En 2008 paraissaient deux ouvrages sur les étudiants, leurs associations et leurs mouvements. Étudiants universitaires dont Karine Hébert montre comment, avant 1960, ils ont graduellement pris conscience de former un groupe. Cégépiens et universitaires dont Jean-Philippe Warren retrace les soubresauts associatifs dans les années 1960, culminant dans l’occupation de quelques cégeps et départements universitaires en 1968. Ces ouvrages ont en commun de travailler à partir de textes et, en particulier, de journaux étudiants. Le livre de Hébert est une version remaniée de sa thèse de doctorat. Du côté de Warren, cette analyse s’inscrit dans la foulée d’une autre qui portait sur les marxistes-léninistes québécois des années 1970, dont plusieurs étaient issus des mouvements étudiants des années 1960 (Warren, 2007). Ce qui étonne le plus à la lecture de ces deux ouvrages, c’est la nostalgie qui frappe les étudiants quelques semaines ou mois seulement après leurs actions « d’éclat ». La citation de Hébert en exergue est un commentaire à propos d’un article du Quartier latin de 1927 ! Dans le même sens, Warren met en évidence que dès janvier 1969, s’installe une nostalgie à propos des occupations de l’automne. Et qui sont les plus sujets à cette nostalgie ? Les leaders étudiants. De quoi sont-ils nostalgiques ? Comment se constitue l’identité étudiante au début du XXe siècle, à Montréal, à l’Université de Montréal et à McGill ? Voilà ce que cherche à mettre en évidence Hébert, qui s’interroge « sur les fondements identitaires du groupe étudiant, en mettant en évidence le processus de construction identitaire menant à une prise de parole publique » (Hébert, 2008, p. VIII). Pour cerner l’identité, il faut une altérité ; celle par rapport à quoi se définit l’identité étudiante est la direction universitaire. La comparaison entre les deux universités aide également à saisir les temps forts et les inflexions de cette formation d’une nouvelle identité, celle d’étudiant. Les deux associations étudiantes évoluent dans le même sens, mais indépendamment, et celle de McGill plus rapidement, parce qu’elle a plus d’argent et plus de locaux, mais aussi parce qu’il y a plus de filles qui y étudient, ce qui entre en jeu dans la constitution de l’identité étudiante, de la communauté étudiante. Comment donc les étudiants parviennent-ils à créer un « esprit étudiant » selon l’expression de Hébert (2008, p. 50) ? Initiations et compétitions sportives jouent certes un rôle, mais il y a plus. Retracer la construction d’une identité oblige bien sûr à embrasser une période assez longue. Pourquoi 1895-1960 ? 1960, c’est bien sûr le début de la Révolution tranquille. 1895, c’est l’année où l’Université Laval à Montréal, qui n’est pas encore l’Université de Montréal, emménage dans de nouveaux locaux, à l’angle des rues Saint-Denis et Sainte-Catherine. Au départ, l’auteure esquisse brièvement l’histoire des deux institutions sur lesquelles porte son étude, et situe cette dernière dans les travaux sur les jeunes qui se multiplient depuis quelques années au Québec (Bienvenue, 2003 ; Piché, 2003) et ceux, plus rares, sur les étudiants (Neatby, 1999). Bien entendu, l’histoire des associations étudiantes est étroitement liée à celle des universités où elles évoluent. Dans les années 1920, dans le monde anglophone également, on met en question « l’orientation productiviste » de l’université. « Cette dénonciation s’accompagne d’une critique du monde industriel ou, du moins, de la manière dont les grands industriels envisagent l’éducation » (Hébert, 2008, p. 93). Dans l’institution francophone, les étudiants fondent leur premier journal en 1895 et se regroupent pour la première fois en association en 1902. À McGill, dès les années 1880, les …
Parties annexes
Bibliographie
- Beausoleil, Gilles, 1970 [1956] « L’histoire de la grève de l’amiante », dans : Pierre Elliott Trudeau (dir.), La grève de l’amiante, Montréal, Éditions du Jour, p. 165-230.
- Bienvenue, Louise, 2003 Quand la jeunesse entre en scène. L’Action catholique avant la Révolution tranquille, Montréal, Boréal.
- Gignac, Benoît, 2008 Québec 68. L’année révolution, Montréal, La Presse.
- Houle-Courcelette, Mathieu,, 2008 Sur les traces de l’anarchisme au Québec, 1860-1960, Montréal, Lux éditeur.
- Neatby, Nicole, 1999 Carabins ou activistes ? L’idéalisme et la radicalisation de la pensée étudiante à l’Université de Montréal au temps du duplessisme, Montréal et Kingston, McGill-Queen’s University Press.
- Piché, Lucie, 2003 Femmes et changement social au Québec. L’apport de la Jeunesse ouvrière catholique féminine, 1931-1966, Québec, Les Presses de l’Université Laval.
- Rochon, Gaétan, 1977 Politique et contre-culture, Montréal, Hurtubise HMH.
- Roy, Bruno, 2008 L’Osstidcho ou le désordre libérateur, Montréal, XYZ.
- Warren, Jean-Philippe, 2007 Ils voulaient changer le monde. Le militantisme marxiste-léniniste au Québec, Montréal, VLB.