Comptes rendus

Roberto Perin, Ignace de Montréal. Artisan d’une identité nationale, Montréal, Boréal, 2008.[Notice]

  • Éric Bédard

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Longtemps présenté, avec Maurice Duplessis et Lionel Groulx, comme l’une des figures emblématiques de la « grande noirceur », Ignace Bourget est l’objet d’une monographie qui raconte les combats du deuxième évêque de Montréal dans un contexte difficile, marqué par l’échec des rébellions et l’Acte d’Union, ainsi que par des bouleversements sociaux et économiques sans précédent. Roberto Perin, dès son introduction, met cartes sur table : il souhaite réhabiliter le personnage, montrer que son nationalisme n’eut rien de « chauvin » ou de « totalitaire », et qu’au contraire, il suscita « un généreux sentiment d’ambition, de dynamisme et de confiance dans l’avenir » (p. 266). En créant une série d’institutions sociales et éducatives, à Montréal, dans ce qui allait devenir le coeur économique du Canada, en fondant des paroisses qui allaient accueillir les hordes de paysans canadiens-français déchus, en se faisant le partisan d’une foi plus intensément vécue qui aurait provoqué une véritable « révolution culturelle » selon Perin, Bourget aurait ressoudé les liens d’une communauté nationale désoeuvrée, en proie au pessimisme et à l’esprit d’abandon. Sans contredit, Perin brosse un portrait élogieux du prélat montréalais qui, grâce à son leadership, à son dévouement, à son travail patient et à sa ténacité, aurait été le grand artisan de la survivance canadienne-française et, par sa défense acharnée des libertés de l’Église, un défenseur avant-gardiste de l’autonomisme québécois. Cet ouvrage, faut-il toutefois préciser, n’a rien d’un panégyrique, cette recherche étant fondée sur un travail méticuleux en archives. Comme dans sa précédente monographie consacrée à la diplomatie vaticane au Canada, Roberto Perin, grâce à sa maîtrise de l’italien, a su exploiter avec brio les archives romaines, ce qui permet d’éclairer certaines facettes moins connues de l’histoire de l’Église catholique au Québec. Parmi ces facettes, il y a celle d’une lutte féroce qui opposera Mgr Bourget aux Sulpiciens lorsque viendra le temps de fonder de nouvelles paroisses dans une métropole montréalaise en pleine expansion. À première vue, l’enjeu semble strictement légal. Les nouvelles paroisses « canoniques », fondées unilatéralement par Bourget, seront-elles indépendantes (c.-à-d. cure fixe, gestion autonome de la fabrique), ou de simples « annexes » de la paroisse de Notre-Dame sous la responsabilité des Sulpiciens ? Comme le montrent les nombreux mémoires acheminés au Vatican, ce conflit de juridictions a des implications financières – qui administrera le registre civil et en recueillera les bénéfices ? – mais surtout, nationales et politiques. C’est que, montre Perin, les Sulpiciens sont souvent d’orgueilleux Français qui rechignent à l’idée de partager leur pouvoir avec des Canadiens français. Le conflit oppose aussi d’éminents Canadiens français. Les Sulpiciens sont défendus par des avocats-politiciens célèbres comme George-Étienne Cartier, un ancien étudiant du Collège de Montréal, ainsi que par Hector Langevin, le frère de l’influent évêque de Rimouski, un modéré, proche du cardinal Taschereau, qui ne prise guère les idées ultramontaines non plus que les gestes d’éclat de Mgr Bourget. Ce parti pris des chefs conservateurs en faveur des Sulpiciens oblige à revoir la solidité de cette fameuse alliance traditionaliste et permet de mieux comprendre la création d’un journal comme Le Nouveau Monde – proche de la sensibilité bourgetienne – et l’émergence du courant « programmiste » au tournant des années 1870. Si l’enfer était résolument rouge, le ciel des chefs politiques conservateurs et des prélats ultramontains était loin d’être aussi bleu qu’on l’a souvent dit. Le chapitre consacré aux idées de Bourget est un peu décevant. Plutôt que de procéder à une analyse exhaustive des huit tomes de lettres et de mandements laissés par le prolifique prélat (sans parler de sa correspondance), ce qui aurait été …