Partons de la toute dernière phrase de l’ouvrage : « Entre nostalgie, malaise et attachement se loge le patrimoine matériel et immatériel du Québec, si riche en significations, à la fois soumis aux oeuvres de la mémoire et de l’oubli » (p. 400). Solange Lefebvre, qui a assuré la direction de cette entreprise éditoriale, conclut ainsi un ensemble de contributions auquel ont pris part près d’une trentaine d’auteurs. Suivant des modalités et des registres fort différents, et de façon explicite ou latente, les textes ont pour thème central la relation, sinon entre la « nostalgie » et la « mémoire », du moins entre l’affaiblissement des institutions religieuses traditionnelles et une volonté de conservation. Cette publication résulte d’un colloque organisé en novembre 2006 par la Chaire religion, culture et société (Université de Montréal) en collaboration avec la Fondation du patrimoine religieux du Québec (devenue, en 2007, le Conseil du patrimoine religieux). Sans doute la communauté juive de Montréal, de même qu’une paroisse de l’Église unie et l’Église orthodoxe trouvent-elles place dans l’ouvrage, à la différence notoire des nations autochtones, mais le processus de patrimonialisation y est pour l’essentiel rapporté aux effets de la perte d’emprise de l’Église catholique, dont les biens matériels et immatériels sont ainsi frappés de déshérence et donc d’une possible obsolescence du fait d’un mouvement de désaffiliation qui revêt tous les traits de l’irréversibilité. Dans son introduction, S. Lefebvre met d’emblée l’accent sur « l’extrême urgence que requiert la conservation du patrimoine religieux québécois » (p. 23), avant de souligner que c’est « aussi en tant que mémoire, support et médiation de l’expérience et de la foi religieuse » (p. 24) que ce patrimoine doit être abordé. Associer de la sorte « foi religieuse » et « patrimoine religieux », est-ce laisser entendre, dans une vision prospective et en dépit – ou en raison – de la désaffection qui frappe l’institution au sein de laquelle il s’est développé, que ce patrimoine est appelé à revivre, à continuer d’assumer une mission et à prodiguer du « sens » ? L’inscription de ce dernier terme dans le sous-titre de l’ouvrage soulève elle aussi une question : de quel(s) sens peut-il s’agir et qui serait légitimement en mesure de le(s) labelliser comme tel(s) ? Cette interrogation constitue une sorte de fil rouge dans l’esprit du lecteur, attentif à comprendre la cohérence d’ensemble d’un ouvrage qui associe des chercheurs (de diverses origines disciplinaires : histoire, théologie, sciences des religions, muséologie…) et des acteurs (eux-mêmes représentants de différentes sphères : religieuses, politiques, administratives…). Là résident l’intérêt et la difficulté de l’entreprise, difficulté de nature épistémologique et, sans doute aussi, déontologique dans la mesure où les visées analytiques et les démarches professionnelles paraissent, les unes et les autres, loin d’être univoques. Les auteurs pourraient s’accorder sans peine pour déceler dans leurs travaux pris globalement une démarche de recherche-action, mais il n’est pas assuré que le mot « action » recouvrirait chez chacun d’eux la même portée ou la même signification. Cela ne tient pas seulement à la pluralité de leur appartenance institutionnelle, mais aussi et surtout à celle des intentions et des finalités ainsi mobilisées, qui, par-delà l’établissement d’un bilan des connaissances et l’analyse du processus de patrimonialisation, aboutissent à la préconisation de solutions différentes en matière de protection, de transmission et de gestion. L’ouvrage est animé par deux thématiques principales à caractère transversal : la conception de la dimension culturelle du patrimoine religieux et les conditions de la transmission de ce patrimoine, entendu dans ses composantes à la fois matérielles et immatérielles et dans ses implications sociale, spirituelle, historique, esthétique et territoriale. …
Solange Lefebvre (dir.), Le patrimoine religieux du Québec. Éducation et transmission du sens, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2009, 416 p.[Notice]
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Jacques Palard
Université Montesquieu,
Bordeaux IV.
j.palard@sciencespobordeaux.fr