Trop peu d’ouvrages publiés, livres autant qu’articles ou études spécialisées, portent sur ce fort intéressant sujet qu’est l’intégration des femmes dans l’industrie de la construction, pas plus d’ailleurs que sur l’équité en emploi, en général, et l’intégration des femmes dans les secteurs d’emploi non traditionnellement féminins, en particulier. Pourtant, ce n’est pas que le problème de la division sexuelle du travail soit réglé, quoi qu’on en pense, et cet ouvrage en témoigne. L’industrie de la construction est un secteur d’observation fort bien choisi car le problème y est criant (les femmes n’y représentent toujours pas plus de 1 %) et il illustre fort bien l’ensemble de la problématique. Serait-il la pointe plutôt caricaturale, l’exception choisie de mauvaise foi dans un marché du travail par ailleurs désormais bien mixte et caractérisé par l’égalité entre les hommes et les femmes ? Les statistiques révèlent une mixité bien moins grande qu’on le voudrait, surtout chez les cols bleus, et l’auteure ne manque pas de le rappeler. Les emplois dits sexués sont encore nombreux et ceux des femmes sont le plus souvent faiblement rémunérés. L’auteure trace d’abord un portrait statistique de la main-d’oeuvre dans l’industrie et elle connaît bien son objet, ses caractéristiques, sa structure, ses acteurs. La situation des femmes dans cette industrie est très peu documentée statistiquement et, si on ne peut en tenir rigueur à l’auteure, il aurait été utile de le préciser, entre autres parce que ce désintérêt fait cruellement partie du problème. Cet ouvrage, fruit d’un mémoire de maîtrise, présente avant tout une description de l’expérience de quinze femmes et de neuf hommes de l’industrie, fondée sur l’analyse de 24 entretiens en profondeur et appuyée par une revue des travaux dont le foyer est multiple. L’ouvrage est traversé par une perspective d’explication à la fois psychologique du malaise des femmes et des hommes, fondée sur les bouleversements identitaires imposés aux deux sexes par l’arrivée des femmes, et anthropo-sociologique, par la « culture masculine » tenue principalement responsable des difficultés d’intégration des femmes dans ce secteur ; l’analyse féministe des rapports sociaux de sexe y tient une position incertaine. La notion de culture appliquée aux organisations a été si galvaudée qu’on regrette un peu l’importance qu’elle revêt ici, à cause du flou qu’elle ne peut manquer d’amener en matière explicative. Au plan descriptif, l’approche culturelle de l’auteure produit des observations qui ne choquent pas, qui « sonnent vrai » mais qui apportent peu de plus que l’évidence. Les travailleuses de la construction s’y reconnaîtront, mais l’explication sociologique y gagnerait davantage en fouillant comment les représentations dont il est question s’intègrent dans des rapports sociaux du travail et quels sont les enjeux matériels de l’entretien des structures que protègent ces représentations. La question de l’identité sexuelle se présente comme au coeur de la culture des chantiers. L’auteure est bien appuyée en cela par les propos que tiennent les répondants et les répondantes ; elle apporte des considérations qui sollicitent l’analyse des rapports sociaux de sexe sans y procéder elle-même en profondeur, mais en les évoquant : l’opposition binaire entre le féminin et le masculin, mal fondée mais si utile ; l’importance symbolique de la force physique à la fois dans la représentation du masculin et dans la division sexuelle du travail, malgré la fragilité de son fondement. La très névralgique question de la compétence dans ce secteur est définitivement liée à la force physique dans le discours des hommes. C’est là une grande qualité de l’ouvrage d’en avoir saisi l’importance dans la rhétorique, sans commune mesure avec la faiblesse de ses fondements. Essentiellement définie par les caractéristiques « naturelles » des …
Geneviève Dugré, Travailleusesde la construction, Montréal, Éditions du Remue-Ménage, 2006, 182 p.[Notice]
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Marie-Josée Legault
TÉLUQ,
Université du Québec à Montréal.