Comptes rendus

Solange Lefebvre, Cultures et spiritualités des jeunes, Montréal, Bellarmin, 2008, 320 p.[Notice]

  • Philippe St-Germain

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Dans un ouvrage richement documenté, l’auteure s’efforce de comprendre la pluralité des quêtes de sens qui animent les jeunes de nos jours. Dans les analyses qui leur sont consacrées, ces quêtes sont parfois considérées à l’aune de leur éclatement, de leur éparpillement apparent ; mais elles sont parfois considérées, aussi, comme les résultantes d’une époque lors de laquelle les frontières se brouillent complètement, entraînant par là une certaine homogénéisation culturelle. La perspective de l’auteure s’insère entre ces deux extrêmes et avance plutôt qu’un « excès de 'possibles' » (p. 9) oblige les jeunes à exercer leur faculté de choisir d’une manière inédite. Ces possibles appartiennent à la fois aux religions officielles et à des univers qui semblent se situer à l’écart des traditions religieuses reconnues. Le chapitre inaugural présente la jeunesse comme un « entre-deux », un moment de transition, un passage qui suppose une « marginalité pour ainsi dire intrinsèque » (p. 30) puisque la différenciation est la première étape du processus par lequel le jeune acquiert son identité. Un processus négocié par des essais et des erreurs, loin d’une simple reproduction de l’héritage. Le passage en question est marqué plus discrètement de nos jours, notamment parce que les rites de passage traditionnels s’imposent moins que jadis. Ce processus est censé déboucher sur une « unité intérieure » (nous reviendrons plus loin sur cette expression et son économie dans l’ouvrage), mais il n’est pas purement égoïste, le regard des autres étant crucial pour qu’il y ait reconnaissance du nouveau statut. Le deuxième chapitre poursuit la caractérisation de la jeunesse en insistant cette fois sur la notion de génération. À la division par classes succède une division par classes d’âge, en tenant compte du fait que de nombreux facteurs influencent les choix d’une génération – ou « cohorte » – donnée. Les frontières entre ces cohortes sont de moins en moins précises et l’extensibilité de l’adolescence provoque par la même occasion le raccourcissement de l’âge adulte. Dans un troisième chapitre portant sur les cultures des jeunes, l’auteure aborde avec acuité la tension existant entre la marginalité foncière des quêtes de sens des jeunes et le conformisme (ou l’« homogénéisation ») qui guette sans cesse ces expérimentations. Bien souvent, « on se démarque en se conformant » (p. 68) et « le conformisme [est] déguisé en non-conformisme » (p. 72), car diverses industries exploitent à dessein les intérêts des jeunes à des fins mercantiles. À bien des égards, un des projets du livre paraît être de réhabiliter la notion de tradition en prenant le contre-pied d’une perspective faisant d’elle un bloc figé et monolithique ; non pas en opposant tradition et innovation, mais en aménageant, dans la tradition elle-même, une force innovante. Il existerait en effet un « rapport de force fécond » (p. 80) entre tradition et modernité. La transmission a beau ne plus aller de soi aujourd’hui, on constate néanmoins une « coexistence entre héritage et innovation » (p. 82). On tente donc ici de penser une tradition qui n’exclut pas une large part d’autodéfinition, ce qui remet en question un « mythe de la jeunesse » (p. 99) associant les jeunes à la déviance, à la rébellion, au défaut d’appartenance. Il s’agit ainsi d’éviter « de confondre la modernité qu’on valorise avec la réalité elle-même », et de vaincre une « amnésie tenace » (p. 295). Les valeurs dont il est question dans le cinquième chapitre ne sont pas toujours inédites ; elles le sont en fait assez rarement puisqu’on y note souvent une tension entre deux ordres de valeurs, la continuité ne s’opposant pas à …