À lire l’excellente étude de Julie Gaudreault, on constate que ceux qui écrivent aujourd’hui l’histoire des idées ou de l’art au Québec n’ont plus besoin de chercher à tout prix, dans leur passé, des figures de héros solitaires, comme Paul-Émile Borduas, affrontant envers et contre tous le mur de l’Ancien Régime. La doctorante de l’Université Laval le montre bien : certes, il ne faut pas nier le retentissement et la force du texte du peintre, qui paya chèrement le prix de son geste, mais il est tout aussi nécessaire de se rappeler que « Refus global » ne prend tout son sens que lorsqu’il est réintégré dans Refus global, une oeuvre collective, pluridisciplinaire, intergénérique. Cela va de soi ? Selon Julie Gaudreault, qui a entre autres étudié les lectures de Robert Élie, Pierre Vadeboncoeur, Fernande Saint-Martin, Marcel Fournier, Jean Fisette et François-Marc Gagnon, on a plutôt eu tendance à l’oublier. Si on a oblitéré le « nous » automatiste, le caractère collectif de l’entreprise, on a pourtant invoqué, au fil des lectures successives de Refus global, la communauté québécoise, spirituelle comme nationale. Une série de « nous » a chassé le premier « nous », celui du groupe automatiste. Voilà, peut-être, un angle mort de notre compréhension de ce mouvement artistique. Outillée de concepts empruntés à Roland Barthes (à propos de la photographie), à Marc Angenot, Jeanne Demers et Line McMurray (à propos du manifeste), aux réflexions récentes sur les poétiques du recueil, Julie Gaudreault propose donc une « lecture recueillistique » de Refus global. En s’attachant autant à l’aspect matériel du recueil qu’au contenu de chacune de ses parties, elle cherche à montrer « l’intergénéricité » (textes polémiques, objets dramatiques, essais-diagnostics) qui y est à l’oeuvre. L’auteure révèle que la complémentarité relative des textes permet de répondre à une logique manifestaire (affirmer, expliquer et démontrer) qui se déploie dans tout le recueil. Notons aussi son intérêt soutenu pour les photos de Maurice Perron qui ornent le recueil. Elle montre ainsi qu’au-delà d’une volonté documentaire, certaines de ces photos – comme celles qui représentent l’objet dramatique « Bien-être » – sont le produit d’un véritable travail d’esthétisation, analogue à celui d’un metteur en scène. On trouvera des considérations semblables dans l’intéressante analyse de Gilles Lapointe consacrée à Danse dans la neige de Françoise Sullivan, reprise dans La comète automatiste (Fides, 2008). Dans cette dernière parution, le professeur de l’UQÀM reconnaît d’ailleurs l’originalité de la thèse de Julie Gaudreault. Même si cette dernière fait preuve de circonspection et croit que certaines parties de Refus global sont plus autonomes que d’autres, on se demande çà et là si l’unité du recueil n’est pas un peu forcée. Elle cite elle-même ces mots de Pierre Gauvreau qu’il faut méditer : « L’important, c’était le manifeste [le texte liminaire] ; il était majeur. On s’est dit qu’on en profiterait pour faire passer d’autres choses aussi » (p. 34). Certes, la mise en recueil donne un sens supplémentaire à des textes relativement autonomes, mais s’il faut être attentif à l’unité qui ressort de l’entreprise, il faut l’être aussi envers sa part de hasard, d’improvisation, d’indétermination. Ne pas en tenir compte comporte le danger de voir des liens forts là où ceux-ci sont plutôt distendus. De toute manière, porter attention au caractère « aléatoire » du recueil ne disqualifierait en rien le rappel important de Julie Gaudreault : Refus global est à la fois un « document pédagogique » et un « geste manifestaire » (p. 35). Malgré ces réserves ponctuelles, il faut savoir gré à Julie Gaudreault de s’être colletée avec plusieurs lectures …
Julie Gaudreault, Le recueil écartelé. Étude de Refus global, Québec, Éditions Nota Bene, 2007, 169 p.[Notice]
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Jonathan Livernois
Département de langue et littérature françaises, Université McGill.
jonathan.livernois@mail.mcgill.ca