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Dans le contexte actuel de notre société, souvent obnubilée par l’actualité et la prospective, Gilles Janson offre une bouffée d’oxygène à notre mémoire collective. Le Dictionnaire des grands oubliés du sport au Québec 1850-1950 arrive à temps, avant que des pionniers de la scène sportive québécoise ne sombrent dans l’oubli. Le monde du sport a créé des « Panthéons de la renommée », laissant dans l’oubli ceux qui ont construit son histoire d’une façon moins spectaculaire. L’ouvrage de Janson vient combler cette lacune : nous avons maintenant une sorte de « panthéon » des grands oubliés du sport au Québec. Serge Bouchard, bien connu pour son émission radiophonique De remarquables oubliés à la première chaîne de Radio-Canada, signe, en guise de préface, un éloge bien mérité à cet « effort de mémoire ». Janson rend pour sa part en ouverture un vibrant hommage à Donald Guay, pionnier incontestable de l’histoire du sport au Québec.
L’ouvrage présente, par ordre alphabétique comme tout dictionnaire, une généalogie/biographie succincte de 155 acteurs de la scène sportive québécoise et le récit d’événements marquants qui ont ponctué leur vie. On peut féliciter les auteurs d’avoir réussi à trouver, pour chacun d’eux, une photo représentative. La passion de Janson pour les archives et les documents inédits a sûrement contribué à ce tour de force. Les lecteurs plus âgés seront heureux de retrouver des noms qui évoquent des souvenirs d’enfance et de découvrir des aspects inconnus de la vie de ces personnalités alors célèbres. Janson justifie le choix de la période en rappelant les transformations majeures qu’a connues la société québécoise entre 1850 et 1950 : le développement du réseau ferroviaire qui a facilité les rencontres sportives, les nouveaux moyens de communication qui ont favorisé la diffusion d’une culture sportive, avec comme points culminants la création en 1881 de la Montreal Amateur Athletic Association (MAAA) et, en 1894, l’instauration de la première association francophone multisport, laquelle deviendra la Palestre nationale. La seconde moitié du 20e siècle connaît quant à elle un essor sans précédent de la participation sportive des Québécois, sans doute moussée par la construction d’infrastructures sportives diversifiées, par la multiplication d’administrateurs, de promoteurs et de journalistes sportifs ainsi que par le foisonnement de rencontres et d’événements sportifs.
La sélection des personnalités composant le dictionnaire a dû représenter une tâche délicate. Gilles Janson affirme d’ailleurs qu’il n’avait pas la prétention d’être exhaustif et reconnaît que « plusieurs oubliés auraient mérité une place au soleil » (p. 16). Il serait inapproprié de lui en faire le reproche, compte tenu des limites de tout dictionnaire. L’objectif qui semble avoir orienté la sélection était de sortir de l’oubli des acteurs peu médiatisés. Se trouvent ainsi justifiées l’exclusion des joueurs de hockey ainsi que celle de grands noms, tels Louis Cyr, Yvon Robert et Jackie Robinson, ceux-ci ayant fait l’objet de nombreux ouvrages. Seule exception pour le hockey : Arthur Farrell, premier historien de ce sport. Certains s’étonneront de voir une rubrique sur le fabuleux Jack Rabbit (Herman Smith Johannsen) et sur le célèbre Pierre de Coubertin. L’intérêt était ici de rappeler les actions souvent méconnues de ces légendaires étrangers en sol québécois. Ce sera, pour les lecteurs non spécialistes, l’occasion de connaître des faits surprenants. Le faible nombre de femmes, bien que prévisible compte tenu de leur entrée tardive dans l’univers sportif québécois, étonne tout de même : seules six grandes oubliées apparaissent parmi les 155 entrées du dictionnaire.
Un des mérites notoires de l’ouvrage, et sans doute son originalité, est de raconter non seulement la vie d’athlètes, mais aussi celle d’acteurs de divers horizons qui ont façonné la vie sportive québécoise. Sont ainsi présentés une trentaine d’administrateurs sportifs, une quinzaine de journalistes et de promoteurs sportifs, quelques personnalités du monde de l’éducation physique, de grands manufacturiers et marchands d’équipements sportifs, quelques historiens et même un caricaturiste sportif. Le détail biographique de chacun de ces oubliés démontre une impressionnante érudition de la part du collaborateur qui en a assumé la rédaction. Sont relatées des péripéties et des controverses, à la fois personnelles et sportives, qui ont marqué leur trajectoire. En quelques paragraphes, les auteurs font revivre l’univers familial et professionnel du personnage ainsi que le contexte socioculturel dans lequel il a évolué. Le style est concis, le récit captivant. Pour chaque entrée, la liste des sources consultées est mentionnée, et elle témoigne du colossal travail de recherche archivistique exigé dans bien des cas.
Pour réaliser cette somme monumentale, Janson, bien connu pour son érudition auprès des historiens et des archivistes québécois, s’est entouré d’une riche sélection de collaborateurs. Près d’une vingtaine de spécialistes participent à l’ouvrage, certains pour un nombre imposant de biographies, tel Serge Gaudreau, d’autres pour quelques-unes, voire une seule. Janson a mis à profit son réseau de connaissances dans le domaine archivistique, celui des bibliothèques et celui du monde sportif, pour recruter des auteurs férus d’histoire. Il a même, dans certains cas, pu bénéficier de l’expertise de collaborateurs ayant côtoyé de près des oubliés, par exemple Joseph Graham, qui a rédigé la biographie de sa mère, Patricia de Burgh Paré ou Tom Thompson, qui a rédigé la biographie de son professeur Arthur S. Lamb.
Véritable archéologie de l’arène sportive québécoise, ce dictionnaire fournira aux passionnés de sports, aux étudiants en histoire et en intervention sportive ainsi qu’aux professionnels gravitant dans l’univers sportif un ouvrage de référence inestimable, d’ailleurs le premier du genre. Le Dictionnaire des grands oubliés du sport au Québec fait honneur à notre devise, Je me souviens.