Comptes rendus

Reinhold Kramer, Mordecai Richler. Leaving St.-Urbain, Montréal, McGill-Queen’s University Press, 2007, 498 p.[Notice]

  • Pierre Anctil

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Mordecai Richler ne compte pas parmi les auteurs les plus appréciés au Québec, à tort d’ailleurs. Les déclarations intempestives de l’auteur au plus fort de certains débats politiques et ses pamphlets incendiaires contre les lois linguistiques ont en effet refroidi beaucoup de lecteurs francophones, qui par la suite ont jugé que ses romans ne méritaient pas le détour. Tandis que Richler soulevait vagues et tempêtes au Canada anglais et que la moindre de ses sautes d’humeur défrayait la chronique, l’univers littéraire québécois, dont il était pour plusieurs raisons, a fini par l’ignorer presque complètement. Sauf ses tout premiers, ses romans ont été traduits pour la plupart en France (par des gens qui n’y connaissaient rien) et il faut aujourd’hui faire un réel effort pour se remémorer un seul événement culturel auquel l’écrivain ait participé de plein gré dans la sphère montréalaise de langue française. Non seulement Richler n’a pas été compris des francophones du Québec, il n’a même pas été entendu. Il est vrai que Richler boudait systématiquement les rencontres avec le public et que sa personnalité revêche a glacé plus d’un auditoire. Reste que le sort qui lui a été réservé est à plus d’un titre injuste compte tenu de l’exceptionnelle originalité de son écriture et de la force d’évocation de ses romans, presque tous parfaitement montréalais. Simplement, les Québécois n’avaient pas les clés pour entrer dans l’oeuvre. D’autant plus que l’auteur qui, il est vrai, aurait pu les aider un peu par un effort de communication efficace, s’est bien gardé de leur rendre à ce titre la vie plus facile. Non seulement Richler a-t-il écrit dans la langue de Shakespeare, ce qui aurait dû s’imposer comme une évidence si son public avait mieux connu ses origines juives est-européennes et le contexte montréalais dans lequel cette migration s’est effectuée, mais en plus il a fait entrer dans ses romans toute une galerie de personnages totalement atypiques au Canada français, parlant yiddish, connaissant les saintes Écritures sur le bout des doigts et luttant pour se faire accepter des élites culturelles du pays, lire anglophones. L’auteur lui-même était le pur produit d’un univers montréalais ni anglophone ni francophone, qui cultivait les valeurs du shtetl, vivait au diapason d’une indestructible solidarité familiale et tenait à s’entourer d’un cadre de référence ashkénaze venu du fond de la Russie impériale. Le grand-père maternel de Richler, le rabbin Yudel Rosenberg, arrivé à Montréal en 1918, était un Juif issu de la tradition hassidique la plus stricte et on lui doit un grand nombre d’ouvrages rédigés à la fois en yiddish et en hébreu, où il défend une pratique orthodoxe du judaïsme. Parmi ces tomes peu fréquentés par les francophones se trouvaient aussi des oeuvres de fiction dont la renommée est très grande dans certains milieux juifs, dont un récit récemment traduit en anglais par les Presses de l’Université Yale sous le titre : The Golem and the Wonderous Deeds of the Maharal of Prague (2007). De son côté paternel, Richler comptait plusieurs oncles et tantes qui n’ont pas nécessairement mérité la célébrité au sein de leur communauté, mais qui ont géré des établissements d’affaires dans le quartier du boulevard Saint-Laurent et qui ont soutenu synagogues, écoles yiddish et diverses organisations culturelles juives. Quand le jeune Richler a commencé sa vie adulte, il s’est retrouvé coincé comme bien des Juifs de sa génération entre les aspirations de la génération au-dessus de lui, qui s’était repliée sur l’intimité du « ghetto » juif sis sur le Plateau du Mont-Royal, et son propre désir de voir le vaste monde qui s’étendait généreusement au-delà. Suivirent toute une gamme …