Comptes rendus

Jean-François Constant et Michel Ducharme (dirs), Liberalism and Hegemony. Debating the Canadian Liberal Revolution, University of Toronto Press, 2009, 474 p.[Notice]

  • Christian Roy

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En rassemblant, développant et complétant les contributions à un colloque organisé en mars 2006 par l’Institut d’études canadiennes de McGill, cet ouvrage permet de faire le point sur les enjeux de l’histoire du Canada tels qu’ils se dessinent sous le jour nouveau que projette sur eux depuis le tournant du siècle l’audacieuse synthèse d’Ian McKay, de l’Université Queen’s, transcendant l’opposition entre histoire sociale et histoire politique en une démarche de « re/connaissance » de leurs acquis respectifs. Le volume s’ouvre par la reproduction anastatique de l’article programmatique de McKay (2000), peut-être unique en son genre, et se conclut par un autre non moins touffu (« Canada as a long liberal revolution : On writing the history of actually existing Canadian liberalisms, 1840s-1940s ») qui en revisite les thèses en dialogue avec la douzaine d’études critiques que ces deux textes encadrent et qui se répondent mutuellement, ayant préalablement circulé entre les participants au colloque. Ce feu croisé de réflexions met en relief le riche potentiel comme certaines limites du cadre interprétatif de « l’ordre libéral » que McKay surimpose à l’histoire moderne du Canada à partir de catégories « risorgimentales » (qu’on me passe le jeu de mots) empruntées à Gramsci. Comme celui-ci déconstruit la formation de l’Italie, McKay dénaturalise celle du Canada, création contingente de quelques hommes blancs de la vallée du Saint-Laurent, ce Piémont de l’Amérique du Nord britannique (p. 638) doté d’un Cartier comme Cavour pour tirer de cette expression géographique, non pas la nation démocratique qu’y projettent rétrospectivement les discours officiels du genre « Minutes du Patrimoine », mais l’« empire libéral » (p. 641) qu’exigeait un certain « bloc historique » pour asseoir son hégémonie sur toute l’étendue septentrionale du continent. « L’hégémonie libérale au Canada de 1840 à 1950 a été un processus de formation et de consolidation étatiques combinant le consentement, la coercition et la corruption, en vertu duquel le parti de l’ordre libéral a acquis une position dirigeante au sein du Canada et une place assurée bien que subordonnée au sein du monde international. » (p. 368) McKay n’hésite pas à parler de « révolution par le haut » à propos de ce processus mis en marche sous la forme d’une restauration après l’échec des rébellions (un peu comme la formation de l’Allemagne bismarckienne au même moment), puisqu’il a bouleversé des modes de vie séculaires, voire plurimillénaires, en leur substituant de nouvelles formes sociales basées sur la maximisation de l’intérêt particulier par l’individu défini avant tout comme possesseur de lui-même, s’identifiant à sa propriété exclusive. L’« individualisme possessif » à la racine du libéralisme selon C.B. MacPherson (1962), à laquelle McKay ramène systématiquement cette idéologie en s’appuyant sur Fernande Roy (1988) et l’historiographie « révisionniste » québécoise, aurait été graduellement imposé à l’ensemble de la société canadienne par ses nouvelles élites, non tant par la force que comme l’évidence même du consensus victorien sur lequel pouvaient s’entendre les hommes raisonnables et civilisés, quitte à subtilement coopter les groupes moins disposés à s’y plier que des bourgeois anglo-protestants. Tel est le sens gramscien de l’hégémonie, qui comporte un art du « compromis historique » avec les groupes sociaux réfractaires à l’idéologie dominante, une part de transformismo pour accommoder ceux-ci au nouvel ordre libéral qu’elle légitime. On entend l’écho de la « découverte politique » du Guépard de Lampedusa : « il faut que tout change pour que tout reste comme avant. » D’où le cynisme d’Ian McKay envers le compromis tenant lieu de mythe fondateur au Canada issu de cette « révolution passive », empêchant de poser les conflits dans leur acuité dialectique et …

Parties annexes