La période historique qui suit la conquête du Canada par l’armée britannique a été maintes fois interprétée et analysée. Les diverses lectures et relectures de cette période charnière pour le Québec, le Canada et l’Amérique du Nord insistent souvent sur les effets de la défaite des Plaines d’Abraham de 1759 sur les Canadiens, les descendants des Français, en tant que collectivité ethnoculturelle minoritaire en Amérique. L’abondance des publications sur le sujet ainsi que l’intérêt, voire les passions, que ce segment de l’histoire suscite encore de nos jours prouvent hors de tout doute l’impact social et intellectuel de la Conquête dans les imaginaires collectifs. Si la défaite des Plaines d’Abraham et ses conséquences – émergence graduelle de la Grande-Bretagne comme principale puissance européenne à la fin de la guerre de sept ans (1756-1763), Acte de Québec de 1763 et Acte constitutionnel de 1791 pour ne nommer que celles-là – ont mérité leur lot d’analyses et de débats, on ne peut en dire autant des liens entre la période de l’indépendance américaine et celle qui suit 1759. En ce sens, l’une des grandes qualités de l’ouvrage de Pierre Monette est de pallier la quasi-absence d’une perspective historique et archivistique de cette courte mais déterminante période où le Québec aurait pu basculer dans le camp des colonies américaines indépendantes. En fondant son analyse sur trois des dix-huit adresses rédigées par l’entité politique représentative des treize colonies britanniques d’Amérique du Nord et invitant les Canadiens à se libérer du joug britannique, l’auteur fait la démonstration de la richesse analytique que peuvent apporter des documents d’archives. Loin de se limiter à ressasser les déboires de Benedict Arnold et de Richard Montgomery face à Québec en plein hiver 1775-1776, Monette revisite des pans entiers de l’historiographie canadienne-française et de la dynamique propre au système clérico-seigneurial. Ainsi, ce n’est pas l’ensemble du Canada qui aurait résisté aux Américains mais surtout le clergé et l’élite seigneuriale qui rejetaient les idéaux de liberté et d’égalité du Congrès continental (entité politique des treize colonies). Plusieurs exemples sont mentionnés et favorisent une compréhension étendue des raisons de l’échec des tentatives du Congrès continental d’entraîner avec lui la Province of Quebec dans son mouvement d’indépendance. Ainsi, le refus des Canadiens de se joindre aux colonies ne viendrait pas d’une volonté de préserver la culture française, principalement la langue et la religion, mais serait une conséquence des rapports de pouvoir au sein même de cette collectivité minoritaire qui était, en dépit des préjugés véhiculés, « bien de son temps ». Fait intéressant, une partie importante de l’argumentation de l’auteur repose sur l’absence du facteur linguistique dans la formation de l’identité canadienne de l’époque. Monette fait la démonstration, parfois rapide mais avec pertinence, que le fait français était plus que mineur dans les schèmes de représentation au Canada. La question linguistique ne pourrait donc expliquer les raisons de ce rendez-vous manqué avec la révolution américaine. De même, l’argument de la survivance, abondamment utilisé dans la littérature sur le sujet, ne tiendrait pas la route pour cette période de l’histoire de la province de Québec. Outre la dynamique propre à la collectivité canadienne-française, Monette aborde la position des Canadiens anglais face à l’indépendance américaine et à une éventuelle union avec les treize colonies. Les différents passages sur les Canadiens anglais mentionnant la position plutôt favorable des gens d’affaires anglophones au projet d’union, du moins au début, viennent bousculer certaines idées préconçues. Tout groupe ethnoculturel confondu, il appert que les gens des villes étaient moins séduits par les idées d’indépendance parce qu’elles abritaient l’essentiel des élites professionnelles, marchandes et cléricales, plus favorables au statu quo. On …
Pierre Monette, Rendez-vous manqué avec la révolution américaine : Les adresses aux habitants de la province de Québec diffusées à l’occasion de l’invasion américaine de 1775-1776, Montréal, Québec/Amérique, 2007.[Notice]
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Sébastien Arcand
Service de l’enseignement du management,
HEC Montréal.
sebastien.arcand@hec.ca