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Maurice Duplessis a été premier ministre du Québec de 1936 à 1939, puis de 1944 à sa mort en 1959. Il a été candidat dans neuf campagnes électorales, dont huit victorieuses. « Pourquoi […] est-il demeuré premier ministre […] et chef de son parti, l’Union nationale, aussi longtemps ? » C’est la question que pose Alain Lavigne dans Duplessis, pièce manquante d’une légende. Sa réponse est claire : un des facteurs de la longévité politique de Duplessis est son utilisation, inédite jusque-là, massive et concertée, de ce qui s’appelait la «propagande»; on parle aujourd’hui de publicité ou de marketing.
La démonstration s’appuie sur l’imposante collection que Lavigne a réunie et qui est la base de la très riche iconographie de l’ouvrage. La variété des supports représentant Duplessis étonne. Son visage ou son nom orne des brochures, des macarons, des ballons, des pochettes d’allumettes, des affiches, des bandes dessinées, des bas-reliefs et des bustes, des aquarelles, des boîtes à cigares, des rubans, des menus, des calendriers, des verres, des autocollants. En 1939, une affiche dépeint ce « champion du Québec », ce défenseur de l’autonomie provinciale, en armure de chevalier. En 1956, on aurait distribué dans les écoles 250 000 exemplaires d’un casse-tête intitulé « Votre gouvernement » : sous le fleurdelisé, Duplessis occupe le centre de l’espace.
Ses campagnes, orchestrées par le député Joseph-Damase Bégin et le publiciste Paul Bouchard, ne reposaient pas que sur l’imprimé. La radio y occupe une place importante : en 1944, par exemple, l’Union nationale produit une série d’« audiodrames » avec des comédiens connus. Des films sont diffusés dans les salles paroissiales et au cinéma. La télévision, arrivée en 1952 au Canada, sera utilisée, mais modestement, du vivant de Duplessis.
Qu’est-ce qui caractérise les campagnes duplessistes ? D’une part, la focalisation du discours sur sa personne, plus que sur son parti. D’autre part, l’utilisation martelée d’un slogan de campagne : «Le libérateur de sa province» (1936), « Soyons maîtres chez nous » (1939), « Ne prenez pas de chance ! » (1944), « Duplessis donne à sa province » (1948), « Laissons Duplessis continuer son oeuvre » (1952), « Avec Duplessis, c’est le progrès » (1956). Des annonces dans les journaux aux panneaux-réclames installés le long des routes, le discours ne change pas.
On ne saurait assez souligner l’importance du travail de collecte d’Alain Lavigne en matière de culture matérielle. En revanche, on déplorera un style répétitif, une absence de contextualisation de son objet et la superficialité des analyses. Que la facture du « matériel de communication » de l’Union nationale soit marquée de « professionnalisme » ne fait aucun doute. Mais quel est son contenu ? Que racontent les audiodrames et les films ? Que trouve-t-on dans les Précis de documentation à l’usage des orateurs et des conférenciers de 1952 ? Les campagnes électorales modernes se gagnent par les médias; avant d’autres, Duplessis et ses collaborateurs l’ont compris. Mais il faut bien plus que cela pour se maintenir au pouvoir pendant des décennies. Pourquoi la «contre-propagande» des adversaires de l’Union nationale échoue-t-elle ? Les images ne disent pas tout. Il faut les faire parler.