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Cet ouvrage étudie l’architecture religieuse à Montréal pendant la période coloniale britannique, comblant ainsi une lacune de l’historiographie. L’historien de l’art et de l’architecture, Clarence Epstein, présente une cinquantaine de lieux de culte construits par les différentes confessions et groupes ethniques. Ces lieux sont analysés en tant qu’espaces publics et lieux de pouvoir, manifestations matérielles des identités religieuses et de l’édification du tissu urbain. Alternant les différents points de vue et combinant une structure thématique et chronologique, Epstein éclaire la complexité des enjeux religieux, sociaux et architecturaux entourant la construction de ces lieux de culte.
L’étude s’ouvre sur la période allant de 1760 à 1830, redécoupée en trois thèmes : les canons britanniques, l’influence américaine et la revanche canadienne-française. Dès le premier chapitre, l’approche ethnologique nuancée de l’auteur met en relief les influences et tensions entre la population catholique et les émigrants appartenant à de nouveaux groupes religieux, entre l’attachement aux traditions et les nouvelles formes. S’attardant à chacune des dénominations présentes, Epstein montre la complexité des enjeux politiques et sociaux lorsqu’il est question de construire un lieu de culte. Le deuxième chapitre aborde les tensions de classes entre marchands loyalistes et membres de l’élite britannique qui se rapprochent l’une de l’autre en réaction à la menace des valeurs subversives américaines. L’auteur attire ensuite notre attention sur la réponse architecturale catholique en réaction à l’affirmation identitaire des Loyalistes britanniques. L’analyse fait ressortir qu’un nouvel ordre des valeurs s’impose, celui du Nouveau Monde.
La deuxième partie couvre chronologiquement les trois décennies suivantes (1830-1840-1850) pendant lesquelles les constructions se multiplient. Dans le quatrième chapitre, Epstein s’attarde aux non-conformistes et à leur vision sobre du rituel qui s’exprime par une architecture simple. Il souligne l’oeuvre des architectes John Wells et Francis Thompson qui imposent leur vision de l’architecture. En fin de chapitre, une part importante traite de l’émergence de la communauté juive, acquérant ses pleins droits civils en 1832, et de ses contributions financières aux projets architecturaux catholiques et anglicans comme moyen de s’intégrer à l’élite montréalaise. L’auteur enchaîne avec l’appropriation locale de l’esthétique gothique anglaise et le renouveau roman. Suit une étude de cas approfondie de l’église Saint-Patrick, symbole d’opposition par son style gothique français. Epstein consacre son dernier chapitre à la décennie 1850-1860 où les catholiques, minés par les rivalités internes, multiplient les nouvelles constructions pendant que les anglicans réorganisent leur structure organisationnelle et normalisent leur architecture.
L’ouvrage est abondamment illustré de documents d’archives, dessins, photos et transcriptions Premier ouvrage en anglais de cette collection, il crée un pont entre les communautés scientifiques, ce qui prolonge la thèse de l’auteur : « Through their assertions and compromises, national and religious groups mutually benefit from the proximity to one another » (p. 211).