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L’agriculture québécoise a connu un regain d’attention de la part des chercheurs au cours des dernières années. La nouvelle édition en 2004 du livre Histoire du syndicalisme agricole au Québec de Jean-Pierre Kesteman, la parution en 2009 d’Une brève histoire de l’agriculture au Québec de David Dupont et l’ouvrage Politique et syndicalisme agricoles au Québec de Michel Morisset (en collaboration avec Jean-Michel Couture) en 2010, témoignent de cet intérêt grandissant. La particularité du livre de Morisset est son analyse approfondie des relations changeantes tissées au fil des cinquante dernières années entre l’Union des producteurs agricoles (UPA), l’État et la société québécoise.
Les auteurs offrent un ouvrage accessible fondé sur une étude minutieuse de l’évolution du discours et des revendications de l’UPA, à partir de données provenant des résolutions des congrès de l’organisation de 1961 à 1999, ainsi que des discours présidentiels, des éditoriaux parus dans La Terre de chez nous et d’autres documents produits par l’UPA. Quatre thèmes sont abordés dans les quatre essais composant l’ouvrage.
Le premier essai traite des liens établis au fil des ans entre l’agriculture et la question nationale québécoise. Morisset montre bien comment le nationalisme a influé sur le développement agricole, comment les agriculteurs ont d’abord représenté les remparts de la nation canadienne-française catholique, pour ensuite s’inscrire dans la mouvance du nationalisme économique par le développement d’une agriculture moderne et performante à partir des années 1950, puis en s’associant aux projets d’autosuffisance alimentaire dans les années 1970-1980 et de conquête des marchés mondiaux dans les années 1990. Cet essai met également en lumière les changements identitaires majeurs vécus dans la profession agricole, passant d’un statut de cultivateur et de colon à celui de producteur agricole, sans oublier l’émergence récente de la notion de paysan.
Le deuxième essai s’intéresse à la montée du néolibéralisme et couvre les décennies 1980-1990, caractérisées par les négociations sur le traité de libre-échange entre le Canada et les États-Unis et les discussions internationales sur le commerce agricole dans le cadre du General Agreement on Tariffs and Trade (GATT). D’un discours strictement protectionniste, Morisset dévoile comment l’UPA s’est par la suite engagée dans les années 1990 dans un projet de conquête des marchés par l’entremise de la croissance des exportations agricoles. L’auteur émet toutefois des doutes sur la réussite de ce virage exportateur au sein d’un secteur largement et traditionnellement tourné vers le marché intérieur.
Le troisième essai, écrit avec Couture et intitulé « Agriculture, État et société », retrace les grands débats qui ont marqué l’évolution du modèle agricole québécois au cours du dernier demi-siècle. On y comprend comment l’objectif constant de l’UPA, la stabilité et l’augmentation du revenu agricole, s’est traduit par le développement d’une agriculture productiviste, fondée sur l’interventionnisme étatique et sur l’organisation collective des agriculteurs. Ce modèle a dû faire face aux attaques du néolibéralisme et s’est également heurté à partir des années 1990 à de nouvelles préoccupations sociales, notamment l’environnement et la cohabitation en milieu rural. De part et d’autre est maintenant exigé un nouveau « contrat social » en agriculture, et dont les orientations restent encore indéterminées et débattues.
Ces préoccupations sociales se trouvent également au coeur du quatrième essai signé par Morisset et Couture, qui abordent plus spécifiquement la montée du mouvement paysan québécois. Selon eux, la notion de paysannerie a peu d’ancrage historique au Québec et sa récente popularité s’expliquerait principalement parce qu’elle a su canaliser les sentiments d’exclusion provoqués par le modèle agricole productiviste au sein de la société civile. D’ailleurs, cette « préoccupation citoyenne des campagnes et des enjeux relatifs à l’agroalimentaire » (p. 333) est identifiée par les auteurs comme l’un des phénomènes majeurs dans l’histoire récente de l’agriculture, les poussant à affirmer qu’il « est probable qu’une reformulation de la question agricole en vienne à s’imposer à l’agenda politique » (p. 340).
Cet ouvrage s’avère particulièrement intéressant dans le contexte actuel, où le gouvernement doit rendre publique en 2011 la toute première politique agricole du Québec. Il importe d’ailleurs de mentionner que Michel Morisset a oeuvré comme consultant expert auprès du ministère de l’Agriculture dans le cadre de l’élaboration de cette politique, ce qui ajoute à l’intérêt du regard que l’auteur porte sur les transformations en cours dans l’agriculture québécoise.
Si on déplore que les deux premiers essais s’achèvent à la fin des années 1990 et ne couvrent pas les années 2000, ce livre offre une analyse à la fois pertinente et accessible de l’agriculture québécoise et de ses liens avec l’État et la société. Il a aussi le mérite de brosser un portrait approfondi de l’UPA, une organisation certes très puissante, mais qui apparaît ici comme un groupe en perpétuelle réaction face à un environnement changeant et souvent perçu comme menaçant. Les auteurs révèlent également une UPA loin d’être monolithique, traversée par des tensions internes. La question de la cohésion des agriculteurs et du monopole de l’UPA revient d’ailleurs à plusieurs reprises dans l’ouvrage, mais demeure en suspens.