Corps de l’article
L’ethnologue Marcel Bénéteau et le défunt linguiste Peter W. Halford proposent avec Mots choisis un lexique complet des attributs du français parlé le long de la rivière Détroit, qui sépare aujourd’hui la métropole du même nom au Michigan et Windsor en Ontario, du début du XVIIIe siècle jusqu’à nos jours. Ce livre a la particularité de regrouper uniquement des mots qui n’apparaissent ni dans le Larousse ni dans Le Petit Robert, présentant ainsi un total de 2 850 mots français qui furent ou qui sont toujours en usage dans cette région.
Le livre est divisé en quatre sections. D’abord, une introduction présente un survol de l’histoire de la présence française des deux côtés de la rivière Détroit. Deux groupes de francophones distincts se sont successivement installés dans cette région : les Muskat French et les Railroad French. Les premiers s’y sont établis entre 1701 et 1830, notamment dans le contexte de la traite des fourrures, alors que les seconds, bénéficiant de la construction d’un chemin de fer reliant Montréal et Windsor, sont arrivés dans le contexte de l’émigration canadienne-française qui caractérisa le Québec de la seconde moitié du XIXe siècle. S’il y a plusieurs décennies que le français a cessé d’être parlé du côté américain de la rivière, il l’est toujours du côté canadien par quelques membres des deux groupes de francophones, bien que sa survie soit loin d’être assurée. Les auteurs ont d’ailleurs exploité cette persistance linguistique à Windsor et dans les environs pour la préparation de ce lexique. Ils ont combiné les résultats d’une centaine d’entrevues avec le contenu de trois études antérieures sur le français de la région de Détroit ainsi qu’avec une analyse minutieuse de centaines de pages de sources primaires produites depuis le début du XVIIIe siècle et préservées essentiellement dans la Burton Historical Collection de la Bibliothèque municipale de Détroit.
La seconde section, la plus imposante de l’ouvrage, est le lexique lui-même. Sans reprendre son contenu, mentionnons que la façon dont les auteurs présentent chaque mot (définition en français de référence, exemple d’emploi du mot dans une citation, source de la citation, l’usage du mot sur le terrain, l’usage du mot en Amérique du Nord) permet non seulement de mieux comprendre l’histoire de la langue française dans la région de Détroit, mais également de la positionner dans le cadre plus large de la francophonie nord-américaine, voire européenne. Deux courtes sections, une incluant notamment les sources du corpus de la région de Détroit et une annexe qui répertorie les informateurs ayant participé aux entrevues, complètent le livre.
Mots choisis constitue un lexique bien structuré et étoffé qui atteste d’un travail méticuleux et passionné de la part de ses auteurs. Cet ouvrage est peut-être appelé à devenir pour la linguistique ce que le livre du révérend Christian Denissen, Genealogy of the French Families of the Detroit River Region, 1701-1936, est pour la généalogie, c’est-à-dire un outil de travail indispensable pour quiconque étudie la présence française dans la région de Détroit. Enfin, de par son souci de retracer l’origine et les influences des mots français employés le long de la rivière Détroit au cours des trois derniers siècles, Mots choisis suscitera aussi un engouement auprès des linguistes qui s’intéressent à l’histoire de la langue française ailleurs en Amérique du Nord.