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La Chaire de leadership Pierre-Péladeau à HEC Montréal poursuit sa diffusion monographies sur des leaders québécois, dont la dernière parution est consacrée à l’ancien directeur du Musée d’art contemporain de Montréal (MACM), Marcel Brisebois, qui en fut le « général directeur » pendant près de vingt ans. Les auteurs en sont Laurent Lapierre, titulaire de la Chaire, et le professionnel de recherche Bernard Chassé, auteur d’une édition critique de la correspondance d’Alain Grandbois (coll. Bibliothèque du Nouveau Monde) aux Presses de l’Université de Montréal (2003). Ces auteurs et d’autres collaborateurs (professionnels et étudiants des études supérieures) ont réalisé au cours des ans de nombreuses entrevues avec des gestionnaires, des artistes et ce qu’il est maintenant convenu de nommer des médiateurs culturels. Ces entrevues et une première mise en forme des récits sont aisément accessibles sur un site web sobrement intitulé « Liste des cas et documents pédagogiques déposés par Laurent Lapierre (http://www.hec.ca/centredecas/) ». Cette générosité dans le partage des données mérite d’être signalée, puisqu’elle n’est pas monnaie courante.
Chassé et Lapierre fondent leur travail sur une série d’entrevues réalisées en 2001 et ont aussi recours à des entrevues plus anciennes conservées au Centre de cas HEC (p. 3, note 1). Ces entretiens sont largement utilisés pour structurer la trame du récit, pour donner forme à une histoire singulière, ici celle du directeur et d’un musée d’art contemporain, une sorte d’OVNI dans le paysage des musées québécois et canadiens puisque ce musée présente de l’art contemporain (disons l’art qui se fait depuis 1940), qu’il en fait collection (ce qui suffit à le distinguer de tous les centres d’exposition qui ont vocation de diffusion mais non de collectionnement – selon le néologisme un peu lourd des spécialistes de la muséologie), qu’il le documente dans une médiathèque professionnelle et accueillante.
Depuis Les enfants de Sanchez d’Oscar Lewis en passant par les textes de Pierre Bourdieu sur l’illusion biographique jusqu’aux avant-derniers questionnements sur l’autofiction, le recours aux entrevues, aux entretiens et aux témoignages pour la mise en forme d’une biographie, d’une trajectoire ou d’une histoire de vie a fait l’objet d’ouvrages complets, de textes dans les revues spécialisées et de communications nombreuses, pour ne pas dire pléthoriques, dans tous les colloques savants en sociologie, en anthropologie, en histoire, en psychanalyse et ailleurs dans tous les coins et recoins de l’Académie (qui n’est plus du tout invisible comme on la disait un jour…). Cependant lorsqu’il s’agit de mieux connaître les grandes institutions culturelles, cette méthode du horse’s mouth a l’avantage de mettre le médiateur au premier plan et d’éclairer, parfois sous un jour nouveau, un travail que d’aucuns souhaiteraient quasi transparent.
Les lecteurs trouveront ici leur lot d’anecdotes mais surtout de réflexions passionnantes sur le travail d’un gestionnaire culturel qui ne pratique pas la langue de bois ou si peu, car certains se souviendront de l’avoir entendu parler de synergie, mot aujourd’hui tombé dans les limbes de la communication. Cet ouvrage devrait être complété par une solide analyse sociohistorique du MACM qui reste encore à faire, histoire qui prendrait en compte le travail de tous les intervenants des milieux culturel, politique et intellectuel. Ce serait faire un mauvais procès aux auteurs de les accuser de ne pas avoir réalisé ce travail puisque leur contribution relève d’une fine attention à la question du leadership et qu’en ce sens cette étude est tout à fait réussie.