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La question de la diversité culturelle et religieuse connaît une recrudescence d’intérêt dans la foulée des débats sur l’immigration, le multiculturalisme, la laïcité au Québec, et sur les « accommodements raisonnables ». Or, cet ouvrage tente justement cerner les rapports entre l’État et la diversité culturelle et religieuse au Canada afin d’en déterminer les grandes tendances et, ultimement, de suggérer des pistes d’avenir. Devant l’ampleur de la tâche, il est entendu que le portrait brossé par les auteurs ne pouvait que prendre une forme préliminaire. Néanmoins, cette publication constitue une tentative de synthèse qui rend bien compte de la complexité des rapports entre l’État et la diversité culturelle et religieuse au Canada. D’emblée, il faut saluer l’apport multidisciplinaire de cet ouvrage (histoire, droit, philosophie, sciences religieuses) qui enrichit considérablement l’ensemble de l’analyse, alors que ce type de travail est souvent cloisonné à une seule discipline. Cependant, la décision d’incorporer des textes sur la France, l’Italie et l’Angleterre, qui constituent tout de même le tiers de l’ouvrage, semble discutable. D’autant plus que, les textes étant indépendants les uns des autres, la partie « perspectives européennes » peut apparaître distanciée de la question de départ.
Dans l’ensemble, plusieurs constatations peuvent être dégagées de la lecture de cette étude. Bien que le titre du livre fasse allusion à l’État canadien, les auteurs montrent bien que la gestion du pluralisme culturel et religieux dépasse largement son cadre institutionnel. Les textes nous éclairent sur le rôle que joue l’État en tant qu’institution et par le truchement de ses politiques, mais ils rappellent aussi que la diversité culturelle et religieuse relève d’une pluralité d’acteurs, de groupes, d’organismes et de pratiques sociales qui s’expriment à différents paliers, notamment au niveau des communautés locales et de l’initiative privée. Le texte de Yolande Cohen, « Les services de la Traveller’s Aid pour l’accueil des immigrants : identités de genre et de religion au Québec au XXe siècle », est révélateur à cet égard.
Un autre élément, qui mérite d’être souligné est la relation de réciprocité entre les gouvernants et leurs représentants, chargés de la gestion de la société civile, d’un côté, et, de l’autre, certains des gouvernés qui sont à la recherche d’un espace politique et social, reconnu par l’État, pour exprimer leur différence. Les textes nous éclairent sur un fait souvent oublié, mais qui est pourtant une évidence : que la gestion de la diversité culturelle et religieuse est une recherche d’équilibre, où chacun des protagonistes tente d’apprivoiser son interlocuteur pour atteindre un modus vivendi acceptable pour tous.
Le texte de Jean-Philippe Garneau, « Gérer la différence dans le Québec britannique : l’exemple de la langue (1760-1840) », est particulièrement intéressant puisqu’il montre que les Canadiens ont dû faire l’apprentissage d’une nouvelle culture politique et juridique, celle de l’occupant britannique, ce qui constituait un accommodement en soi. Raphaël Mathieu Legault-Laberge, dans son texte, « Présence et influence anabaptiste au Canada avant la Première Guerre mondiale », lève le voile sur les impératifs qui conduisent un État à faire des concessions à un groupe religieux. Ainsi, la nécessité de peupler les Prairies a amené le gouvernement fédéral à accorder aux anabaptistes l’exemption du service militaire et le droit à une éducation privée selon leurs préceptes religieux.
Enfin, une dernière constatation : au-delà du discours d’intention professé par l’État, il existe un véritable fossé en ce qui a trait au résultat final de ses politiques, en raison du pragmatisme des classes dirigeantes, de leur vision de l’intérêt national et des contraintes internes et externes notamment financières et économiques. Le texte de Claude Gélinas, « L’État canadien et la répression des pratiques religieuses autochtones, 1884-1932 », offre une perspective intéressante à ce titre. D’après lui, les déclarations de principe de la politique sur les Indiens auraient eu des effets mitigés puisque le gouvernement fédéral cherchait en priorité à assurer le développement économique de l’Ouest canadien et n’était pas prêt à engager les ressources financières nécessaires pour réaliser ses visées assimilatrices vis-à-vis des autochtones. Les membres des Premières Nations auraient profité dans ces circonstances d’une certaine liberté pour conserver leurs croyances traditionnelles et pratiquer leurs rites et leurs cérémonies religieuses.
La principale faiblesse de cet ouvrage reste l’absence de référence à un débat historiographique, mis à part le texte de Yolande Cohen. Ainsi, il est difficile de savoir dans quel débat d’idées s’inscrivent ces textes et quelles perspectives, approches ou interprétations historiographiques sont privilégiées. L’introduction est plutôt rudimentaire et ne pose guère l’état de la question ni ne fournit une recension des écrits. Néanmoins, l’intention de ce collectif demeure fort louable. En tentant d’aborder les rapports entre l’État et la diversité culturelle et religieuse au Canada, il jette les balises d’une réflexion visant à mieux comprendre les enjeux sociaux actuels en jetant un regard novateur sur un passé riche en enseignements pour les Canadiens.