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Que dire d’un livre qui n’aurait jamais dû être édité ? Voilà qui est plutôt embêtant, surtout quand on s’est engagé, sur la seule foi de son titre, à en faire le compte rendu. Allons-y donc. Quel est le propos de cet essai d’à peine 150 pages ? Tout simplement « d’élaborer une théorie ontologique universelle, formalisée et achevée de cette forme sociopolitique et historique singulière qu’est le phénomène (nationalisme( » (p. 1). Rien de moins ! Mais qui peut bien revendiquer un projet aussi ambitieux, aussi « universel »? La quatrième de couverture nous apprend que l’un des auteurs est titulaire d’une maîtrise en philosophie politique et l’autre, doctorant en science politique. Ce qui a de quoi susciter d’entrée de jeu une certaine perplexité chez le lecteur. Mais poursuivons la lecture. Que trouve-t-on dans les cinq premières pages qui forment l’introduction ? Une suite d’anathèmes. La condamnation sans appel, avant tout examen, de toutes les théories passées ou présentes du nationalisme (que les auteurs confondent du reste d’un bout à l’autre avec le concept de nation). « Nous répudierons également tous ces modes pseudoscientifiques d’aperception des phénomènes […]. En outre, nous condamnerons sans rémission […] Enfin, nous nous insurgerons avec détermination et force conviction […] » (p. 2 et 3). Et ainsi de suite.
Convaincus d’être en possession de « la théorie ontologique universelle » du nationalisme, les auteurs procèdent par oukases et pétitions de principe, une rhétorique ampoulée faisant office d’argumentation. Un seul exemple suffira pour décourager la lecture :
« En définitive, il ne faut jamais renoncer (contre Comte et contre Kant), malgré toutes les formes radicales de critique qu’il ne faut pas avoir peur d’affronter, à accéder à la substance nouménale des choses, ni à parvenir à développer une authentique théorie formelle et achevée devant nous restituer aussi bien les noumènes que les apparitions phénoménales de l’objet – distinction qui n’est d’ailleurs valable que du point de vue analytique et qui perd toute consistance à mesure qu’on évolue vers un échafaudage théorétique capable de s’assimiler l’idéalité d’essence de la concrétion de l’objet réfléchi » (p. 4).
On reste sidéré par un tel charabia, par une kyrielle de phrases aussi creuses que celle-là, des phrases qui font parfois plus d’une vingtaine de lignes et que l’on croirait tirées d’un bêtisier des sciences humaines. Usant d’un vocabulaire philosophique qu’ils ne maîtrisent pas, les deux auteurs ne cherchent manifestement qu’à en mettre plein la vue au lecteur. Sauf que le manège est tellement grossier que personne ne peut s’y laisser prendre, sauf les auteurs eux-mêmes.
La première partie de l’essai, intitulée pompeusement « Prolégomènes et fondements », propose « un modèle théorique central » du nationalisme largement inspiré de René Girard. Si l’on comprend bien (ce n’est pas certain), le nationalisme (la nation ?) serait, en tant que produit d’une érosion du religieux sacrificiel, un phénomène globalement positif dans la mesure où il offre une solution antisacrificielle au problème du vivre ensemble. Reste que l’érosion du sacrificiel-religieux – dont le judéo-christianisme serait le grand responsable – aurait en même temps donné naissance à de nouveaux modes de fusion et de participation qui représenteraient autant de régressions vers « des mondes barbares et sacrificiels » (p. 39). Les auteurs évoquent bien sûr le national-socialisme allemand, « tentative infernale pour régénérer l’osmose collective primordiale (osmose hallucinée) » (p. 31). Sans que l’on sache trop comment, ce genre de régression serait impossible dans la société québécoise, en vertu de l’« hyper-immanence » de son « état de civilisation » (p. 39) ! Nous serions plutôt guettés au Québec par le danger de perdre le lien nationaliste. Le quatrième et dernier chapitre de la première partie propose en une dizaine de pages pour le moins elliptiques une nouvelle « sociologie du nationalisme » où sont cités pêle-mêle Hegel, Marx, Weber, Durkheim, Comte, Tönnies, Parsons, Veblen, Baudrillard, Bourdieu, Foucault, Maffesoli, etc.
Dans la deuxième partie, qui se veut « empirique », les auteurs prétendent « illustrer la puissance explicative et intégrative de [leur] grille théorique » en l’appliquant (chapitre 5) au « cas Québec/Canada » et (chapitre 6) à d’autres cas, en l’occurrence le cas anglais, le cas français et le cas états-unien. Dans le cas du Québec, il ressort que celui-ci vit depuis une décennie « dans une forme de (stagnation métaphysique( » (p. 122). En conclusion, les auteurs croient « sincèrement avoir tenu parole […] et réussi le défi » qu’ils s’étaient lancé, à savoir « produire une théorie universelle et achevée […] du phénomène du (nationalisme( » (p. 143).
Faut-il en rire ou en pleurer ? Qui est à blâmer ici ? Moins les auteurs eux-mêmes, nous semble-t-il, que l’éditeur qui a cautionné de son nom un tel grimoire, en confortant deux rhéteurs dans l’illusion qu’ils sont de grands théoriciens. Ce qui est leur rendre un bien mauvais service.