Notes critiques

Radio-Canada, hier et aujourd'huiDenis Monière et Florian Sauvageau (dirs), La télévision de Radio-Canada et l’évolution de la conscience politique au Québec, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2012, 220 p.Chantal Franoeur, La transformation du service de l’information de Radio-Canada, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2012, 180 p.[Notice]

  • Pierre Barrette

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La télévision de Radio-Canada fête son soixantième anniversaire cette année, un événement que la vénérable institution a souligné jusqu’ici de manière très discrète, du moins dans ses manifestations publiques. Peut-être cette retenue a-t-elle un peu à voir avec la situation précaire qui est la sienne, depuis notamment que le gouvernement conservateur à Ottawa (historiquement plutôt hostile à la télévision publique) menace de lui couper les vivres et que la conjoncture générale liée à la crise de la télévision généraliste l’oblige à considérer son mandat traditionnel avec beaucoup de souplesse. C’est dans ce contexte croyons-nous qu’il faut accueillir deux nouvelles contributions, aussi rares qu’essentielles, à notre connaissance du réseau public national : La télévision de Radio-Canada et l’évolution de la conscience politique au Québec (MS dans la suite de cet article) et La transformation du service de l’information de Radio-Canada (CF dans la suite de cet article). Le premier ouvrage, qui fait suite à un colloque tenu le 21 septembre 2012 au Musée de la civilisation de Québec, s’est donné le mandat de mieux comprendre la place prise par Radio-Canada dans l’évolution de la société québécoise selon une pluralité d’angles (idéologique, linguistique, technologique, etc., aussi bien que proprement politique), alors que le second (il s’agit de la version remaniée de la thèse doctorale de l’auteure) présente les résultats d’une recherche sur le terrain visant à rendre compte des changements apportés à la culture journalistique radio-canadienne à la suite de l’intégration en 2010 des salles de nouvelles radio, télé et web en une structure unique dite multiplateforme. De manière contrastée, donc, et adoptant par rapport à leur objet des démarches méthodologiques fort différentes, les deux ouvrages apparaissent complémentaires à plus d’un égard et permettent pour cette raison de jeter un éclairage intéressant sur le statut changeant de la télévision publique depuis un demi-siècle. Ce qui ressort d’emblée à la lecture de l’anthologie préparée par les professeurs Monière (Université de Montréal) et Sauvageau (Laval), mais aussi de l’ouvrage de Francoeur (UQAM), c’est à quel point nous sommes passés durant cette période d’un régime de rareté extrême à une situation absolument pléthorique, et que c’est cette évolution du « paysage télévisuel » – une expression qui n’avait pas de sens en 1955 mais qui illustre très bien l’état des choses aujourd’hui – qui permet le mieux de comprendre les modifications profondes du rôle et de la place de Radio-Canada dans la société canadienne et québécoise. Comme le souligne judicieusement Florian Sauvageau, « le quasi-monopole que détenait Radio-Canada à sa création s’est amenuisé au fil des années avant d’en arriver à l’immense bazar qu’est devenu le système télévisuel d’aujourd’hui » (MS, p. 10-11). Au monopole en question fut longtemps attachée une conception du média comme service public qu’Umberto Eco a bien décrit dans un texte qui a rapidement fait école (Eco, 1985). Dans sa contribution très critique à l’ouvrage, Marc Chevrier reprend cette idée au célèbre italien et constate qu’à l’ère dite de la « paléo-télévision » Chevrier parle ainsi d’une « société du spectacle radio-canadienne », dont les choix depuis quelques années contribuent à réduire « le politique et la culture » en favorisant des « mélanges niveleurs ». Ce mouvement général d’une « pénurie sous contrôle » à un « foisonnement désordonné » semble partagé par plusieurs auteurs qui voient chacun avec sa paire de lunettes de spécialiste disciplinaire l’évolution de Radio-Canada comme le passage d’une logique de service public asservi aux intérêts supérieurs de la nation à une logique de divertissement de plus en plus difficile à discriminer de la stratégie de ses concurrents, engagées dans une lutte à …

Parties annexes