La première biographie complète de Pierre Bourgault vient de paraître, sous la plume du directeur des pages culturelles du Devoir, Jean-Francois Nadeau. Le personnage, décédé en 2003, suscite visiblement un grand intérêt de publics divers, et outre cette biographie, qui est un grand succès de librairie, un télé-film est aussi en circulation et les écrits de Bourgault continuent à se vendre et se lire. Bien des trentenaires, qui n’ont pas connu son époque, s’intéressent au personnage. Il y a quelque part une admiration nostalgique pour l’homme, son style et peut-être son oeuvre. Au plan historique, le grand mérite de ce livre est de faire revivre, en faits comme en émotions, la genèse bouillonnante des mouvements et partis indépendantistes des années 1960, particulièrement le RIN mais aussi le Parti québécois, l’Alliance Laurentienne et le Ralliement national. Mais ce récit historique est en tension constante avec les épisodes de la vie personnelle de Pierre Bourgault. Les faits d’histoire et les faits de vie du héros créent une sorte de tension dialectique intéressante, surtout dans les années 1960-1970. Les années subséquentes de la biographie sont vraiment axées sur la vie privée de Bourgault, celui-ci s’étant plutôt retiré de la vie politique active. Nadeau signale bien le rôle pédagogique majeur joué par André D’Allemagne au début du mouvement indépendantiste contemporain. Le premier, il a structuré les thèses fondamentales du RIN. Son livre central, maintenant introuvable, Le colonialisme au Québec, publié en 1966, synthétisa à l’époque la plate-forme idéologique du RIN et au titre, on pressent les rattachements aux thèses de Franz Fanon et surtout d’Albert Memmi (L’homme dominé). En somme ce fut une tentative nette d’inscrire l’indépendantisme québécois moderne dans la mouvance de la décolonisation mondiale des années 1960. En ce sens, l’inspiration de D’Allemagne est nettement celle des idéologues français de ces années-là, une rupture forte avec le nationalisme canadien-français traditionnel. C’est d’ailleurs une insuffisance du livre de Nadeau de ne pas assez s’attarder sur le contenu complexe de ces thèses et de ces approches, qui furent philosophiques et culturelles autant que sociologiques ou politiques. Bien qu’elles nous apparaissent en 2008 très tributaires de leur époque et très datées du contexte de la décolonisation, elles constituèrent le fond de la pensée indépendantiste de Bourgault, surtout par le biais des écrits de D’Allemagne (qui rédigeait l’essentiel du journal du RIN). En fait, le plus surprenant - et Nadeau le signale bien - est la participation assez lointaine de D’Allemagne à la gouvernance même du RIN, se contentant de l’influencer au plan des idées. Ceux et celles d’un certain âge, qui ont vu Bourgault à l’oeuvre comme orateur dans ces années-là lors de ses grands discours politiques, se souviendront en filigrane du livre, de la fascination absolue que sa performance oratoire suscitait. Au Québec, ce fut sans doute le meilleur orateur politique de l’époque contemporaine et on dit qu’il faut remonter à Henri Bourassa, au début du XXe siècle, pour en trouver l’équivalence. Nadeau démonte assez les arcanes de cette performance : les longues préparations, l’appel aux procédés classiques de la rhétorique gréco-latine, l’élocution lente et prononcée, la voix forte aux intonations travaillées. Alors qu’un discours de René Lévesque ressemblait simplement à ses propos ordinaires, Bourgault orateur avait peu de rapport avec le Bourgault de la conversation quotidienne. En son jeune âge, Bourgault voulait être acteur et cela a imprégné ses performances oratoires, qui furent les bases de sa présence politique. Sur le fond, le discours se voulait franc, direct et clair, loin de la rectitude politique, des allusions et des propos technocratiques. En ce temps-là, l’indépendance se nommait « …
Jean-François Nadeau, Bourgault, Montréal, Lux, 2007, 608 p.[Notice]
…plus d’informations
Michel Lemieux
Sociologue.
mlemieux12@videotron.ca