Comptes rendus

Serge Cantin et Marjolaine Deschênes (dirs), Nos vérités sont-elles pertinentes ? L’oeuvre de Fernand Dumont en perspective, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2009, 382 p.[Notice]

  • Nicole Gagnon

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Pour souligner le dixième anniversaire de la mort de Fernand Dumont, Serge Cantin convoquait une panoplie d’intellectuels de divers horizons, y compris quelques Européens, à la relecture de l’oeuvre – sous la formule (reprise d’un de ses articles) « Nos vérités sont-elles pertinentes pour l’ensemble des hommes ? » – dans le cadre d’un colloque de l’ACFAS au printemps 2007. Les trente contributions retenues pour la publication ont été regroupées en huit thèmes : épistémologie, culture, pédagogie, éthique et politique, société québécoise, poésie, pensée chrétienne. Les auteurs sont philosophes, sociologues, historiens, littéraires, théologiens ; ils sont d’anciens étudiants et compagnons de route ou des familiers de la seule oeuvre, des commentateurs chevronnés ou de tout frais lecteurs. Ils traitent tous de Fernand Dumont, rarement en mauvaise part, pas inévitablement de pertinence. Et ils ont différentes façons d’aborder l’oeuvre : exégèse ou résumé commenté, prolongement d’une problématique, essai de situation dans l’univers de la pensée, application d’une grille de lecture. Pierrre Lucier, par exemple, montre « comment a évolué la pensée de Fernand Dumont au sujet des rapports entre savoir et foi » et il y distingue quatre temps forts. Claude Javeau introduit une « culture troisième » pour la postmodernité. Jean-Jacques Simard fait valoir comment « c’est sur l’arrière-plan d’une ombre immense qu’il prend son relief : celle de Marx », et de quelle façon il « repasse sur des terrains déjà patrouillés par Mead ». Micheline Cambron traite de Dumont « liseur, lu, lisant, lecteur ». Tout ceci est d’« une extrême richesse », comme dit le cliché, globalement pertinent et de bon calibre. Comme il ne peut être question de résumer ces trente contributions, je vais m’en tenir à quelques questions de vérité, dans la pratique où je me sens le plus à l’aise : la contradiction. C’est qu’il y a sur le lot diverses fausses lectures, qu’il m’importe de rectifier. La plus grosse se trouve chez Letocha/J.-C. Simard, qui entendent « cartographier l’influence de l’épistémologie bachelardienne » sur celle de Dumont. Ils y trouvent une rupture et des obstacles épistémologiques, ainsi que des rationalités régionales, alors que Dumont dit explicitement le contraire. Rupture avec le sens commun ? Dumont convenait pratiquer une épistémologie de l’anti-rupture, au sens où il ne s’agissait pas d’abolir la distance mais de la surmonter. Obstacle épistémologique « lié au clivage entre culture première et seconde » ? C’est justement ce que Dumont reconnaît lui avoir permis de penser. « Ses oeuvres se distribuent dans des champs précis  » et « toute totalisation interne nierait en effet la spécificité des champs disciplinaires » ? « une sociologie de l’intellectuel, une sociologie de la culture ou une anthropologie nouvelle cachant subtilement son ambition ? il se peut que ce soit tout cela », écrivait l’auteur de L’anthropologie en l’absence de l’homme. À quoi renchérit Yves Laberge, rapportant que dans son dernier séminaire de doctorat, Dumont encourageait ses étudiants à « concentrer nos recherches sur des objets [...] mais non sur des disciplines ». La pensée de Bachelard « ne fait pas de disciples », écrivait encore Dumont. Ce qu’il en a retenu, c’est d’abord une « mise en garde contre la pensée toute faite », et l’idée que « la poursuite de la connaissance invite à la liberté et à la responsabilité ». À quoi j’ajouterais une conception de l’épistémologie comme « réflexion sur la science qui se fait » – selon la définition qu’il nous en donnait au tournant des années soixante – plutôt qu’une théorie générale de la connaissance qui en expliciterait l’essence ou en dicterait les normes. Je me …