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Après Maltraiter ou punir ?, Marie-Aimée Cliche, récipiendaire du Prix Jean-Charles-Falardeau (2006-2007), propose une nouvelle question : Fous, ivres ou méchants ? Cette fois, l’historienne explore le sujet des parents meurtriers et l’incompréhension entourant des gestes fatals encore posés en ce début de 21e siècle : récemment, l’affaire Shafia et l’affaire Turcotte témoignent de la toujours grande curiosité que suscitent les procès des parents meurtriers. Spécialiste de l’histoire des enfants maltraités au Québec, Cliche s’intéresse dans Fous, ivres ou méchants? aux affaires de filicides entre 1775 et 1965. Précisément, selon la définition de Phillip Resnick, à « la mise à mort d’un enfant de plus de un jour par l’un ou l’autre de ses parents » (p. 8).
On s’en doute, le sujet est difficile, les récits sont bouleversants et la succession des drames d’horreur rend la lecture quelque peu affligeante. Néanmoins, il s’agit d’une minutieuse enquête basée sur 140 affaires de filicides qui se sont déroulés au Québec. L’analyse de genre privilégiée par Cliche constitue « un début d’explication des différences de genre dans l’accomplissement et la perception du filicide » (p. 25). Tandis que l’analyse du discours des juges, des journalistes, des médecins et des psychiatres ainsi que des réactions du public, en général, permet de comparer les motivations tant des hommes que des femmes et leur peine imposée pour avoir causé la mort d’un ou de plusieurs de leurs enfants, d’observer les perceptions du filicide, au cours des deux derniers siècles, et de tracer l’évolution des lois criminelles. Tout cela dans le but de saisir tant l’évolution des formes de filicides que celle de la jurisprudence et des mentalités de la société québécoise.
Quatre périodes découpent habilement, sur deux siècles, l’évolution des lois criminelles en relation avec les progrès de la psychiatrie et de la médecine légale. Elles révèlent qu’il a fallu tout un siècle avant de mettre au jour le phénomène des « enfants martyrs » (1875-1920) et que c’est l’histoire de la petite Aurore Gagnon, en 1920, qui entraîne une vague de dénonciations (1920-1945). L’après-Seconde Guerre mondiale marque la prise de conscience de l’ampleur du phénomène des enfants battus et le début d’une nouvelle ère dans l’histoire de la protection de l’enfance (1945-1965).
Les spécialistes historiens, criminologues et sociologues apprécieront la qualité de cette audacieuse recherche menée sur un sujet encore trop peu connu de l’historiographie. Cliche fait la démonstration, à partir d’études de cas, que c’est la folie d’un parent qui explique, le plus souvent, le geste atroce de tuer son enfant. Et cela, parce que l’opinion que les parents, mais surtout les mères, vouent un amour inné à leurs enfants demeure, pendant toute la période étudiée, une croyance commune. Toutefois, comme le soulève Cliche, l’explication de la dépression nerveuse, privilégiée par les psychiatres et les avocats, risque de « dissimuler d’autres motifs moins édifiants » (p. 187). Nul doute, l’essai de Cliche est une remarquable enquête historique qui s’inscrit dans un champ plus large de la recherche qui embrasse le sujet de la folie.