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Ce petit livre sur l’île Jésus, et la ville de Laval qui l’occupe désormais en entier, est une version abrégée de l’Histoire de Laval par Jean-Charles Fortin, Jacques Saint-Pierre et Normand Perron, parue en 2008 et qui comportait 341 pages. Il n’y a pas que le nombre de pages qui a diminué, mais surtout le format et le nombre de chapitres, qui passe de sept à cinq : les quatre derniers qui traitaient de l’histoire de Laval depuis 1900 ont été ramenés à deux. De la sorte ont été inversées la proportion de pages consacrées à la période avant 1900 et celle au 20e siècle, et l’accent est porté sur la vocation agricole des débuts de la colonie jusqu’à l’orée du 20e siècle. Le fleuve était alors à la fois la voie d’accès à l’île et la principale barrière à cet accès. Grâce au chemin de fer et à l’automobile, Laval passe « du jardin à la banlieue de Montréal » (p. 117), et cet entre-deux laisse place à la villégiature.
Le développement de la banlieue est à la fois permis et accéléré par les ponts et les autoroutes, autrement dit, par la voiture ; l’auteur affirme ainsi que « Laval est la fille de l’automobile » (p. 113) ; l’autoroute 15 fut notamment inaugurée dès 1959. Laval croît à la faveur d’un boom de construction domiciliaire à la période du baby-boom, dans la seconde moitié du 20e siècle ; les services et les commerces suivent la population alors que se développe la société de consommation : bungalows et centres commerciaux s’étalent sur le territoire. À cet égard, le livre de Saint-Pierre permet de retracer un processus dont la dynamique et le résultat sont analogues à ceux observés dans d’autres banlieues nord-américaines.
Deux processus marquent la fin du siècle. D’une part, comme l’ensemble du Québec, Laval connaît un vieillissement de sa population et, d’autre part, s’y développe une identité locale à mesure qu’une deuxième, voire une troisième génération de banlieusards y grandit. Notons au passage qu’au 19e siècle il y eut aussi vieillissement de la population dans l’île à mesure que le territoire agricole se saturait : les jeunes devaient aller chercher du travail ailleurs ; le vieillissement actuel est différent car de plus en plus les Lavallois travaillent sur l’île. En ce sens, Laval acquiert une « autonomie fonctionnelle », à mesure que les services tant privés que publics suivent la population dans des secteurs dont les résidents sentent de moins en moins le besoin de sortir même pour accéder à la vie culturelle. Dans la première décennie du 21e siècle, on a beaucoup discuté de fusions et de défusions de banlieues ; à cet égard, il faut mentionner que c’est en 1965 que fusionnent les diverses municipalités de l’île Jésus, malgré les réticences de la population. « Une île, une ville » y est donc une réalité, qu’après 50 ans nul ne remet en question, même si lors de référendums locaux dans les années 1960, c’est à plus de 83 % que les électeurs de certaines des municipalités de l’île s’étaient prononcés contre les fusions.
Ce livre se présente sans notes de bas de page, sans renvois explicites aux écrits ; il est parsemé de quelques tableaux et cartes et surtout de nombreuses illustrations et photos. Malheureusement aucune des cartes ne comporte les noms de rues auxquelles le texte renvoie souvent, ce qui aiderait le lecteur à se repérer sur l’île.
Si l’histoire de Laval comporte certaines caractéristiques particulières dont la plus importante est certes d’être une île, elle ressemble beaucoup à celle de plusieurs autres banlieues nord-américaines, qui se sont établies sur d’excellentes terres agricoles et ont empiété sur la villégiature… au point qu’on se demande avec le recul où pouvaient bien se situer ces lieux de villégiature. On garde de la lecture une inquiétude pour les terres agricoles et l’accès tant aux boisés qu’aux cours d’eau. Bref, le livre intéressera certes les résidents de Laval, mais à cause de son caractère exemplaire et du fait qu’il existe peu d’histoires sur des banlieues, tous ceux que le développement et le devenir des banlieues préoccupent.