Comptes rendus

Éric Bédard, Les Réformistes. Une génération canadienne-française au milieu du XIXe siècle, Montréal, Boréal, 2009, 412 p.[Notice]

  • Yvan Lamonde

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Estimant que le libéralisme radical, émancipatoire et anticlérical, avait eu avant 1867 une vitalité méconnue, mais que cette trame ne pouvait être généralisée ni à l’histoire du Québec ni à celle de tout le XIXe siècle, j’en avais appelé il y a une dizaine d’années à une étude en profondeur du libéralisme modéré, réformiste qui, sur le XIXe siècle et dans l’histoire du Canada français, avait été le courant politique dominant. Dans ce contexte de non-« célébration » du libéralisme plus radical et sans conclure à « une victoire éclatante et définitive de la liberté contre les forces de la réaction », j’ai lu l’étude d’Éric Bédard avec une impression égale d’intérêt et de déception. La question critique pour le lecteur sera celle de savoir ce qu’il apprendra vraiment de cette étude dont l’écriture importe quasi tout autant que l’analyse. L’auteur nous avait sensibilisés ici même (Recherches sociographiques, 2005, p. 453-471) à « la difficulté à penser le conservatisme canadien-français », texte qui nommait superbement l’approche historique de Bédard. Il importe de s’y attarder, car toute l’analyse est marquée au coin par la « méthode » de l’auteur que je résumerais ainsi : prétendez vous placer en surplomb de l’historiographie ; polarisez les analyses de vos prédécesseurs qui ont un peu bêtement fait une lecture téléologique et hypermoderniste du passé ; importez de vos lectures contemporaines quelques concepts de Marcel Gauchet sur le religieux ou de Jürgen Habermas sur la délibération civique ; épinglez des problématiques de travaux historiques québécois contemporains qui ont suscité un débat et qui vont vous permettre de vous y inscrire; écrivez au « je » en répétant votre « posture épistémologique » ; lisez des textes d’époque et rédigez, sans vous priver de mots tels que « fantasme d’unité et de concorde » (p. 322) ou « forme séculaire d’espérance » (p. 254). On a beau admirer chez l’auteur une forme nouvelle et heureuse de présence historienne à l’actualité civique et médiatique, il n’en demeure pas moins un malaise à la lecture de cette analyse historique. Le portrait de groupe de ces réformistes comprend surtout La Fontaine, Parent, Cauchon, Chauveau, puis Cartier, Morin, Gérin-Lajoie, Langevin, Barthe, Garneau et Wolfred Nelson. Ces « Réformistes » ont des « principes communs d’action » : ils ont demandé le rappel de l’Union sauf La Fontaine, ils sont au pouvoir, ils sont favorables au gouvernement responsable mais opposés à l’annexion. Le portrait est tout à fait valable et l’analyse suggère, par exemple, qu’une étude systématique de la Revue canadienne de Letourneux ou une biographie intellectuelle de Cauchon du Journal de Québec ajouterait à la compréhension de ce réformisme. Car La Fontaine a, tout compte fait, laissé peu d’écrits, à telle enseigne que Bédard, qui n’explique pas ce qu’a pu être la radicalité politique de La Fontaine et de Morin après 1830, répétant la vulgate à ce sujet, affirme ne pas pouvoir comprendre le revirement de La Fontaine en novembre 1837, pas plus qu’il n’est parvenu à connaître les réactions de celui-ci au Rapport de Durham. Ça fait passablement d’inconnu sur des questions essentielles. On s’étonne aussi du fait que l’analyse du discours ET des pratiques de ces hommes au pouvoir ne fasse pas une part plus importante à leur activité parlementaire et ministérielle, ne distingue pas suffisamment celle-ci de l’ensemble des « discours ». Le plus grand paradoxe porté par cette étude réside dans le fait qu’on définit les réformistes comme des hommes « au pouvoir » alors que le nerf même, la dynamique même du pouvoir sont symptomatiquement absents de l’analyse. Était-ce le prix …