillard (Chicoine et Ouimet, 2008). Ce sketch reçoit quelques plaintes[17] pour son contenu sexuel, grossier et sexiste. Il n’est en revanche plus ici question des Lavigueur.

Le pouvoir maléfique de la loterie

Présenter les résultats de recherche en deux temps plutôt qu’une chronologie continue des événements m’évite de faire l’erreur d’avancer, sur la base d’un seul ensemble de faits divers, qu’il y a, au Québec, une grande évolution des représentations morales en matière de jeux de hasard et d’argent. Même s’il y a un changement radical de la lecture de l’histoire de la famille Lavigueur, les médias continuent de diffuser des faits divers dans lesquels de nouveaux millionnaires de la loterie voient leur vie broyée sous le poids du gros lot. D’ailleurs, en 2008, Samedi magazine, pour ne prendre qu’un exemple, profite de la notoriété de la télésérie d’Archambault et Savoie pour publier son dossier spécial Les perdants de la Loto. Dans ce dossier, l’auteur relate une série d’histoires vécues, notamment celle de la famille Lavigueur, où les gagnants sont escroqués, sombrent dans les excès et la toxicomanie, font des dépenses insensées, deviennent criminels, etc. (Pelletier, 2008). Il peut donc supposer que le changement de perception vis-à-vis des Lavigueur est dû à une distanciation critique.

Cette supposition me permet d’identifier ce qui reste invariable au sujet des représentations morales des jeux entre les deux temps dans le traitement de l’ensemble de faits divers entourant la famille Lavigueur : l’excès de gains constitue une préoccupation pour les Québécois. Ces derniers craignent que la loterie – sinon l’argent – ait le pouvoir de changer la nature humaine, et l’histoire de la famille Lavigueur sert d’exemple pour tenter de diminuer ce risque.

La préoccupation à propos de l’impact d’un immense gain en argent sur l’individu est bien réelle chez les joueurs de loterie (Gadbois, à paraître). Même si c’est davantage les excès de pertes qui préoccupent les chercheurs, quelques-uns s’intéressent aussi à cette question. Parmi eux, le sociologue étasunien H. Roy Kaplan révèle que les personnes qui ont un travail valorisant ont tendance à le conserver après avoir gagné à la loterie, contrairement aux autres. De manière générale, les gagnants se disent satisfaits de cet événement (Kaplan, 1987). Ses résultats sont confirmés par l’étude d’Eckblad et Von der Lippe. Ceux-ci avancent que les gagnants ont généralement peu de réactions émotives exagérées et réussissent en conséquence à garder le contrôle sur leur vie après ce bouleversement. Ils notent toutefois que les plus jeunes gagnants ont tendance à se montrer plus dépensiers que les gagnants plus âgés (Eckblad et Von der Lippe, 1994). Par ailleurs, Brickman, Coates et Janoff-Bulman jugent que les gagnants à la loterie ne sont pas nécessairement plus heureux dans la vie, mais plus indifférents face aux petits bonheurs quotidiens (Brickman, Coates et Janoff-Bulman, 1978). Létude longitudinale de Gardner et Oswald révèle cependant que gagner des lots moyens (jusqu’à 200 000 USD) augmente le sentiment de bien-être (Gardner et Oswald, 2006). Doherty, Gerber et Green découvrent de leur côté que les gagnants à la loterie regardent d’un plus mauvais oeil les taxes gouvernementales (Doherty, Gerber et Green, 2006). Kuhn et ses collaborateurs trouvent que les voisins de gagnants à la loterie ont une consommation de véhicules significativement plus élevée que ceux qui n’ont pas de gagnants dans leur voisinage (Kuhn, Kooreman, Soetevent et Kapteyn, 2011). Les études tendent ainsi à démontrer que l’impact du gros lot sur la vie des gagnants est plutôt positif. De fait, la crainte des Québécois n’est pas fondée et gagner ne constituerait pas en soi un risque.

Nous y voilà : le véritable problème qui préoccupe les Québécois – et c’est ce qui explique que les chercheurs n’arrivent pas à rationaliser leur crainte en convoquant les faits – n’est pas fondé sur des observations empiriques, mais sur la morale. Les écrits de l’anthropologue suédois Per Binde montrent que cette crainte est héritée des enseignements du christianisme, qui a en aversion de principe les jeux de hasard et d’argent pour quatre raisons : 1) ils promeuvent le vol[18] et l’avarice, 2) ils font appel à des forces démoniaques, 3) ils invitent les humains à se tourner vers la chance, la paresse et les idées irrationnelles plutôt que vers Dieu, le travail et la raison et enfin 4) ils font développer un système alternatif de croyances (Binde, 2007). Louise Nadeau et Marc Valleur ajoutent que le jeu est perçu comme sacrilège par les prêtres et moralistes « en raison du plaisir qu’il pouvait donner et des excès auxquels il pouvait donner lieu » (Nadeau et Valleur, 2014, p. 21). Même si les Québécois n’expriment plus leurs craintes en termes religieux, la préoccupation pour les excès de gains semble s’inscrire dans cette logique particulière. La force « maléfique » du jeu le rend capable d’entraîner n’importe quel joueur en enfer, de le forcer à vendre son âme au diable. Les faits divers entourant les Lavigueur viennent concrétiser cette hantise. Or, si à première vue, on peut croire que leur saga les conforte dans leurs craintes, mes analyses révèlent plutôt que ces écrits et ces oeuvres cherchent en réalité à minimiser le risque associé au gain.

Premier temps de mesure

Dans le T1, les médias et les caricaturistes tentent de répondre à la crainte populaire du pouvoir maléfique de la loterie en mettant de l’avant l’idée – non justifiée – que les Lavigueur sont des êtres immoraux bien avant de gagner. Le gros lot du Lotto 6/49 ne fait donc que révéler leur véritable nature. Cette nature doit en conséquence être socialement condamnée et ridiculisée. Je retiens, pour ma démonstration, trois éléments de preuve qui sont proposés pour remettre en question la moralité des Lavigueur : leur situation financière, professionnelle et familiale.

Situation financière

D’entrée de jeu, les Lavigueur sont présentés par les médias et par les caricaturistes comme étant pauvres. Cet élément ne constitue pas en lui-même un motif pour discréditer leurs bonnes moeurs : à ce chapitre, William Murphy, tout aussi pauvre que les Lavigueur et qui est le véritable héros du premier fait divers, ne subit pas le même traitement. Cela ne doit pas être seulement attribuable au fait qu’il prouve quelque part sa moralité en ramenant le billet gagnant : sur ce point, les Lavigueur semblent tout aussi valeureux en partageant la cagnotte avec lui pour le remercier. Or, en conférence de presse, les Lavigueur trahissent le fait que la richesse est un concept qui leur est complètement étranger. La richesse n’est pas tant une question de quantité d’argent amassé que d’état d’esprit : être riche est d’abord un savoir-être.

Les journalistes et les caricaturistes décrivent les Lavigueur comme des millionnaires qui ne sont pas doués pour la richesse : Jean-Guy perd d’ailleurs le billet – et tout son portefeuille – avant même de l’encaisser. Tout au long des articles, ils sont présentés comme des gestionnaires incompétents, renvoyant la responsabilité de leur pauvreté à eux-mêmes. Ils dépensent, paraît-il, la moitié de leur revenu net hebdomadaire en billets de loterie, se traînent en cour pour une dette de deux dollars, donnent le sixième de leur lot à un pur étranger sans vouloir donner un sou à Louise, se font geler leurs fonds car on craint qu’ils les dilapident et enfin s’achètent à la première occasion une propriété de 850 000 $. Le lecteur est invité à conclure que les Lavigueur ne sont que des pauvres incapables d’être riches. Leur vraie place est – toujours selon les journalistes – sur la rue Logan.

Du point de vue prêté au lecteur, le pouvoir maléfique de la loterie est entre autres celui d’offrir aux gagnants un ascenseur social ultra rapide. En transformant des pauvres en multimillionnaires, le Lotto 6/49 est pensé comme une usine à parvenus. Ceux-ci outrepassent sans le moindre effort les frontières des classes sociales. La sélection des usagers de cet instrument de mobilité est laissée au hasard. De fait, n’importe qui peut se procurer un billet et gagner une fortune. En conséquence, la fonction des faits divers concernant les Lavigueur est de réfléchir au problème, s’il en est un, qu’aucune compétence en gestion n’est exigée pour jouer à la loterie. Cette préoccupation concerne également les joueurs pauvres, qui dépensent en jeux de hasard et d’argent, paraît-il, une trop grande proportion de leur budget (Papineau, Boisvert, Chebat et Suissa, 2012). Les faits divers entourant les Lavigueur servent donc à conforter les lecteurs dans leurs jugements moraux à propos du jeu, tout en les rassurant sur le fait que ce dernier n’a pas le pouvoir qu’on lui attribue.

Situation professionnelle

Le deuxième élément de preuve contre la moralité des Lavigueur concerne leur statut professionnel. La profession de chacun des membres reste floue dans les articles : aucun ne travaille réellement, ou ne souhaite travailler. Jean-Guy devient sous la plume des journalistes – et au fil du récit – un prestataire d’aide sociale. En étant présentés au grand public comme des « B. S. » devenus millionnaires, les Lavigueur sont étiquetés profiteurs du système. Le magazine Croc, en particulier, joue abondamment cette carte.

Associés aux prestataires d’aide sociale fraudant le gouvernement, les Lavigueur sont dès lors perçus comme des profiteurs, oisifs, incapables de générer par eux-mêmes des revenus. L’argent contracté par la loterie prolonge cette représentation morale : ils gagnent sans effort – ou pour suivre Binde, volent – l’argent des contribuables. C’est comme s’ils ne méritaient pas de gagner, car ils n’ont pas joué leur propre argent. Leurs compétences professionnelles se limitent à encaisser un chèque émis par le gouvernement avant de le dépenser en totalité.

Situation familiale

Le troisième élément de preuve pour discréditer les Lavigueur en qualité de personnes morales est la crise familiale qui les a secoués. Au T1, les journalistes et les caricaturistes insistent sur les tensions entre Louise – prise en pitié – et le reste de sa famille, en particulier son père. Ce dernier est dépeint comme un être tyrannique et injuste, c’est-à-dire incapable d’offrir les compétences d’un bon chef de famille. Par exemple, le lecteur est invité à juger qu’il administre à Louise une punition disproportionnée pour avoir désobéi à son couvre-feu. Il devient de cette manière responsable de la détérioration du tissu familial, comme s’il laissait l’argent profaner l’institution de la famille. D’ailleurs, la saga des Ravibreur se termine quand le père découvre l’indécente cupidité de Berth, ce qui le force à s’en éloigner pour protéger son argent et sa famille – après trois ans de conduites immorales, le père Ravibreur fait enfin preuve d’humanité. Quelque part, c’est l’ensemble des familles monoparentales dirigées par un père et présentes à son mariage qui l’ont aidé à se sortir du piège.

Selon le point de vue des médias et des caricaturistes, c’est l’incompétence parentale de Jean-Guy qui vient désolidariser les Lavigueur entre eux : il préfère l’argent à sa propre fille, à qui il ne veut pas donner un sou. Le lecteur doit supposer que si Jean-Guy avait été un bon père, le gros lot n’aurait eu aucune incidence négative sur ses relations familiales. Le procès des Lavigueur n’est donc pas simplement celui de Louise qui veut toucher sa part, il est perçu comme celui d’une fille qui souhaite réparation pour pouvoir s’émanciper. De fait, le procès des Lavigueur est celui du père qu’on accuse de ne pas traiter équitablement tous les membres de sa famille. Jean-Guy devient responsable du déclin des valeurs familiales traditionnelles[19]. L’exclusion de Louise de la convention d’achat familial de billets de loterie – et par contraste l’inclusion d’un parfait inconnu jugé honnête – devient symptomatique de la dislocation de la famille, dislocation que le gros lot révèle.

Deuxième temps de mesure

La dernière analyse du T1 – le gros lot expose les failles relationnelles chez les Lavigueur – ouvre la voie à une autre manière de calmer la crainte des Québécois à propos du pouvoir maléfique de la loterie : le gros lot ne fait qu’amplifier les problèmes existants chez les gagnants. C’est cette avenue de réponse que les créateurs Archambault et Savoie explorent avec leur nouvelle lecture de la famille Lavigueur. Or leur objectif n’est pas tant de conforter les Québécois dans leurs convictions sur les pouvoirs maléfiques de la loterie que de rendre sa dignité à cette famille étiquetée « immorale ». De fait, la télésérie s’applique à démontrer que les Lavigueur sont de bonnes personnes et partagent de belles valeurs. En ce sens, les créateurs déploient beaucoup d’efforts pour que les téléspectateurs ne perçoivent plus les Lavigueur comme des prestataires d’aide sociale, en insistant sur le fait que Jean-Guy n’a jamais encaissé son premier chèque. Ils sont « comme un million de gens », pour faire un clin d’oeil à la chanson de Claude Dubois qui ouvre le générique de la série, c’est-à-dire des gens pauvres, mais honnêtes.

À propos de la pauvreté des Lavigueur, les artistes du T2 ne cherchent pas à renverser l’idée que les gagnants au Lotto 6/49 n’arrivent jamais à sortir de leur condition. D’ailleurs, la télésérie se termine avec l’image de Jean-Guy qui se « repayse » dans le grenier de son immense maison, décoré comme son ancien appartement de la rue Logan. La leçon à retenir – et il y a ici une nuance avec le traitement des faits divers dans le T1 – est que les Lavigueur n’ont jamais changé : c’est plutôt le monde autour d’eux qui a changé. À ce chapitre, un journaliste de La Presse formule cette idée lors du T1, mais en l’associant aux « rouleuses » de Jean-Guy, ce qui fait que le lecteur est davantage invité à penser que ce dernier reste avec ses habitudes de pauvre. L’histoire racontée au T2 enlève le poids moral des épaules des Lavigueur, en rappelant aux spectateurs qu’ils ne sont pas les seuls responsables de leur pauvreté.

Quant à la situation familiale, Jean-Guy est vu et présenté dans le T2 comme un veuf, et surtout comme un bon père qui veut donner une bonne leçon à sa fille sur la vraie nature de la famille. C’est plutôt Louise qui est accusée de chercher à dissoudre les liens pour des questions d’argent. Elle devient individuellement responsable des tensions familiales en se laissant influencer par des êtres immoraux (son conjoint, ses avocats, d’autres membres de sa famille, etc.). Et – on rejoint ici les analyses du T1 – ces tensions existaient bien avant de gagner à la loterie, mais le nouveau statut financier des protagonistes et leur soudaine notoriété publique ne font que les amplifier.

Les autres êtres immoraux évoqués par la télésérie Les Lavigueur : la vraie histoire n’apparaissent pour ainsi dire pas dans le T1. En retournant le miroir, les Québécois sont invités à réfléchir au rôle que les opportunistes (journalistes, caricaturistes, autres membres de la famille, avocats et autres requins) jouent dans l’édification de l’image négative des Lavigueur. L’historienne Lucia Ferretti aurait à ce chapitre déclaré à Stéphane Baillargeon du Devoir que la télésérie est « avant tout une réparation » (Baillargeon, 2008). Bien que cette question déborde le cadre de ma propre réflexion, je pourrais tout de même avancer l’idée que recontextualiser les faits divers en intégrant cette fois dans leur récit la présence de requins autour des gagnants permet de rappeler que la loterie ne peut en aucun cas changer cette nature de prédateur qui habite l’humain et qui fait en sorte que les plus vulnérables se font inévitablement dévorer. Il reste à savoir si un tel rappel sert simplement à constater cette impuissance du jeu et des joueurs ou à condamner le principe de faire de ce contexte de prédation l’objet d’un jeu. Je n’ai en revanche pas suffisamment de matériel empirique pour me permettre de soutenir l’une ou l’autre de ces analyses.

Une leçon de stigmatisation

Le présent article poursuit l’objectif général d’offrir à la théorie de la fonction sociale des faits divers d’Auclair et de ses successeurs un exemple d’analyse socio-anthropologique de cas pour démontrer sa pertinence dans l’avancement des connaissances sur des problématiques actuelles. J’ai sélectionné celui des faits divers entourant la famille Lavigueur pour tenter de comprendre comment leur traitement s’apparente à une leçon de morale aux Québécois pour les inciter à réduire les risques associés aux excès de gain. En 1986 et en 2008, des journalistes, des caricaturistes et des artistes formulent le principe que la loterie n’a peut-être pas le pouvoir maléfique de transformer la nature humaine comme le prévoit la morale chrétienne. Au T1, on présente l’argument que les Lavigueur ne se sont pas métamorphosés sous le poids du gros lot, mais sont simplement immoraux dans leur être. Au T2, on relit les faits divers en statuant cette fois que les Lavigueur ne sont pas immoraux, mais se sont seulement montrés vulnérables dans leur nouveau statut de millionnaires et des opportunistes ont profité de la situation[20].

Dans les deux temps de mesure, la leçon de morale sur la loterie recèle une certaine dimension préventive. Au T1, même si les journalistes et les caricaturistes tentent de calmer la crainte des Québécois sur la nature du jeu, ils ne remettent pas en question le cadre moral à l’intérieur duquel le jeu est défini. Ils le renforcent au contraire en insistant sur l’idée que la loterie peut récompenser l’immoralité, car le hasard par définition n’attribue pas nécessairement le gros lot aux plus méritants. En suivant cette logique, le lecteur est amené à penser qu’il y a une certaine forme de justice dans le fait qu’initialement les Lavigueur aient perdu leur billet. Le corollaire ferait de William Murphy un éventuel voleur du billet gagnant, le faisant basculer du côté des êtres immoraux. Il y a vraisemblablement une ambiguïté éthique autour du jeu qui nécessite une surveillance constante. En ce sens, la meilleure manière de réduire les risques associés à la loterie est peut-être de ne plus acheter de billets. Cette logique est susceptible d’engendrer chez les Québécois la peur de jouer.

Au T2, c’est la question de la vulnérabilité de certains joueurs qui touche à l’aspect préventif. La loterie, telle qu’elle est vendue au Canada, repose sur le principe que n’importe quel adulte peut acheter un billet et gagner. Or la réalité est plus complexe : certains joueurs vulnérables risquent de perdre plus que leur simple mise. Les joueurs ne sont pas nécessairement conscients de leurs failles personnelles, qui peuvent être exploitées par ces requins qui rôdent autour d’eux sans qu’ils le sachent. Si remporter le gros lot devient une sorte de test de solidité de sa personnalité, s’acheter un billet de loterie revêt dès lors un risque. Tous les jeux de hasard et d’argent constituent une version édulcorée de la roulette russe. Cela est susceptible d’engendrer chez les Québécois la peur de gagner.

En définitive, il faut comprendre qu’en matière de jeu, le traitement des faits divers entourant la famille Lavigueur a pour fonction de faire peur aux Québécois afin qu’ils modèrent leur consommation. Si, en santé publique, les appels à la peur démontrent leur efficacité à changer certains comportements à risque (Allen et Witte, 2004), il faut se questionner, en tant que chercheurs, sur les réels effets d’une telle campagne populaire.

La leçon de morale dégagée ici est fondée sur la stigmatisation des joueurs. Il faut dire que la caricature peut elle-même être pensée comme une manière de stigmatiser : elle déforme les caractéristiques du caricaturé en amplifiant notamment celles qui s’éloignent de la norme. Les Lavigueur sont contraints de porter les stigmates de leur identité de joueurs pauvres, sans emploi et désolidarisés, devenant ainsi les têtes de Turc des Québécois pendant plus de deux décennies. Leur travail de bouc émissaire sert à rassurer les Québécois sur la véritable nature du jeu et des humains. La stigmatisation doit dans ce contexte être comprise « comme un outil de contrôle social »  et, pour s’en déprendre, les stigmatisés doivent « arriver à se définir comme sujets en réinterprétant les critères qui les discréditent » (Robillard, 2006, p. 4).

Pour aller plus loin

Ma démonstration étant complétée, je propose dans cette dernière section une discussion sur la portée critique de mes résultats. Force est d’admettre que la stigmatisation des Lavigueur est une conséquence directe au fait qu’il n’existe aucune campagne de prévention primaire pour tenir les Québécois informés[21] sur la nature des jeux de hasard et d’argent et de l’ensemble des risques qui y sont associés. Les faits divers entourant les Lavigueur sont présentés à un public de culture catholique ayant connu, dans sa grande majorité, l’époque où le Canada considérait encore le fait de jouer comme un crime (1898-1970). Comment l’État, qui a pris le contrôle de la gestion des jeux, accompagne-t-il les Québécois dans leur acceptation de la décriminalisation du jeu de hasard? Le cas des Lavigeur tend à montrer que les changements législatifs s’inscrivent dans un lent processus de changement de culture. La méfiance des Québécois à l’égard des jeux de hasard ne s’est de toute évidence pas effacée avec le retrait de ces derniers du Code criminel. Il n’est donc pas surprenant qu’elle ne s’estompe pas en dépit des preuves scientifiques, particulièrement en ce qui a trait au pouvoir maléfique du gros lot. Les Québécois ont des difficultés à concevoir qu’il puisse y avoir des comportements de jeu à faible risque. Devant un tel constat, les experts des jeux doivent rappeler qu’aucune instance fiable ne se charge de sensibiliser la population, ce qui aurait peut-être pu épargner la famille Lavigueur de subir l’opprobre et d’être traitée comme... des chiens écrasés.

Quand on se penche sur les jeux de hasard au cours des trois dernières décennies, on constate que la seule campagne ayant spécifiquement traité du pouvoir maléfique de la loterie à changer les gagnants est de nature publicitaire. Pendant les années Lavigueur[22], comme si on cherchait à répondre aux inquiétudes des Québécois, Loto-Québec adopte le slogan « Ça change pas le monde. Sauf que... » pour faire la promotion du Lotto 6/49. Cette campagne présente de nouveaux millionnaires qui expliquent au téléspectateur que gagner ne change pas leur nature profonde. La publicité montre qu’ils perdent parfois un peu la tête, mais que ces folies sont toujours sans réelles conséquences. Une publicité télévisée met, par exemple, en scène l’actrice Véronique Le Flaguais dans un restaurant chic, qui se dit heureuse d’avoir gagné et conclut que cela ne l’a pas changée. Elle lance néanmoins un mémorable cri de joie (Loto-Québec, c1987).

Bien que la campagne publicitaire de Loto-Québec soit une véritable campagne de déstigmatisation des gagnants, il faut insister sur le fait que son objectif premier n’est pas tant d’assurer le bien-être de la population que de bien mettre en marché un de ses produits. Il faut se demander si, objectivement, c’est le rôle de Loto-Québec d’accompagner les Québécois dans leur changement de conception morale du jeu. Bien que cette campagne de déstigmatisation réponde directement à la préoccupation des Québécois, elle ne parvient de toute évidence pas à calmer leur méfiance à l’égard du pouvoir maléfique de la loterie. Je pose la question, car je suis nourri par la conviction que ce problème n’est toujours pas réglé. Encore aujourd’hui, c’est la société d’État qui se propose d’« informer les joueurs et les non-joueurs, jeunes et adultes, sur les habitudes de jeu à faible risque » (lejeudoitresterunjeu.com : en ligne) à travers le mandat de sa vice-présidence au jeu responsable. Si, par souci de neutralité, on ne peut pas présupposer que ses futures campagnes de prévention viseront un objectif plus commercial que social, on peut tout de même envisager l’importance de l’obstacle que constitue cette apparence de conflit d’intérêts pour atteindre son objectif. Cet obstacle paraît si important que les messages de prévention pourraient bien soulever encore plus de méfiance chez les Québécois. Une pareille méfiance pourrait entraîner à son tour une plus grande stigmatisation des joueurs, ce qui obligerait la société d’État à répliquer par une nouvelle campagne de déstigmatisation, qui serait mal perçue, éveillerait de la méfiance, ainsi de suite. En attendant de pouvoir travailler sur des campagnes de prévention primaire qui déstigmatisent les joueurs et qui savent franchement répondre aux préoccupations des Québécois, les chercheurs sont pris dans ce cercle vicieux consistant à attendre les prochains joueurs qui se feront écraser sous le poids de la moralité pour les étudier. Les chercheurs peuvent-ils arriver à briser ce cercle? Un tel travail entre-t-il dans leurs fonctions?