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Il est toujours ambitieux de vouloir tracer le portrait global d’une société, surtout quand elle est conçue – et qu’elle se conçoit elle-même – comme changeant à un rythme rapide. Il faut donc se féliciter de ce que M.-C. Weidmann Koop ait organisé en mars 2007 un colloque visant à « faire le point sur les changements qu’a connus le Québec depuis 1960 » (p. VIII). Le lieu de cette rencontre, une université du nord du Texas, est propice à un décentrement et la présence de nombreux auteurs provenant du Canada anglais, des États-Unis et d’ailleurs donne à ce livre bilingue l’allure d’une réflexion sortant de l’égocentrisme national.
L’éventail est large. Les 48 auteurs participant à ce recueil de 45 textes abordent la politique et l’idéologie ainsi que les questions de la langue, des « groupes sociaux », de la littérature et de la production culturelle. Mais ce vaste champ n’est pas couvert de façon égale. La culture, surtout littéraire, domine nettement. D’autres dimensions sont peu traitées (le cinéma ou la chanson, par exemple) ou pas du tout (musique, architecture, danse). On ne saurait donc attendre de ce livre qu’il trace un portrait exhaustif de la culture du Québec. De même, si la religion et la question nationale sont évidemment considérées, les autres facettes des enjeux politiques et idéologiques québécois ne reçoivent guère d’attention. Sur le plan sociologique, on ne parle pas d’économie, de classes sociales, d’inégalités régionales, etc. Les seuls « groupes sociaux » explicitement considérés sont les femmes et les groupes ethniques minoritaires. On aurait mauvaise grâce à le reprocher à l’organisatrice de l’ouvrage car, étant le fruit d’un colloque, il ne peut que refléter les communications qui y furent présentées, le produit n’ayant que peu à voir avec un recueil systématique.
Peut-il tout de même aider à comprendre comment la culture québécoise – à défaut du Québec lui-même – a changé ? Tous les auteurs n’ayant pas accordé la même importance à la compréhension de la tradition ni de la modernité, la réponse sera forcément difficile. De façon générale, les textes insistent sur l’ouverture du Québec à la diversité et à la complexité. Cela vaut sur le plan des relations ethniques, mais aussi sur celui de l’acceptation de « paroles autres », celles des femmes, par exemple. L’hétérogénéisation serait sans doute le maître-mot à utiliser pour désigner cette coupure que représentent les années soixante ; la Révolution tranquille ne se réduit pas à un ensemble de transformations institutionnelles et à la montée de l’affirmation nationale, mais elle doit aussi être abordée comme une cassure par rapport à un passé marqué par la simplicité et l’univocité. De cette complexité croissante et bienvenue (aucun auteur ne la déplore), Montréal est à la fois le symbole et le lieu d’émergence. Ville polyglotte faite d’échanges et de métissages, elle est là où ça se passe. J’imagine qu’elle entraîne à sa suite le reste du Québec, mais ce n’est pas sûr, tellement ce « reste » demeure un simple sous-entendu. Libre ensuite de se demander à quoi pouvait bien ressembler cette tradition que le Québec a maintenant quittée (mais l’a-t-il vraiment fait ?). Je soupçonne qu’il s’agit essentiellement d’un repoussoir, de quelque chose dont on cherche à s’éloigner et qui n’est défini que par la négative. La théorie de la modernisation, dans laquelle ce recueil s’ancre sans le dire explicitement, l’a-t-elle jamais vue autrement ?