Après que les chercheurs eurent arraché à leur socle les monuments qu’avaient été, pour les générations antérieures, Dollard, l’abbé Groulx et tant d’autres, voici que Mathieu d’Avignon, dans cet ouvrage issu de sa thèse de doctorat, remonte à la source et s’emploie à déconstruire le mythe du premier « Canadien », du « père » par excellence de la nation canadienne-française et (ou) québécoise, soit Samuel de Champlain. Le mythe du fondateur de Québec est ancien, explique l’auteur, son premier propagandiste ayant été nul autre que Champlain lui-même qui, au fil des rééditions de ses récits de voyages et d’explorations, aurait graduellement et délibérément fait le vide autour de lui, repoussé ses collaborateurs et ses patrons à la marge, pour se présenter comme le seul et unique fondateur de Québec, le personnage le plus influent de cette époque pionnière. Parmi les victimes de ce révisionnisme autobiographique et historique, notons la présence de Pierre Du Gua de Monts, de François Gravé du Pont et, surtout, de la population amérindienne, dont Champlain aurait occulté le rôle incontestable et déterminant dans les événements qui ont permis la fondation de la Nouvelle-France. La très grande majorité des chroniqueurs, commentateurs et historiens des années et des siècles suivants auraient repris, à quelques exceptions près, l’essentiel du récit de Champlain, du moins jusqu’au mitan du XXe siècle lorsque des historiens plus soucieux d’objectivité et d’exactitude ambitionnèrent de ramener le personnage à des proportions moins héroïques et nettement plus humaines. L’ouvrage compte cinq chapitres de longueur extrêmement variable (entre 25 et 200 pages chacun) et tâche de faire le tour de tout ce qui a été écrit d’important sur Champlain, son oeuvre et ses réalisations. Le premier aborde l’oeuvre écrite de Champlain, en particulier Des sauvages, publié d’abord en 1603 et réédité trois fois en 1613, 1619 et 1632. Le propos de Champlain évolue considérablement d’une édition à l’autre, de sorte qu’en 1632, l’apport de ses camarades est réduit à peu de chose, en même temps que l’alliance franco-montagnaise de 1603, qui rendit possible la fondation de Québec cinq ans plus tard, est passée sous silence. De même, dans le contexte des tensions religieuses grandissantes dans la métropole, Champlain s’applique, dans l’édition de 1632, à souligner le caractère catholique de l’entreprise coloniale alors que, quelques années plus tôt, il ne s’agissait, tout au plus, que d’un projet « chrétien », auquel les protestants avaient également été conviés. Le mythe de la mission providentielle, on le voit, était sur le point d’émerger. Champlain aurait donc produit un « récit exclusif » des origines, et ce, au mépris de la vérité historique. Les raisons l’ayant poussé à agir de la sorte ne font aucun doute dans l’esprit de l’auteur. L’explorateur cherchait d’abord et avant tout à « mettre de l’avant sa contribution personnelle » à l’entreprise coloniale et missionnaire et à « figer à son meilleur son personnage pour la postérité » (p. 161). Dans l’immédiat (et plus prosaïquement), il tentait également de convaincre les autorités métropolitaines, en 1632, qu’il était le candidat tout désigné pour « reprendre en charge la colonie ». Dans les deux chapitres suivants, l’auteur procède à une analyse minutieuse d’un corpus fort impressionnant de textes, d’ouvrages, de poèmes, d’articles, qui, dans leur ensemble, présentent Champlain à leur tour comme le fondateur unique et incontesté de Québec et de la Nouvelle-France. Dans un premier temps, D’Avignon étudie, entre autres, des textes poétiques rédigés du vivant de Champlain, les écrits de Marc Lescarbot et de Gabriel Sagard, les Relations des Jésuites, etc., pour passer, dans un deuxième temps, au repérage des références à …
Mathieu D’Avignon, Champlain et les fondateurs oubliés. Les figures du père et le mythe de la fondation, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2008, 542 p.[Notice]
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Michel Bock
Département d’histoire,
Université d’Ottawa.
mbock@uottawa.ca