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Bornée à sa situation, la résistance n’a cure de politicailleries ou autres trahisons : elle-même dans l’en-soi des choses, elle est d’emblée universelle. Quel meilleur moyen de la dire, donc, que la chronique (forme plébéienne du commentaire, engluée dans le réel), et qui de mieux que Pierre Falardeau, souverain tel qu’en lui-même, comique et truculent, picaresque même, tirant à la chevrotine et plutôt juste sur tout ce qui bougeotte et s’agite autour de lui de « politicailleux », de « journaleux », d’arrivistes et de fédéralistes.
Sont recueillies dans ce très drôle petit livre trente-cinq chroniques que Pierre Falardeau a publiées à ICI Montréal dans les quelques mois qui se sont écoulés entre le moment où il s’est joint aux « … journaleux, chroniqueux, critiqueux et éditorialeux de notre médiacrassie vaguement cosanguine » en octobre 2008 et sa mort en juin 2009. Tout Falardeau y est, toujours et à chaque fois : la grasse poésie, l’insulte (art perdu), les petites vanités, la fraternité dite sans pudeur, les idées fixes, la vérité vraie et crue, les petits roulements de mécanique – l’authentique si certain de lui-même et de son universalité que c’en est gênant (à l’aliéné ayant bien appris la bonne mesure en toutes choses, le vrai, quand il est affirmé sans retenue, ne paraît ni vrai ni faux : il semble, simplement, vulgaire).
Lisant ces courts textes en rafale, même debout comme Pierre Vallières a écrit Nègres blancs d’Amérique, à la Manhattan House of Detention for Men (les tombs) se sentant aussi près du black power et du FLN algérien que Falardeau de ses frères palestiniens, nous serions tentés (nous : gérants d’estrade à doctorats) d’en abstraire quelques vérités, d’y reconnaître thèmes et récurrences, d’en faire une collection et d’enfermer chaque insulte, chaque vérité crue dans le cercle magique de nos propos théoriques. C’est que je nous connais. Falardeau mort, nous l’adouberions pamphlétaire ou polémiste, le consacrerions essentiel parmi les essentiels, vrai des vrais bien rangé au panthéon de nos bibliothèques entre, d’un côté, Fanon et Biko, et, de l’autre, Vallières et Bourgault. Du coin de l’oeil, nous apercevrions La Boétie et Gramsci. Voilà Falardeau bel et bien enterré : ni l’imbécile de Martineau ni le gros Coderre n’ont à craindre.
Mais voilà que des mille trahisons, petitesses et renoncements qui tourmentaient Falardeau (lui qui avait mis le livre de Nathalie Petrowski « … trouvé dans les vidanges… » dans la sienne de bibliothèque, quelque part entre Lao Tseu et Gandhi), aucun n’a vraiment disparu. Rien depuis cinq ans n’a vraiment changé au Québec. Ni la réalité ni l’idée que nous osons nous en faire. Cela vote toujours libéral à Outremont (il ne manque pas de cochons à habiller de rouge), les sociaux-démocrates sont toujours aussi mollassons, et les nationalistes finissent toujours à Sagard, mangeant dans le creux de la main de Power Corporation (crachons en passant sur Robert Charlebois). Claude Ryan n’en finit plus de pourrir en terre, on parle toujours bilingue à Ottawa, et, de charte en charte, nous sommes de moins en moins nous-mêmes, ni plus clairs dans notre aliénation, ni plus libres.
« Européens, ouvrez ce livre, entrez-y, écrivait Sartre en introduction des Damnés de la terre, [Fanon] vous explique à ses frères et démonte pour eux le mécanisme de nos aliénations : profitez-en pour vous découvrir à vous-mêmes dans votre vérité d’objets ». Falardeau, lui, nous explique à nous-mêmes, ce qui est franchement plus gênant. Nous pataugeons dans la même chiasse que Gaétan Hart (lui du Streak) et Becique (dans Le Party), mais peut-être pas avec la même noblesse. Lisons Résistance : Chroniques 2008-2009, rions de bon coeur du gros Coderre, de la grosse Bazzo et du petit poodle à Cassivi (et de Jean Charest et de Patapouf et de Badaboum, comme nous avons beaucoup ri de Marc Lalonde dansant la danse des canards dans Le temps des bouffons) et profitons de l’occasion pour reconnaître cette part de nous-mêmes qui n’est pas entière.