Cet ouvrage prend place dans une collection principalement dédiée à une approche pluridisciplinaire des questions liées à la santé et aux systèmes de santé. Ce cadrage éditorial est ici largement débordé puisque les mots-clés qui structurent la majorité des 24 contributions – dont les 38 auteurs sont aux trois quarts québécois – sont ceux d’exclusion, d’intégration et de justice sociale. L’intitulé du colloque dont est issue une première version de ces textes appelait d’ailleurs à une telle mise en perspective : Responsabilité, justice et exclusion sociale. Quel système de santé pour quelles finalités ? L’intérêt du lecteur est d’emblée attiré par le parti pris des inspirateurs de cette entreprise en faveur d’une démarche inductive, considérée comme la plus apte à construire, au travers de l’affichage des positions et du mouvement des échanges, une sorte de fonds conceptuel commun. Ainsi déchargés de prêt-à-penser, les auteurs ont de fait élaboré leur système interprétatif sur la base de leur propre analyse. On se trouve ainsi face à une oeuvre collective, dotée en filigrane d’une visée épistémologique, qui interroge et réinterroge de façon opportune les outils de la recherche. Cet objectif nourrit de façon explicite la première partie : « Dire l’exclusion. Des ‘vulnérabilités’ aux rapports sociaux », puisque la ligne directrice en est commandée par la prise en compte délibérée des processus qui conduisent à l’exclusion, ainsi comprise non comme une simple situation d’inégalités factuelles, mais comme la résultante d’interactions sociales. Christopher McAll estime ainsi que se limiter aux symptômes sans discerner les causes, c’est prendre le risque d’imputer à l’individu la responsabilité de sa propre situation d’exclu ou de marginal. Yolande Pelchat et Annick Thomassin ajoutent que l’action publique dépend elle-même d’une telle approche étiologique : d’abord, parce que la lutte contre l’exclusion sociale (re)devient dès lors une lutte entre groupes sociaux ; ensuite, parce que cela conditionne la mise en oeuvre de réponses qui ne soient pas susceptibles de constituer elles-mêmes un nouveau vecteur de maintien, voire de reproduction de rapports de subordination. En contrepoint, pour Stéphane Vibert, la cohésion prend la figure d’un théâtre d’affrontements normatifs et de compromis sociaux. Par-delà la division de l’ouvrage en six parties (« Espaces de discussion et exclusions du politique », « L’accès aux soins comme vecteur de justice sociale », « Logiques institutionnelles et parcours individuels »...), une question parcourt une large partie des contributions : quelles sont les conditions et les formes de l’action politique qui cherche à pallier les situations d’exclusion et à construire un « vivre ensemble » ? Le chapitre final situe clairement l’enjeu de cette question : Gilles Bibeau souligne l’écart qui s’instaure entre discours et pratiques et note que la réaffirmation du mythe de la croissance de l’égalité est contredite par l’accroissement des inégalités entre groupes sociaux. Relevant l’importance croissante de cinq sources d’inégalités – en rapport avec le milieu familial, le milieu scolaire, le sexe, l’âge et le travail –, il met l’accent sur l’inaptitude structurelle de l’État social à répondre au défi de la désolidarisation des citoyens par la construction d’une « société juste ». On retrouve ici, analogiquement, l’accent principal de l’étude de Steve Paquet sur les familles d’accueil qui hébergent des personnes souffrant de troubles mentaux graves : il s’établit un rapport dialectique, une mise à distance, entre le « centre » et la « marge ». Au plan plus large des politiques publiques, c’est en passant par la déconstruction des univers logiques et structurels que Monique Carrière et ses collègues envisagent, ainsi que l’exprime le titre de leur contribution, de « comprendre le fossé qui sépare le discours des actions autour de …
Éric Gagnon, Yolande Pelchat et Roberson Édouard (dirs), Politiques d’intégration, rapports d’exclusion. Action publique et justice sociale, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2008, 387 p. (Sociétés, culture et santé.)[Notice]
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Jacques Palard
Institut d’études politiques,
Université Montesquieu – Bordeaux IV.
j.palard@sciencespobordeaux.fr