Dans leur dernier ouvrage, Renée Blanchet et Georges Aubin proposent une sélection de 150 lettres parmi les 500 qu’ils ont collectées au gré de leurs recherches dans divers fonds d’archives. Comme l’indique le titre de l’ouvrage, ces lettres, rescapées comme par miracle de l’oubli auquel elles étaient destinées, sont rassemblées suivant deux grandes données : écrites par des femmes du Bas-Canada, elles ont le XIXe siècle pour contexte. L’intention de cette édition, fort louable, s’inscrit dans la lignée d’une histoire compréhensive, qui souhaite redonner une voix aux anonymes que l’histoire a oubliés depuis longtemps, tout en donnant à sentir un univers familier, les repères d’un quotidien à la fois lointain mais aussi parfois étrangement proche. Doublement muettes – parce que femmes et parce qu’individus et non personnalités – les femmes ici réunies retrouvent un peu de la voix qu’elles ont pu avoir dans l’intimité des lettres, adressées aux proches, à la famille, aux amis. Découpé en cinq grandes sections, l’ouvrage propose un classement thématique des lettres pour que le lecteur s’y retrouve mieux : la famille, les affaires, la politique, l’amour et l’amitié, l’éducation, les voyages. Les soucis du quotidien (un fils colérique, un mari parti au loin) y croisent donc les échos de la vie politique, le temps des loisirs (l’été on va se reposer à L’Islet) alterne avec celui des activités économiques et domestiques. Un index des auteures, ainsi que des noms et des lieux cités, accompagne des notices biographiques des épistolières. Nul doute que l’ouvrage ne présente un grand intérêt. On se replongera ainsi avec curiosité dans ces mots du quotidien, qui font la démonstration que les épistolières n’effectuent pas, par l’écriture, une activité subalterne ou simplement volée au temps des occupations domestiques. Bien au contraire, pour toutes ces femmes la rédaction d’une lettre est essentielle et parfaitement intégrée à la vie courante. Parfois elles réagissent aux urgences de l’actualité la plus brûlante, comme pendant les épisodes d’insurrections de 1837-1839. Pourtant, malgré le classement et surtout malgré l’intention des auteurs de redonner à palper ces documents, ces lettres ouvrent peut-être plus de questionnement qu’elles n’apportent véritablement un éclairage nouveau sur les femmes du XIXe siècle. Faute en est sans doute à une édition qui ne peut que retracer minimalement les différents parcours d’épistolières essentiellement anonymes : qui étaient-elles véritablement ? D’où parlent-elles, et à qui ? Une lettre ou deux ne nous en apprendront pas beaucoup à ce propos, même s’il est vrai qu’en la matière, c’est le portrait d’ensemble qui est intéressant, le choeur un peu discordant des multiples voix. Pourtant, on ne pourra pas se défaire, tout au long de l’ouvrage, de cet agacement : on ne sait pas exactement qui parle à qui, et on lit les lettres de parfaites inconnues dont on ne connaît à peu près rien des références, de l’univers familier, de la famille, des attachements, des intérêts, etc. – cela même si les éditeurs éclairent dans des notes minutieuses les filiations et certaines allusions. Le classement chronologique (on remonte tranquillement le XIXe siècle) et l’alternance des épistolières (on retrouve parfois la même à plusieurs lettres de distance) n’aident pas non plus à s’y retrouver. On ne peut donc que déplorer l’absence de tout métarécit historique explicatif, qui permettrait de resituer l’univers de ces anonymes et de redonner un sens utile (c’est-à-dire historique) à ces documents. La thèse de Julie Roy (Stratégies épistolaires et écriture(s) féminine(s), UQAM, 2003) a fait la démonstration que la lettre peut être un document historique de premier plan dans l’histoire du Canada, pour autant qu’on la replace dans …
Renée Blanchet et Georges Aubin, Lettres de femmes au XIXe siècle, Québec, Septentrion, 2009, 286 p.[Notice]
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Guillaume Pinson
Département des littératures,
Faculté des lettres,
Université Laval.
vice-doyen-rd@fl.ulaval.ca