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Entre 1994 et 2005, Pierre Godin a publié chez Boréal les quatre tomes de sa monumentale biographie de René Lévesque : René Lévesque, un enfant du siècle (1994), René Lévesque, héros malgré lui (1997), René Lévesque, l’espoir et le chagrin (2001), René Lévesque, l’homme brisé (2005). Un ensemble de 2 447 pages auquel continueront sans doute de se reporter politologues, historiens et sociologues. À l’intention du grand public, l’auteur a pris l’heureuse initiative d’en rédiger un « condensé », à vrai dire substantiel, paru sous le titre René Lévesque, un homme et son rêve.
Oeuvre de journaliste, le condensé, tout comme la production originale, constitue essentiellement la chronique politique des années 1960-1985 au Québec, période charnière de notre histoire dont René Lévesque a incontestablement été la figure dominante, comme l’un des artisans majeurs de la Révolution tranquille, comme fondateur et chef pendant dix-sept tumultueuses années du Parti québécois et comme premier ministre des deux premiers gouvernements souverainistes du Québec du 26 novembre 1976 au 3 octobre 1985. Toujours vivante, la chronique, même dans sa version condensée, ne me paraît rien omettre d’important ou de significatif s’agissant de l’action parlementaire et gouvernementale de René Lévesque et de sa gestion de la vie interne d’un parti rarement docile dans tous ses éléments. L’auteur fait encore, dans l’ouvrage-synthèse, une large place à la vie privée du personnage, particulièrement à ses relations féminines. Il fait ici cependant, me semble-t-il, un compte rendu plus sobre de la difficile période vécue par René Lévesque à la fin de 1984. Témoin relativement proche des événements, il m’avait paru que Pierre Godin avait, dans René Lévesque, l’homme brisé, un peu exagéré la durée d’une dépression bien réelle durant les dernières semaines de cette année.
Lecteur attentif et passionné de la somme biographique consacrée à René Lévesque et de la synthèse qu’il en a tirée, je pense toutefois qu’elles ne rendent pas suffisamment compte d’une dimension pourtant tout à fait remarquable de l’apport de l’homme, celui de sa pensée politique. On n’est pas nécessairement indifférent aux billets doux de René à Corinne (Côté), mais on aurait apprécié plus d’attention dans la synthèse au contenu des prises de position de l’homme politique. Le manifeste fondateur de ce dernier, Option Québec, paru en 1968, aurait par exemple justifié plus que quelques lignes de présentation. De même auraient pu être mises davantage en évidence, à partir de son discours et de ses engagements concrets, les convictions qui inspiraient ses actions, avant tout fondées sur son très profond attachement aux valeurs démocratiques et sur sa conception du meilleur avenir politique pour le Québec. Ce double fondement de l’itinéraire intellectuel et politique de René Lévesque n’a cependant pas échappé à l’attention de Pierre Godin ; il y fait implicitement référence dans les derniers chapitres de son livre-synthèse où, après la relation de l’épisode du « beau risque » d’une dernière chance à la réforme du fédéralisme entre septembre 1984 et septembre 1985, il évoque les mots prononcés par René Lévesque devant Bernard Landry quelques jours avant son décès le 1er novembre 1987 : « Rien n’est réglé [il s’agit de l ’accord du lac Meech], il va falloir faire l’indépendance » (p. 685).