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On oublie souvent que l’année 1968 est une année centrale dans l’histoire du Québec et pas seulement dans celle de la France. Pierre Elliott Trudeau commence son mandat de premier ministre du Canada et sa présence suscite des manifestations lors du défilé de la Saint-Jean-Baptiste à Montréal ; le Parti québécois est fondé en octobre 1968 et le FLQ continue de s’organiser et à frapper. C’est dans ce bouillonnant contexte que le chanteur Robert Charlebois et la chanteuse Louise Forestier, l’humoriste Yvon Deschamps et Mouffe présentent un spectacle musical révolutionnaire, accompagné du Quatuor Jazz libre du Québec, dont la première version, nommée l’Osstidcho, est présentée en mai 1968. C’est à l’occasion du quarantième anniversaire de ce spectacle que Bruno Roy lui consacre une monographie. L’ouvrage qu’il présente ici, bien qu’issu de sa thèse de doctorat sur la chanson québécoise et le manifeste, n’a pas le style d’une thèse et le texte semble avoir été remanié pour en faire un livre accessible. Il avait aussi développé ses observations sur ce thème dans Pouvoir chanter (1991). L’auteur considère ce spectacle comme un manifeste parce qu’il inaugure un mouvement, désigne une rupture dans l’histoire d’une pratique, le spectacle de chansons, et met en relation le mode d’expression et l’histoire des idées. « En effet, l’Osstidcho est arrivé à un moment clé de l’histoire du Québec où les affaires politiques et culturelles devaient changer de fond en comble » (Oberhuber, 2008, p. 65).
Avant de faire l’étude détaillée des spectacles de la série de l’Osstidcho, Bruno Roy analyse avec minutie l’histoire de la chanson québécoise et les prémisses du rock’n roll, passant par les Sinners et le groupe les Jaguars qui ont annoncé le rock psychédélique de la fin des années 1960. Il présente aussi la genèse de la carrière de Charlebois, de Deschamps, de Mouffe et de Louise Forestier. Bien que le livre ne soit pas une monographie sur la carrière de Charlebois, c’est néanmoins lui qui est le plus mentionné. L’auteur rappelle par exemple qu’il fait la première partie de Félix Leclerc à la Butte à Mathieu en septembre 1962. Par ses participations à des revues musicales, Charlebois se montre très tôt intéressé aux rapports entre la scène et la musique. Entre la sortie de Lindberg au printemps 1968 et décembre de la même année, Charlebois est passé d’inconnu à superstar.
C’est dans ce cadre qu’est présenté le spectacle collectif multidisciplinaire l’Osstidcho en 1968 et 1969. Trois spectacles eurent lieu : le 28 mai jusqu’au 20 juin 1970 (l’Osstidcho au Théâtre des Quat’sous avec Louise Forestier, Mouffe, Robert Charlebois, tous trois issus de l’École nationale de théâtre, Yvon Deschamps, le Quatuor du Nouveau Jazz libre du Québec et l’organiste Jacques Perron), du 2 au 8 septembre 1968 (l’Osstidcho King Size à la Comédie Canadienne) et les 23, 24 et 25 janvier 1969 (l’Osstidcho meurt à la Place des Arts). La veille de la première représentation, déjà Charlebois, Forestier et Deschamps participeront au spectacle-manifeste Poèmes et chants de la résistance pour venir en aide aux prisonniers politiques Paul Rose, membre de la Cellule Chenier, et à Pierre Vallières, l’auteur de Nègres blancs d’Amérique. À propos du nom du spectacle, Roy rappelle brillamment les éléments de censure entourant le nom du spectacle et les hésitations du public lorsqu’il appelait pour réserver des billets. Le contexte contre-culturel de l’époque se révèle dans trois pôles : le psychédélisme, qui se manifeste par le recours aux drogues comme facilitateur d’hallucinations et de rejet des valeurs modernes, l’érotisme, avant tout la libération de la femme et, enfin, le politique. Le jazz participe de cette contre-culture, tout comme les explorations musicales de l’Infonie dont les musiciens du quatuor de Jazz libre sont devenus membres. À ce titre Jean-Marc Desgent écrit dans « Mon Osstidcho », qui sert de préface, « que le Quatuor produisait des sons qu’on n’entendait pas à l’époque dans les boîtes à chansons : des sons stridents ; des accompagnements énergiques à la batterie, une présence impressionnante des cuivres » (p. 14). Le jazz révèle aussi la dimension esthétique propre au happening qui caractérise l’Osstidcho. André Oberhuber dans un récent article sur Robert Charlebois et Diane Dufresne écrit : « Concevoir un spectacle de chanson sous forme de happening ou de show engendre souvent l’unicité de la représentation dans la mesure où cette forme de spectacle est sensible à l’improvisation et à l’imprévu » (Oberhuber, 2008, p. 62). L’ouvrage se termine par une chronologie détaillée de l’Osstidcho, de sa genèse à ses retombées les plus récentes et une liste reconstituée des chansons et des monologues de l’Osstidcho. S’il est un livre qui nous informe sur la genèse de la carrière de Charlebois sans être un livre qui porte sur ce sujet, c’est bien celui de Bruno Roy, fort détaillé sur le plan historique surtout en ce qui regarde les liens entre les différents médiateurs de l’activité chansonnière. On peut sans hésitation affirmer que l’Osstidcho est un phénomène chansonnier majeur dans l’histoire culturelle du Québec contemporain.