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L‘un des traits marquants de l’évolution de la jeunesse au Québec depuis les années 1980 réside dans la progression fulgurante du travail rémunéré pendant les études. Qu’ils soient au secondaire, au cégep ou à l’université, une majorité d’étudiants sont désormais engagés à la fois dans le travail et les études. Ainsi, selon les résultats de notre recherche en milieu collégial, sept étudiants sur dix (72 %) consacrent à un emploi rémunéré en moyenne 17,2 heures par semaine. C’est significatif ! Surtout si l’on considère qu’ils accordent 11,7 heures à leurs études chez eux dans la même semaine (Roy, Bouchard et Turcotte, 2008). Est-ce l’indication d’une préférence des cégépiens pour l’emploi au détriment des études ? Cet article propose de faire le point sur le travail rémunéré pendant les études au cégep à partir d’une étude menée dans l’ensemble du réseau collégial (Royet al., 2008). Dans un premier temps, il actualise les informations générales existantes sur cette thématique, particulièrement au Québec. Dans un deuxième temps, il met en perspective l’effet du travail rémunéré sur la réussite scolaire des cégépiens. Enfin, une dernière partie discute de certains éléments du contexte social qui sous-tendent la participation à la fois au monde du travail et à celui des études.

Le travail rémunéré des étudiants : un champ de recherche en émergence

Plusieurs recherches ont été publiées dans les années 1990 au Québec sur le travail rémunéré des étudiants. Ainsi, celles de Vigneault (1993), de Beauchesne et Dumas (1993), de Terrill et Ducharme (1994), de Bourdon (1994) et de Dagenais, Montmarquette, Parent, Durocher et Raymond (1999) ont, avec d’autres, contribué à l’émergence d’un nouveau champ d’études : le travail rémunéré chez les étudiants et l’analyse de son incidence sur les études. D’autres recherches ont suivi cette première génération de recherches. Ainsi Ricard (1998) a analysé les motivations des cégépiens à occuper un emploi pendant les études, les difficultés rencontrées au travail et l’influence de ce travail sur les études. Une autre étude, publiée par le CrÉpas (2002), a examiné différents indicateurs reliés au travail rémunéré et à la réussite scolaire pour trois ordres d’enseignement (secondaire, collégial et universitaire). Une recherche effectuée à l’échelle du Canada (Bowlby et McMullen, 2002) s’est quant à elle intéressée aux jeunes de 20 ans. L’étude souligne : a) que le taux de décrochage au secondaire chez les jeunes de 20 ans a considérablement diminué au Canada comme au Québec au cours des années 1990, b) que la faiblesse des résultats scolaires n’est qu’une des raisons du décrochage, c) que l’environnement familial influence le succès scolaire et d) que ( et cela nous intéresse plus particulièrement ici ( le décrochage scolaire est plus élevé chez les étudiants qui n’occupent pas d’emploi rémunéré, qu’il est plus bas chez ceux qui consacrent de 10 à 19 heures par semaine à un travail rémunéré et qu’il grimpe de façon significative chez ceux qui travaillent 30 heures et plus par semaine. Enfin, une étude réalisée en milieu universitaire a exploré le phénomène de la conciliation études, travail et famille (Bonin, 2007). Entreprise auprès d’un échantillon de près de 14 000 étudiants fréquentant huit établissements du réseau de l’Université du Québec, l’enquête révèle que 71 % des étudiants du premier cycle occupent un emploi au premier trimestre de leur programme d’études et ils y accordent en moyenne 25 heures par semaine. À l’instar de la recherche de Bowlby et McMullen (2002), de nos propres travaux (Royet al., 2003, 2005, 2008), celle de Bonin (2007) conclut que le travail rémunéré n’est pas un obstacle aux études en tant que tel. C’est ainsi, par exemple, que les étudiants de premier cycle à l’université occupant un emploi lors de leur première session sont même plus nombreux, en proportion, à avoir réussi tous leurs cours[1].

En général, les récents travaux sur l’emploi étudiant montrent donc que ce dernier n’est pas en soi contre-indiqué pour les étudiants pendant l’année scolaire à condition de ne pas excéder un certain seuil d’heures par semaine. Et qui plus est, l’étude de Csikszentmihalyi et Schneider (2000) avance que cet emploi est plutôt bien perçu par les étudiants car il leur procure une certaine autonomie personnelle et financière, favorise de nouveaux contacts et de nouvelles formes de socialisation et leur donne une image positive d’eux-mêmes.

La nette progression du travail rémunéré pendant les études a été soulignée par bon nombre d’études (Roberge, 1997 ; Conseil de la famille et de l’enfance, 2002 ; Gendron et Hamel, 2004 ; Royet al., 2005 ; Bonin, 2007). L’étude de Ricard (1998) soulignait, par exemple, que la moitié des étudiants au cégep avaient un travail salarié durant la session ayant précédé l’enquête. Sept ans plus tard, la proportion de ces étudiants se situait autour de 65-70 % (Fédération des cégeps, 2005 ; Royet al., 2005). Scénario analogue en milieu universitaire où, selon l’enquête de Bonin (2007), 58 % des étudiants du premier cycle avaient un emploi lors de leur première session à l’université en 1996 comparativement à 71 % dix ans plus tard, soit en 2006.

Le travail rémunéré pendant les études comme mode de vie majoritaire des cégépiens concerne tout autant les filles que les garçons, ils seraient engagés à parts égales (Royet al., 2008), à quelques nuances près, à savoir que les garçons y consacrent un peu plus de temps que les filles (18,1 heures par semaine comparativement à 16,7 heures pour les filles) et qu’ils travaillent davantage la nuit (Royet al., 2008).

Certains auteurs ont examiné les liens entre les valeurs, la socialisation et le travail rémunéré dans le contexte de la réussite scolaire. Ainsi, selon Bourdon (1994), le travail rémunéré chez les étudiants agirait comme un puissant facteur de socialisation à la consommation. Ce facteur serait susceptible de motiver une sortie accélérée sur le marché du travail ou de ralentir la progression scolaire de l’étudiant.

Tout récemment, un ouvrage collectif, Les jeunes et le travail (2007), visait à faire le point sur le travail chez les jeunes dans la société québécoise (Bourdon et Vultur, 2007). Cet ouvrage décrit notamment le contexte où se situe le travail chez les jeunes. On souligne entre autres que l’accélération de la mondialisation des économies et l’émergence d’une « société du savoir », au sens de Castells (2001), constituent les éléments fondamentaux de l’évolution conduisant à l’extension du travail atypique et souvent à temps partiel. Dans nos sociétés axées sur la production matérielle, la croissance économique et la consommation, l’analyse du travail des jeunes constituerait un véritable laboratoire pour l’étude du lien social et des formes de solidarité entre les individus, les groupes et les générations : « À n’en pas douter, étudier les rapports entre les jeunes et le travail, c’est tendre à élucider la manière dont nos sociétés définissent et redéfinissent le lien social dans ce qu’il a de plus essentiel » (Mercure, 2007, p. 302). En ce sens, on ne peut dissocier la signification que revêt le travail chez les jeunes d’un ethos de vie fondé sur l’épanouissement personnel, l’autonomie et l’importance des liens au sein de réseaux sociaux.

Les parcours des jeunes sont de moins en moins linéaires (Charbonneau, 2007 ; Mercure, 2007). De plus, ils auraient peu d’attachement particulier à l’emploi, à la profession ou à l’organisation. Ce qui les intéresse est leur développement personnel ; quand ils estiment, par exemple, que leur emploi y contribue peu ou pas, ils peuvent le quitter volontiers.

Enfin, selon Hamel (2007), le travail occuperait une place de choix dans l’échelle des valeurs des jeunes ; il souligne également la précocité de la relation avec le travail rémunéré au sein de la « génération numérique » selon l’expression utilisée. Cette précocité a déjà été notée par Pronovost dans son étude auprès de jeunes âgés de 11 à 15 ans : déjà, à l’âge de 11 ans, le quart des adolescents occupent un emploi pendant les études et la proportion grimpe à près de 60 % chez les 15 ans (Pronovost, 2007).

Ces divers points de vue concernant les jeunes et le travail offrent une perspective générale qui nous permettra de contextualiser la participation à la fois au monde du travail et à celui des études au regard des résultats de notre étude.

Un modèle écologique

La perspective d’analyse que nous avons voulu privilégier est l’examen des relations de l’étudiant avec ses différents environnements afin de mieux évaluer l’influence de ces relations sur sa trajectoire scolaire. Nous sommes partis de l’idée voulant que l’analyse de la réussite scolaire n’est pas réductible qu’« à ce qui se passe en classe », que le collégien est également influencé par sa vie à l’extérieur des murs de l’institution d’enseignement. Ce point de vue permet donc, à notre avis, de mieux comprendre la part des facteurs sociaux dans l’examen de la réussite scolaire, évitant de se limiter aux seuls facteurs endogènes de l’éducation.

Nous avons donc retenu le modèle de l’écologie sociale : celui-ci offre deux niveaux d’analyse aux fins de notre étude. Le premier consiste à catégoriser les différents environnements où évolue l’étudiant tels que la famille, le cégep, le milieu de travail, le réseau d’amis dans le quartier ou le village, etc. Le second niveau mise sur l’interaction complexe qui lie le cégépien à ses différents environnements ; par exemple, de quelle manière l’étudiant arrive-t-il à trouver un équilibre entre les exigences du cégep et celles rattachées à un emploi rémunéré pendant les études ? Selon Tessier : « L’écologie sociale cherche à ‘découvrir’ la synergie entre l’individu et son environnement » (Tessier, 1989, p. 68). C’est précisément la perspective que nous voulons développer.

Aux fins de la recherche, nous avons emprunté à Bronfenbrenner (1979) et à Bouchard (1987) les sphères suivantes du modèle d’écologie sociale :

  • L’ontosystème, soit l’ensemble des caractéristiques, des états, des compétences, des habiletés ou des déficits de l’étudiant, innés ou acquis (ex. : origine sociale, sexe de l’étudiant, état de santé mentale et physique, etc.) ;

  • Le microsystème, soit l’environnement immédiat de l’étudiant (ex. : famille, autres types de ménage, cégep, milieu de travail, etc.) ;

  • Le mésosystème, soit l’ensemble des lieux que fréquente l’étudiant dans un contexte d’interaction. On s’intéresse ici aux liens intermicrosystémiques (ex. : liens entre les études et la fréquentation de réseaux sociaux chez l’étudiant) ;

  • L’exosystème, soit les endroits ou les lieux non fréquentés par l’étudiant en tant que participant, mais dont les activités ou les décisions peuvent avoir un impact sur lui (politique d’aide financière du ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, règlement du régime des études collégiales, standards scolaires du cycle secondaire par rapport à ceux du collégial, conditions minimales de travail, etc.) ;

  • Le macrosystème, soit l’ensemble des croyances, des valeurs, des normes et des idéologies dans la société et dans la communauté (ex. : valeurs de consommation, d’autonomie, valeurs liées au respect des différences, au savoir, valeurs familiales, etc.) ;

  • Le chronosystème, soit l’ensemble des considérations temporelles qui caractérisent un événement (ex. : première session au cégep, où l’étudiant expérimente un nouveau régime pédagogique tout en travaillant par exemple le même nombre d’heures chez son employeur qu’au secondaire, etc.).

La prise en compte de ces différentes sphères donne une vision globale des étudiants dans leur rapport avec les différents environnements et, ultimement, avec la collectivité, et permet d’apprécier les interactions existantes entre ces différentes sphères et l’étudiant au regard de son parcours scolaire. Dans notre étude, quatre sphères du modèle écologique feront l’objet d’une analyse spécifique : 1) Le collège comme milieu de vie (microsystème) ; 2) Le milieu familial et le réseau social (microsystème) ; 3) Le milieu de travail (microsystème) ; 4) Le système de valeurs (onto et macrosystème).

Cela nous permettra de situer l’étudiant comme acteur, quotidiennement appelé à effectuer des choix à partir des interactions entre ces différentes sphères. Le recours au modèle écologique ne sert pas ici qu’à rendre compte de déterminismes conditionnant les jeunes cégépiens dans leur trajectoire personnelle et scolaire, mais bien également à mettre en scène les lieux où les étudiants interviennent sur leur parcours, et ce, à différents niveaux. Cette dimension a plus précisément été analysée dans le volet qualitatif de la recherche et nous porterons davantage notre attention sur la sphère du travail.

Éléments de méthode

Notre recherche ( qui entend à la fois à mieux connaître le travail rémunéré des étudiants et comment intervenir en milieu collégial ( a commandé une méthodologie à deux volets : un volet quantitatif, afin de mettre en évidence les tendances générales qui se dégagent de l’enquête par questionnaire, et un volet qualitatif, destiné à connaître les dynamiques et les stratégies qu’adoptent les étudiants afin de concilier le travail et les études, à comprendre également le sens et la signification qu’ils accordent à certaines dimensions explorées dans l’étude et, enfin, à conduire avec eux et les intervenants en milieu scolaire une réflexion sur le travail pendant les études.

Le volet quantitatif de la recherche, dont cet article rend compte, a été réalisé au printemps 2006 auprès d’un échantillon systématique probabiliste de 6 347 collégiens inscrits au secteur régulier de l’enseignement ; l’échantillon a été prélevé dans l’ensemble du réseau collégial (secteur public et secteur privé). Au total, 1 729 étudiants, répartis dans 51 établissements collégiaux, ont complété le questionnaire. L’échantillon tient compte de la proportion relative des effectifs étudiants dans le réseau public et dans le réseau privé, de la répartition filles/garçons et de celle concernant le secteur d’études (préuniversitaire et technique). Une minorité d’étudiants proviennent de la communauté anglophone et des communautés culturelles. La taille de l’échantillon retenu assure un degré de confiance de 95 % sur le plan des résultats, ce qui respecte les standards retenus en sciences sociales pour ce type de recherche (Mayer et Ouellet, 1991).

Les étudiants ont rempli en ligne le questionnaire d’enquête leur étant destiné. Un site Internet a été constitué à cette fin. Les collégiens ont reçu au préalable une lettre de la part d’un responsable de l’établissement, expliquant les objectifs de l’étude, le caractère confidentiel des informations et les modalités de retour du questionnaire.

Le questionnaire d’enquête comprenait sept sections :

  1. Les caractéristiques personnelles des étudiants (âge, sexe, provenance géographique, etc.) ;

  2. Le cégep comme milieu de vie (liens avec les professeurs, les autres étudiants, temps accordé aux travaux scolaires, participation à des activités parascolaires, etc.) ;

  3. Les réseaux familial et social (liens avec les parents, les amis, soutien parental, bénévolat dans la communauté, etc.) ;

  4. Le bien-être personnel (indicateurs de santé mentale tels que le stress, le sentiment d’être déprimé, le degré d’autosatisfaction, la consommation d’alcool ou de drogues, etc.) ;

  5. Le système de valeurs (défini principalement sur la base de propositions d’énoncés couvrant un éventail varié de valeurs et d’aspirations) ;

  6. La situation socioéconomique (situation financière, prêts et bourses du ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, soutien financier des parents, etc.) ;

  7. L’univers du travail rémunéré (participation au marché du travail, type d’emploi, nombre d’heures consacrées à l’emploi, degré de satisfaction des conditions de travail, lien avec les études, les habitudes de vie, la consommation, qualité des rapports avec l’employeur et les employés, motifs liés au travail rémunéré, mode d’organisation du temps dans le quotidien, emploi et réseau social, etc.).

Les informations sur chacune des quatre sphères retenues dans notre cadre théorique ont été mises en relation entre elles afin d’évaluer l’interdépendance existante entre ces quatre environnements du modèle écologique. Conformément au cadre de l’écologie sociale, nous avons examiné le rapport entre l’étudiant et ses différents environnements ainsi que l’analyse de l’influence de ce rapport sur son parcours scolaire. De fait, des analyses univariées et multivariées ont été réalisées avec deux indicateurs ayant servi à qualifier la réussite scolaire. Ces indicateurs sont les suivants : le rendement scolaire, mesuré à partir des résultats scolaires cumulatifs, et la persévérance scolaire, mesurée par une question portant sur l’abandon scolaire dans le questionnaire d’enquête[2].

Les questionnaires ont été informatisés et un plan de codification a été élaboré pour les questions ouvertes. Nous avons eu recours au progiciel SAS pour le traitement et l’analyse des données. Diverses analyses statistiques ont été effectuées (test du chi2, analyses factorielles, analyses univariées et multivariées). Des analyses multivariées (régressions multiples et autres analyses discriminantes avec procédure de sélection des variables) ont été appliquées pour mieux repérer des combinaisons de variables traduisant certains constats « écologiques » de l’étude.

Résultats

Selon nos résultats, dans l’ensemble du réseau collégial, 72 % des étudiants occupent un emploi rémunéré pendant les études, alors que c’était le cas de moins de 20 % des étudiants à la fin des années 1970 (Roy, 2006). Signe des temps : filles comme garçons sont majoritairement engagés sur le marché du travail pendant leurs études collégiales. Et ils y mettent le temps ! C’est ainsi, par exemple, qu’un cégépien sur quatre (27 %) consacre 20 heures et plus à un emploi pendant l’année scolaire au cégep. Le tableau 1 présente la répartition des cégépiens selon le nombre d’heures accordé à un emploi.

Tableau 1

Répartition des étudiants selon le nombre d’heures travaillées par semaine dans le cadre d’un emploi pendant les études, nombre et pourcentage

Nombres d’heures

Nombre

Pourcentage

N’occupe pas d’emploi

511

29,6

Entre 1 et 4 heures

32

1,9

Entre 5 et 9 heures

167

9,7

Entre 10 et 14 heures

247

14,3

Entre 15 et 19 heures

311

18,0

Entre 20 et 24 heures

264

15,3

25 heures et plus

193

11,2

Total

1 725

100

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Compte tenu du temps important accordé à un emploi rémunéré chez les cégépiens, nous nous sommes interrogés sur ce que représente en moyenne une semaine régulière chez les étudiants : combien d’heures consacrées à un boulot, à la présence en classe et aux travaux scolaires en dehors de la classe. Pour cet examen, nous avons retenu uniquement les données du Cégep de Sainte-Foy, car nous ne disposions pas de ces informations pour les autres cégeps participant à la recherche.

Selon les données recueillies au Cégep de Sainte-Foy (tableau 2), les cégépiens consacreraient 46 heures par semaine à ces trois activités (50 heures chez ceux qui occupent un emploi pendant les études) ; ces chiffres concordent avec ceux d’une enquête récente réalisée en milieu collégial par le Conseil supérieur de l’éducation[3]. À nombre d’heures de cours égal, ce n’est pas avant 20 heures de travail rémunéré par semaine, que le nombre d’heures accordé aux études fléchit quelque peu chez les étudiants.

Tableau 2

Nombre d’heures moyen par semaine consacrées à l’étude en dehors de la classe, à la présence aux cours et à l’emploi chez les étudiants du Cégep de Sainte-Foy*

Catégories

 

 

Nombre d’heures

Nombre d’heures moyen à l’emploi

Nombre d’heures à l’étude en dehors de la classe

Nombre d’heures de présence au cours**

Total des heures par semaine consacrées à ces trois activités

Aucune

0

13,2

23,4

36,6

Entre 1 et 9 heures

7,2

13,5

24,2

44,9

Entre 10 et 19 heures

14,0

13,7

22,8

50,5

20 heures et plus

23,0

10,6

22,3

55,9

* Au total, le tableau porte sur 96 étudiants fréquentant le Cégep de Sainte-Foy.

** Il s’agit du nombre d’heures de cours auxquels sont inscrits les étudiants au Cégep de Sainte-Foy.

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Quels sont ces emplois occupés par les étudiants ? Principalement de petits boulots − des Mcjobs − relevant essentiellement du secteur des services (commis, caissier, serveur, cuisinier, préposé à l’entretien, vendeur, pompiste, réceptionniste, assistant-gérant…). La liste est longue et éclectique[4]. Par ailleurs, deux secteurs d’emploi couvrent plus de 90 % des emplois recensés, soit ceux du service des ventes et ceux de la restauration.

La très grande majorité des étudiants (82 %) considèrent que ces emplois n’ont rien à voir avec leur programme de formation au cégep. Pour les autres, des liens existent avec leur orientation scolaire : des postes d’éducateurs, de moniteurs, d’opérateurs ou de techniciens par exemple, figurent dans la liste identifiée d’emplois reliés à un programme d’études, encore que ces exemples ne soient pas exclusifs à cette catégorie d’étudiants (par exemple, certains d’entre eux peuvent occuper des fonctions de moniteurs sans qu’un lien existe avec la formation suivie).

Ces emplois sont généralement occupés le jour, la fin de semaine, et le soir en semaine. Du lundi au vendredi, les étudiants travaillent en moyenne 7,4 heures et la fin de semaine, en moyenne 9,9 heures. Les emplois de soir et de nuit sont parfois associés à un rendement scolaire plus faible (Royet al., 2008). Également, ces périodes peuvent en partie influencer l’appréciation des étudiants quant à leurs conditions de travail, aux effets de l’emploi sur leurs études ou même sur leur propre développement personnel selon nos résultats.

D’une manière générale, les cégépiens sont plutôt satisfaits de leurs conditions de travail. Ainsi, les trois quarts des étudiants occupant un emploi (77 %) considèrent « bonnes » ou « très bonnes » leurs conditions de travail. Peu de cégépiens ont rapporté qu’elles étaient « difficiles » ou « très difficiles » (moins de 4 %). Les étudiants qui se disent plus souvent déprimés, qui se sentent moins bien au cégep et qui ont de plus faibles résultats scolaires, sont davantage insatisfaits de leurs conditions de travail[5]. L’influence de ces conditions de travail pourrait donc affecter d’une manière générale leur parcours scolaire.

En corollaire, mentionnons que quatre étudiants sur dix (42 %), occupant un emploi pendant les études, considèrent que cet emploi nuit à leurs études[6]. Diverses associations peuvent être faites avec ce facteur. C’est ainsi que les étudiants estimant que l’emploi nuit à leurs études sont parmi ceux qui songent à abandonner leurs études et ils se retrouvent plus affectés sur le plan de leur bien-être personnel : ils sont moins satisfaits d’eux-mêmes et ils se sentent davantage stressés et déprimés[7].

Par ailleurs, les étudiants perçoivent majoritairement que l’expérience du travail rémunéré a un effet positif sur leur propre développement personnel. C’est ainsi que les deux tiers des cégépiens occupant un emploi pendant les études (66 %) jugent « très positive » et « positive » l’influence de l’emploi sur leur développement personnel.

Le principal motif conduisant les cégépiens à occuper un emploi pendant les études est la quête d’une autonomie financière, qui consolide l’autonomie personnelle et celle face aux parents. Ce motif l’emporte nettement sur les autres et il totalise 45,5 % chez les étudiants. Les autres motifs par ordre d’importance sont : pour assurer ma subsistance (21,7 %) ; pour faire l’expérience du marché du travail (12,2 %) ; pour développer mon sens des responsabilités (9,3 %) ; pour me payer plus de confort (9,1 %) ; pour occuper mes temps libres et pour être avec mes amis (ex aequo à 1,1 % chacun). L’autonomie financière est donc au centre de leur motivation pour occuper un emploi. Elle conduit les étudiants à entrer plus précocement sur le marché du travail afin d’accéder à une autonomie s’apparentant à celle des adultes. Ils apprécient cette liberté fournie par l’argent gagné au boulot.

Dans notre enquête, 22 % des étudiants ont mentionné, comme premier motif les conduisant à occuper un emploi pendant les études, la nécessité d’assurer leur subsistance. Compte tenu de l’association entre ce motif et l’abandon scolaire selon nos résultats, nous nous sommes intéressé au profil de ces étudiants.

Tableau 3

Portrait de l’étudiant ayant comme motif principal d’assurer sa subsistance pour occuper un emploi pendant ses études[8]

Comparativement aux autres étudiants, l’étudiant ayant comme motif principal

d’assurer sa subsistance pour occuper un emploi

Ne vit pas avec ses parents.

Se sent moins bien appuyé par ses parents sur le plan financier.

Compte sur son emploi comme principale source de revenu.

Est moins satisfait de sa situation financière.

Est plus âgé.

Bénéficie plus souvent de l’aide financière du MELS.

Considère davantage que son emploi nuit à ses études.

Accorde plus d’heures à son emploi.

A un père dont la scolarité est moins élevée.

Considère moins que son emploi a un effet positif sur son développement personnel.

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Un premier examen du tableau 3 fait voir que ces étudiants sont généralement plus vieux et, en conséquence, ils ont parfois des responsabilités familiales et bénéficient dans une moindre mesure d’un soutien financier parental pour leurs études. Ceci les conduit à travailler davantage que les autres malgré le fait qu’ils considèrent plus souvent que leur emploi nuit à leurs études.

Le marché du travail est par ailleurs un lieu où les cégépiens se développent et s’expriment autrement qu’au cégep. Et ils l’apprécient ! Cette dimension du travail rémunéré est importante dans l’esprit des cégépiens, car ils ont le sentiment que l’expérience acquise contribue à leur développement personnel. Des aspects tels que la capacité à mieux communiquer, à mieux gérer son temps, à développer un sens des responsabilités, à s’adapter à des situations et à des environnements divers, etc., seraient autant de pièces à verser du côté d’un bilan positif de l’emploi, même s’il s’agit de petits boulots généralement sans correspondance réelle avec leur programme d’études.

Se donner un confort matériel pendant les études constitue également un motif clé pour occuper un emploi. Du moins, ce motif est deux fois plus souvent rapporté par les cégépiens que l’argument de la subsistance.

Malgré une perception plutôt positive de l’expérience du travail chez les cégépiens, ces derniers n’en considèrent pas moins que leurs études sont plus importantes que ce travail (77 % des étudiants occupant un emploi pendant les études). Dans la foulée de ce constat, 82 % de ces cégépiens n’auraient « jamais » manqué de cours pour un motif lié à l’emploi[9].

Nous avons mesuré la réussite scolaire à partir de deux indicateurs : le rendement scolaire et la persévérance aux études. Le tableau 4 permet de constater que le travail rémunéré pendant les études n’est pas, en soi, un obstacle aux études. C’est même parfois le contraire ! Regardons de plus près.

Tableau 4

Moyenne scolaire des étudiants selon le nombre d’heures consacrées par semaine à un emploi

Nombre d’heures accordées à un emploi par semaine

Moyenne scolaire*

Ensemble des répondants

0

76,1 %

1-4

80,9 %

5-9

77,6 %

10-14

77,5 %

15-19

76,2 %

20-24

74,9 %

25 et +

71,5 %

Moyenne générale

75,9 %

* Il s’agit toujours de la moyenne des résultats scolaires cumulés au bulletin de l’étudiant.

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Le tableau 4 montre que les étudiants occupant un emploi à raison de moins de 20 heures par semaine ont des résultats comparables à l’ensemble des étudiants ou même à ceux qui n’ont pas de travail rémunéré pendant leurs études. Les meilleurs résultats scolaires se retrouvent même chez ceux qui consacrent entre une et quatre heures à leur emploi pendant la semaine. Cependant, à compter de 25 heures par semaine, les paramètres se modifient de manière significative. Ainsi, la moyenne scolaire chute de près de 5 %. De fait, en distinguant le groupe d’étudiants accordant 25 heures et plus par semaine à un emploi et tous les autres, on obtient une moyenne de 71,5 % contre 76,5 % pour les autres (75,9 % constituant la moyenne de l’ensemble des cégépiens dans notre étude). Compte tenu de l’effet de seuil observé à 25 heures et plus de travail rémunéré par semaine en ce qui a trait au rendement scolaire, nous avons examiné plus en détail les caractéristiques du groupe d’étudiants accordant un tel nombre d’heures à un emploi sur une base hebdomadaire (tableau 5).

Tableau 5

Portrait des étudiants occupant un emploi de 25 heures et plus par semaine pendant les études[10]

Comparativement aux autres étudiants, l’étudiant occupant un emploi de 25 heures et plus sur une base hebdomadaire

Compte davantage sur son emploi comme principale source de revenu*.

Est plus âgé.

Considère davantage que son emploi nuit à ses études*.

A des résultats scolaires inférieurs à la moyenne*.

Considère moins que ses parents l’appuient financièrement.

Occupe plus souvent un emploi pour assurer sa subsistance*.

Accorde plus d’importance à gagner rapidement de l’argent*.

Se sent moins encouragé par son père dans ses études*.

Est de sexe masculin.

Éprouve davantage de difficultés scolaires*.

Occupe moins souvent un emploi pour vivre l’expérience du marché du travail.

A moins d’intérêt pour ses études*.

Considère moins que le cégep est un milieu stimulant*.

Accorde moins d’importance aux études*.

Considère davantage que sa charge de travail est élevée.

* Variables associées négativement à la réussite scolaire, P ≤ .01.

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Deux logiques ressortent de ce tableau. Une première tient à une sorte de figure imposée que représenterait le travail rémunéré. L’argument de la subsistance est davantage avancé comme leur motivation à travailler. Seconde logique : ces étudiants ne valorisent pas beaucoup le monde des études. Du moins, leur intérêt est moindre et ils vont, par exemple, accorder plus d’importance à gagner de l’argent rapidement. Ici, conditions sociales et système de valeurs les éloigneraient potentiellement du cégep.

Bon nombre de variables caractérisant ce groupe d’étudiants sont donc associées négativement à la réussite scolaire. Par ailleurs, à notre avis, il faut se retenir de toute forme de généralisation rapide suggérant que les risques d’échecs ou d’abandon scolaires soient automatiquement plus élevés lorsque les étudiants franchissent les 25 heures par semaine.

Ainsi, des étudiants, porteurs d’autres caractéristiques que celles mentionnées plus haut, peuvent travailler 25 heures et plus par semaine sans compromettre leurs études. À l’inverse, des étudiants combinant quelques autres facteurs de risque mentionnés plus haut (variables négativement associées à la réussite scolaire) peuvent très bien occuper un emploi à raison de 20, 15 ou même 10 heures par semaine, qui se posera alors en obstacle aux études. Cette nuance apparaît capitale dans la réflexion sur l’intervention à effectuer auprès de ces jeunes cégépiens.

Mais, globalement, c’est véritablement à compter de ce seuil critique de 25 heures sur une base hebdomadaire et combiné avec d’autres facteurs identifiés plus haut que le travail rémunéré peut exercer une influence négative marquée sur la trajectoire scolaire de l’étudiant. Selon nos données encore, il serait par ailleurs prudent de situer ce seuil entre 20 et 25 heures par semaine. Cet intervalle correspond à une zone intermédiaire où les risques à la réussite se cumulent progressivement.

Ce seuil critique de 20-25 heures de travail rémunéré par semaine ( il était à 15 heures au début des années 1990 selon Vigneault (1993) ( signifie-t-il que les nouvelles cohortes d’étudiants auraient, avec le temps, développé de nouvelles capacités d’adaptation ? À moins de faire l’hypothèse que le réseau collégial aurait réduit sensiblement ses exigences sur le plan de son régime pédagogique ( certains avancent ce point de vue ( nous sommes plutôt enclins à répondre par l’affirmative, et ce, pour trois raisons principales.

En premier lieu, entre 15 et 24 heures de travail rémunéré par semaine, les résultats scolaires ne tombent plus en chute libre comme auparavant. Tout se passe comme si les étudiants avaient développé de nouvelles capacités de gestion du temps afin d’équilibrer celui réservé aux études et à l’emploi. D’ailleurs, un des ateliers gagnant en popularité offerts aux cégépiens est précisément celui portant sur la gestion du temps. En second lieu, ces étudiants ne sont pas plus stressés que les autres malgré le fait qu’ils sont engoncés dans un agenda plus chargé. Enfin, comme on l’a observé précédemment, même en accordant de 10 à 19 heures par semaine à un travail rémunéré, ils consacrent autant de temps à leurs travaux scolaires et à leurs études en dehors de la classe. Et ils obtiennent des résultats légèrement supérieurs à la moyenne. L’étude de Bowlby et McMullen (2002), réalisée au secondaire, et celle de Sales, Simard et Maheu (1996) effectuée en milieu universitaire, en arrivaient à des conclusions analogues.

De différentes manières, la question de l’emploi pendant les études n’est pas sans conditionner le parcours scolaire des cégépiens. Mais l’effet n’est pas linéaire. À faible dose, il ne contrevient pas à l’engagement scolaire. Et qui plus est, nous serions presque tentés de suggérer que, pour certains, il puisse même s’avérer un facteur de rétention additionnelle aux études, en combinant l’emploi à d’autres facteurs.

Contextes sociaux[11]

Au terme de ce parcours sur le travail étudiant, deux questions doivent être discutées, car elles mettent en cause des phénomènes sociaux plus généraux et fournissent également un cadre interprétatif du travail rémunéré chez les cégépiens. Ce sont le rapport à la consommation et le rapport au temps.

Le rapport à la consommation. On ne peut tout simplement pas analyser l’augmentation du travail rémunéré chez les étudiants en occultant l’univers de la consommation. Des thèses alarmistes circulent sur le sujet ! Pour certains, la cause est entendue : le travail rémunéré chez les étudiants pourrait être l’expression sociale d’une désaffection à l’endroit des études en faveur ( au profit ? ( de la consommation (Roberge, 1997). Dans ce contexte, les valeurs marchandes ambiantes au sein de la société auraient tôt fait de gagner les jeunes « […] pressés de faire le choix entre l’argent, la consommation et le savoir » (Nduwimana, 2002, p. B-5).

Il est vrai, comme le rappelle Langlois (1990), que les nouvelles générations ont grandi dans la société de consommation et que les valeurs de celle-ci ne sont nullement étrangères à leurs aspirations. Et puisque les jeunes ne contesteraient pas l’ordre social existant (Galland, 2007), cela viendrait renforcer l’hypothèse d’une jeunesse asservie aux dieux de la consommation les détournant du monde du savoir et de celui de l’éducation. L’appel quotidien du divertissement et de la consommation les propulserait en dehors de l’orbite de la connaissance.

L’hypothèse est séduisante ! Un premier niveau de lecture nous y ferait consentir volontiers. Tous les signes extérieurs ne sont-ils pas réunis ? Cellulaire, vêtements griffés, gadgets de toute sorte, dettes de consommation… et on en passe, collent au quotidien de ces cégépiens. Leur propre discours ne réserve-t-il pas une place de choix à tous les effets de mode et aux biens de consommation nouvellement sur le marché ? Et, n’est-il pas vrai que le travail rémunéré est un important facteur de socialisation à la consommation comme l’évoque Bourdon (1994) ? Tout cela est bien réel, mais il y a une contrepartie. En premier lieu, les valeurs matérialistes ne seraient pas dominantes chez les cégépiens ; du moins, celles liées à l’éducation, à la tolérance, à l’autonomie et à la famille par exemple, supplantent de loin les valeurs associées à la consommation de biens matériels selon nos résultats (Royet al., 2008). Dans les valeurs des étudiants, les études compteraient davantage. Bien sûr, les étudiants ne font pas mystère de leur intérêt pour la consommation et le divertissement. Cependant, ils procéderaient selon une logique de distanciation. C’est notre deuxième point. Expliquons-nous.

Dans son essai, Déclin de la morale ? Déclin des valeurs, Boudon (2002) souligne que l’individualisme et la rationalisation sont maintenant des traits dominants du système de valeurs en Occident. Ajoutons que la recherche de l’autonomie individuelle est le corollaire de cet individualisme montant et que cette autonomie s’inscrit également dans la quête d’une réalisation personnelle, au sens où l’entendait Taylor (1992) dans Grandeur et misère de la modernité. Or, l’univers de la consommation chez les cégépiens, en lien avec la question du travail rémunéré, est sur le plan interprétatif intimement lié à ce que désigne Mercure comme « […] un ethos plus global de vie fondée sur l’épanouissement personnel, la quête d’autonomie et la prégnance de micro liens sociaux » (Mercure, 2007, p. 294). Nos résultats accréditent cette thèse. Dans ce contexte général, la consommation occuperait, à l’instar du travail rémunéré, une position « utilitaire » dans l’esprit des cégépiens. Une position offrant confort et plaisir personnels, bien sûr, mais qui ne représente pas en soi une finalité concurrente aux études. Du moins, pour la grande majorité des cégépiens.

C’est ainsi que le mécanisme de rationalisation auquel Boudon fait référence se met en marche chez l’étudiant pour opérer une distanciation entre consommation et parcours scolaire. Et plus l’étudiant avance dans son programme d’études, plus cette distanciation s’affirmerait. La capacité des étudiants à se projeter dans l’avenir au regard de leurs aspirations – et considérant les études comme un passeport vers celles-ci – leur permettrait d’éviter de se piéger dans la consommation tout en flirtant volontiers avec elle. Ce qui n’exclut pas qu’une mince minorité de cégépiens puisse y consentir sans garde-fou. Mais il faut éviter toute généralisation résultant d’un amalgame facile avec cette minorité d’étudiants.

Le rapport au temps. Les prophètes se seraient trompés ! Nous ne sommes pas dans la société des loisirs. Il y a bien les adeptes de la liberté 55, mais l’immense majorité des gens besognent plus qu’hier. Au point où tout le monde est à court de temps, les cégépiens compris. Dans les débats sociaux, la conciliation travail-famille-éducation occupe désormais l’avant-scène comme enjeu social et politique.

Les cégépiens ont été littéralement absorbés par ce nouveau contexte social complexifiant le rapport au temps dans le quotidien. La nette progression du travail rémunéré pendant les études représenterait l’essentiel de la contraction du temps dans l’agenda des cégépiens. Agenda qui fait office de boussole chez les étudiants, car ils ne veulent rien sacrifier ; ils veulent tout vivre et tout faire à la fois. Souvent en sus de leur semaine de 50 heures, travail et études compris, c’est appréciable ! Ils se métamorphosent parfois en véritables artistes de la gestion du temps jusqu’à reculer les frontières du sommeil.

L’étude de Marshall (2007) est révélatrice quant à l’évolution de la compression du temps chez des adolescents de 15 à 19 ans. Cette recherche montre que, sur une période de vingt ans, soit de 1986 à 2005, la progression du travail rémunéré, principalement la fin de semaine et les autres jours « sans école », a évolué de telle sorte que maintenant, le temps consacré à l’école et aux travaux scolaires ainsi qu’à des activités productives rémunérées ou non équivaut à une semaine de 50 heures, soit une semaine identique à celle des adultes âgés de 20 à 64 ans (Marshall, 2007).

Malgré le stéréotype des adolescents paresseux, endormis et nonchalants, la majorité de ces jeunes portent un fardeau lourd sur leurs épaules. En réalité, comparés à leurs homologues de neuf autres pays de l’OCDE qui ont des enquêtes sur l’emploi du temps, les adolescents canadiens se classent premiers pour ce qui est des heures moyennes consacrées au travail rémunéré et non rémunéré pendant la semaine d’école.

Marshall, 2007, p. 6

Il y a dissonance des temps sociaux, c’est-à-dire qu’il n’y a plus de parcours prévisibles dans le temps (ex. : un étudiant peut mettre plusieurs années à compléter sa formation avec de multiples interruptions liées au travail, à la vie conjugale, à des voyages…) et que les frontières entre le temps consacré à la vie personnelle, aux études et au travail sont éclatées. Pour arriver à tout inscrire à l’agenda, à ne rien sacrifier, les jeunes auraient dans le temps réduit leurs heures de sommeil (Pronovost, 1996).

L’examen de ces deux contextes sociaux nous fait voir que le travail rémunéré pendant les études, comme phénomène social, est un véritable laboratoire inscrivant les jeunes cégépiens dans l’ordre social et les temps sociaux de la collectivité.

Bien que les écrits scientifiques sur le travail rémunéré des étudiants forment déjà une tradition ( toute jeune soit-elle ( rares sont les recherches qui ont mis en évidence le lien entre l’emploi pendant les études et la réussite scolaire, à partir d’un éventail varié de facteurs sociaux. C’est, à notre avis, la contribution originale de la présente étude. De fait, elle a exploré des facteurs aussi variés que les réseaux familial et social, le système de valeurs des collégiens, leurs conditions socioéconomiques, leur état de bien-être, leurs liens avec le collège, leur participation au marché du travail pendant les études. Et ce, dans une perspective synergique où ces différents facteurs interagissent mutuellement.

À cet égard, le recours au modèle d’écologie sociale s’est avéré fort utile. Il a permis de systématiser l’analyse permettant de rendre compte de l’influence des différents milieux fréquentés par l’étudiant sur sa trajectoire personnelle et scolaire et sur les choix et les stratégies qu’il met en oeuvre en quête d’un équilibre entre l’emploi et les études.

Bien sûr, l’étude a ses limites. Par exemple, des comparaisons selon la provenance géographique des étudiants auraient permis de mettre au jour l’existence de « logiques » de milieux en matière de travail rémunéré étudiant. De la même manière, il aurait été intéressant de faire un saut dans le passé pour soupeser les points de convergence et de différence existant entre des générations de cégépiens sur le plan de la dualité travail et études.

Néanmoins, les liens manifestes entre l’emploi étudiant et la réussite scolaire ont permis de proposer certaines avenues de réflexion, certains thèmes éventuels de recherche. Il en est ainsi, par exemple, du soutien parental en lien avec le travail rémunéré et la réussite scolaire. Cet aspect met en relief le fait que les parents peuvent contribuer utilement à la réussite scolaire de leurs jeunes au cégep ; il s’agit par ailleurs d’une réalité largement occultée dans l’actualité, voire dans le réseau collégial. Ce thème mériterait d’être davantage développé. Une autre dimension commanderait un examen attentif, soit l’argument soutenant l’existence chez les collégiens d’aujourd’hui de nouvelles capacités d’adaptation pour conduire des études supérieures en travaillant plus qu’auparavant versus un ajustement à la baisse des programmes de formation dans le réseau de l’éducation pour s’ajuster aux nouvelles clientèles. Le débat est ouvert !

Nos résultats ne sont pas sans plaider en faveur d’une réflexion collective sur la tendance actuelle quant à la conciliation travail et études. De fait, le phénomène ne cesse de progresser année après année, tant en ce qui concerne le nombre d’étudiants y étant engagés que les heures consacrées à un emploi. Cette réalité sociale risque ainsi de se poser en obstacle à la réussite scolaire d’une manière plus marquée dans l’avenir. Les débats tardent sur cette question.