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Les almanachs québécois, l’imprimé laïc le plus populaire au Québec entre le 18e siècle et les années 1940, étaient-ils conçus comme une « petite encyclopédie populaire » comme l’Almanach Hachette en France? Quels sont les ancrages identitaires de l’Almanach du peuple, de l’Almanach des familles et de l’Almanach de la langue française? Quels sont les rapports des almanachs québécois avec la mémoire collective et quel est leur rôle dans la constitution du canon de la littérature québécoise?
Voici des questions et des problématiques que Hans-Jürgen Lüsebrink, professeur à l’Université de Saarbrücken (Allemagne) et spécialiste des littératures et cultures francophones et de l’histoire de l’imprimé, approfondit dans ce livre, où il étudie l’univers des almanachs québécois entre le 18e siècle et aujourd’hui. Ses recherches préalables sur les almanachs européens, menées pendant plus d’une vingtaine d’années, nourrissent son approche, comparatiste, interculturelle et interdisciplinaire, qui s’intéresse particulièrement aux formes de transfert, d’appropriation, d’adaptation et de transformation de modèles européens et anglo-américains au sein des almanachs québécois.
Son analyse de la diversité et de la spécificité des almanachs québécois vise à étudier parallèlement leur fonction sociale (« véritable encyclopédie vivante du peuple », p. 28, « encyclopédie cumulative du peuple », p. 145) et la façon dont ils traduisent l’évolution sociale, économique, culturelle et axiologique de la société québécoise, ainsi que l’évolution du monde de l’édition, du journalisme et de la publicité.
C’est un ouvrage d’une grande qualité scientifique, qui allie la rigueur et la richesse. Il apporte une étude systématique qui dissèque les almanachs québécois, analyse leur matrice générique et leurs spécificités et étudie leur évolution, soulignant l’« âge d’or » des almanachs (la période 1860-1918) et des almanachs communautaires à partir de 1950. Et il aborde des sujets fort intéressants tels que la perception de l’altérité, les représentations de l’Amérindien et l’émergence d’une conscience culturelle transaméricaine.
Lüsebrink accorde une attention particulière à la place des femmes – la clientèle cible est féminine – et il traite de la « prise de parole féminine » (p. 133-144). Il étudie l’itinéraire de deux femmes auteures dans les almanachs, pionnières du journalisme au Québec, Robertine Barry (1863-1910), qui introduit dans le genre du « conte de l’almanach » un regard politique et féministe, et Marie-Claire Daveluy (1880-1968), qualifiée par Albert Lévesque (1936) d’« historien de nos gloires féminines ». Cette analyse apporte de nouveaux éléments à l’étude de l’insertion des femmes dans l’espace public au Québec, et complète les recherches des féministes, des historiens et des sociologues tels que Denyse Baillargeon, Denise Lemieux et Fernand Harvey.
Des bibliographies concernant les almanachs québécois (du 18e au 20e siècles) et les études essentielles dans ce domaine, classées en fonction de critères géographiques, couronnent cet ouvrage remarquable.