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Sylvain Rivière et Gilles Mathieu, La Butte à Mathieu : un lieu mythique dans l’histoire de la chanson au Québec, Montréal, VLB éditeur, 2010, 168 p.
Nous avions vingt ans et la Butte venait d’ouvrir ses portes le 29 novembre 1959. Laissant Maurice Duplessis à son triste sort (décédé deux mois plus tôt), nous étions plongés dans l’univers du Matin des Magiciens de Louis Pauwels. En juin 1960, le gouvernement autorisait la mise en marché de la fameuse « pilule » et Jean Lesage accédait au pouvoir suivi par Jean Drapeau quelques mois plus tard.
Nous avions vingt ans et le monde nous appartenait. Nous le découvrions, sac au dos, en prenant les routes « sur le pouce », sans aucun danger à l’horizon. Nous allions bientôt terminer nos études, sans crainte des lendemains.
Nous avions vingt ans et nous rêvions de révolution autour d’une table recouverte d’une nappe à carreaux rouge et blanc, bouteille de Chianti surmontée d’une chandelle au centre, écoutant religieusement les Félix, Claude, Monique… que « L’Oiseau de Nuit » nous faisait découvrir avec tant de poésie le dimanche soir à son Cabaret du soir qui penche.
Ce ne sont que quelques souvenirs parmi tant d’autres qui remontent à la surface en feuilletant ce beau volume qui raconte l’histoire de La Butte à Mathieu, aujourd’hui disparue, produit par le poète et écrivain Sylvain Rivière et le fondateur de cette boîte à chanson mythique, Gilles Mathieu. Une histoire vivante complétée par plusieurs témoignages, une discographie et une chronologie des artistes et des spectacles de Raymond Lévesque qui ont été présentés à la Butte entre 1959 et 1976, deux dates tout aussi mythiques dans l’histoire du Québec.
Les raisons qu’évoque le fondateur pour expliquer la fin de l’aventure de la Butte en 1976 sont de trois ordres. À partir de ce lieu intime qui leur a permis de construire leur carrière, les artistes, maintenant reconnus, émigrent vers les grandes salles de spectacle qui leur offrent de meilleurs cachets, et l’élection du Parti québécois en novembre constitue pour ces chantres du Pays à inventer une sorte d’aboutissement dont ils se sentiront par ailleurs floués après le référendum de 1980. Pour Gilles Mathieu, ce désenchantement correspond à l’émergence du phénomène de l’humour : « Le public, qui s’était senti floué par ce rêve d’un pays à faire, ne voulait plus réfléchir. Il voulait rire… » (p. 123). Jugement sévère, croyons-nous, qui passe sous silence l’immense emprise qu’aura l’industrie musicale sur la diffusion de la musique populaire à partir de 1980.
Un seul bémol à cette publication. Abondamment illustrée, on regrette seulement que plusieurs photographies, surtout celles reproduites sur fond de couleur orangée, soient si floues alors que l’éditeur dispose aujourd’hui de technologies qui auraient pu facilement corriger ce défaut.
Quant aux archives de la Butte que son propriétaire, maintenant installé en Gaspésie, garde précieusement, espérons que les terribles inondations de décembre dernier n’auront pas atteint sa résidence dans le petit village de Cloridorme…