Comptes rendus

Benoît Lacroix, La mer récompense le fleuve. Parcours de Benoît Lacroix. Conversations avec Simone Saumur-Lambert et Pierrot Lambert, Montréal, Éditions Fides, 2009, 311 p.[Notice]

  • Alfred Dumais

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Parmi les intellectuels qui ont marqué la culture québécoise ces dernières décennies, le père Lacroix occupe une place privilégiée. C’est une figure largement connue du public : il a écrit plusieurs ouvrages, il est un habitué des médias, on a même fait un film sur lui. Ici, le livre présente des entretiens, enregistrés de février 2006 au printemps 2008. Le père Lacroix avait alors 93 ans. Il s’est laissé aller, disent les auteurs, à des confidences sur le parcours qu’a pris sa vie. La question qu’ils voulaient lui poser était la suivante : « D’où vous vient ce langage différent que vous employez pour exprimer les choses de la religion ? » (p. 7). Cette « interrogation sur la source de son langage nous a menés tout droit à son parcours personnel » (p. 7). Le texte, essentiellement fait de questions et de réponses, permet au père Lacroix de retracer l’histoire de sa vie. Les chapitres suivent une certaine chronologie, mais contiennent aussi de nombreuses réflexions sur les événements qu’il a vécus. C’est une nouvelle façon d’écrire ses mémoires dans le style spontané et vivant de la conversation, où l’on découvre la valeur de l’autobiographie, un exercice tout désigné, disait le philosophe Dilthey, pour celui qui veut comprendre le sens de sa vie. C’est d’abord un récit qui couvre l’ensemble de l’oeuvre du père Lacroix. Dumont en a parlé ainsi : « Il est passé maître dans l’art de concilier de manière absolument remarquable sa contribution à la culture savante et son affinité avec les gens des milieux populaires. Cette présence aux deux extrémités de la culture est tout à fait exceptionnelle » (p. 249). D’une part, il a maintenu des liens très forts avec son milieu d’origine, le village natal de Saint-Michel de Bellechasse. « À un certain moment, dit-il, on retrouve ses racines… Sans elles, je me serais perdu… des images me reviennent. L’image du fleuve. L’image du train qui va quelque part » (p. 283). Et, en même temps, d’instinct, il souhaite « aller ailleurs » (p. 39). Il entre en communauté chez les Pères Dominicains, va en études médiévales à Toronto, puis fait des séjours à l’étranger, notamment au Japon, au Rwanda, en France. C’est au cours de ces années qu’il prend contact et souvent devient ami avec plusieurs intellectuels et artistes. La liste est impressionnante. Il les présente presque sous forme de portrait. On retrouve, entre autres, Étienne Gilson, Jacques Maritain, l’abbé Pierre dont il dit : « … à cause de son franc-parler il réussira à éviter la canonisation » (p. 160), Pierre Elliott Trudeau, au chevet duquel il a été appelé au moment de sa mort (p. 219), monseigneur Félix-Antoine Savard, le père Georges-Henri Lévesque, Luc Lacoursière, Fernand Dumont, Gilles Vigneault. Mais son intérêt pour la culture populaire ne diminue pas pour autant. Professeur à l’Université de Montréal, il fonde un Centre d’études des religions populaires. Il veut « rappeler, souligne-t-il, l’identité du Québec ‘ religieux ’ qui est d’abord un fait historique » (p. 264) et, en particulier, faire connaître les pratiques de piété populaires, comme les processions ou les neuvaines (p. 267), que les fondateurs de la Nouvelle-France nous ont transmises. Sauf que son projet n’a pas eu le succès espéré. « … cette aventure, conclut-il, fut généralement boudée pour ne pas dire oubliée par nos ‘ grands historiens ’, qui en même temps rejetaient Groulx et tout ce qui était catholique » (p. 268). À la lecture de ce livre, on apprend aussi beaucoup sur la société québécoise. Né en 1915, le père Lacroix a vu cette société se transformer …