Chercherions-nous à recenser cet ouvrage comme s’il s’adressait à un public spécialisé de chercheurs universitaires que nous ne pourrions que faire le catalogue de nos déceptions. Peu rigoureux dans son travail de mise en situation historique, imprécis dans ses usages conceptuels et dans ses référents théoriques (la gauche, l’internationalisme, l’impérialisme sont des fourre-tout, et l’idée même de solidarité internationale est galvaudée jusqu’à en perdre toute cohérence), allusif et exagérément familier dans son écriture, éditorialisant comme par défi, construit telle une réponse un peu effrontée à un interlocuteur qui porterait un discours irréfléchi d’un sens commun d’ahuri, Qui aide qui ? n’a rien des bons essais universitaires dont le souffle ne vient pas de leur légèreté ni de leur pugnacité, mais de la force des idées qu’ils travaillent. Saisissons-nous plutôt de cet ouvrage comme s’il avait été écrit pour un public moins spécialisé de cégépiens ou de lecteurs d’une version populaire du Monde diplomatique. Peut-être Pierre Beaudet avait-il même en tête ces jeunes de 7 à 77 ans qu’il interpelle un peu cavalièrement à la fin de son prologue ? Qu’apprendront ces lecteurs de Qui aide qui ? Du dit prologue, que « l’idée d’une grande solidarité internationale » serait née d’un moment où la société québécoise dans son ensemble commençait « à se sortir du trou où l’a[vait] enfoncée la ‘grande noirceur’ ». Du premier chapitre, que l’idée « qu’il faille offrir son aide au-delà de nos proches, de nos communautés, de notre peuple » remonterait à « l’arrivée de nos ancêtres sur ce territoire », qu’elle se serait exprimée notamment dans l’action « des premiers missionnaires canadiens-français en Inde, au Chili et dans bien d’autres pays… », et dans celle des brigades internationales du temps de la guerre civile en Espagne (où « … les conditions sur le terrain sont très dures, car l’armée du général Franco frappe très durement. »). Du chapitre 2, qu’il y a eu Keynes, Bandoeng et Kennedy, l’ONU et la guerre du Vietnam, et que Paul Gérin-Lajoie, ministre vedette du gouvernement libéral provincial de son temps, a défini le Québec comme un État dans le monde en 1965, et qu’il présida par la suite l’Agence canadienne de développement international (ACDI) créée par le gouvernement de Pierre Elliot Trudeau. C’était – le titre du chapitre le dit - « L’Ère des développeurs ». Une autre « … cause célèbre qui deviendra très importante au Québec dans les années 1970 [est] celle de la Palestine ». Du chapitre suivant « Basculements et affrontements », les jeunes apprendront, commode synchronicité, que le monde est entré dans une nouvelle phase au début des années 1980. La guerre froide s’est réchauffée, le consensus de Washington a défini la conditionnalité néolibérale, le mur est tombé à Berlin, il y a eu la Bosnie, la « défaite du régime de Saddam », des coupes et des coupures, la fin de l’apartheid, quelque chose qui s’appelait l’Accord de libre échange nord-américain à laquelle s’est opposée une autre chose appelée la société civile. Pour l’occasion, elle se donne un nom : le Réseau québécois sur l’intégration continentale (RQIC). Du chapitre 4, on apprendra qu’entre mondialisation et altermondialisation, il y a eu l’initiative du Millénaire, l’instrumentalisation et la militarisation des politiques d’aide, la Zone de libre-échange des Amériques (ZLÉA), la marche des femmes, Gênes, Québec, Haïti, Porto Alegre et tutti quanti. Comment conclure autrement cette litanie irraisonnée, qui fait se côtoyer tout et son contraire, que par un « En guise de conclusion » à la fois sombre et optimiste : « Tout… », écrit Beaudet, « … est encore possible… ». …
Pierre Beaudet, Qui aide qui ? Une brève histoire de la solidarité internationale au Québec, Montréal, Boréal, 2009, 202 p.[Notice]
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André C. Drainville
Département de sociologie,
Université Laval.
andre.drainville@soc.ulaval.ca