Comptes rendus

Aline Charles, Quand devient-on vieille ? Femmes, âge et travail au Québec, 1940-1980, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2007, 391 p. (Culture et société.)[Notice]

  • Andrée Fortin

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  • Andrée Fortin
    Département de sociologie,
    Université Laval.

Le livre d’Aline Charles est à plusieurs égards remarquable, et même précieux. S’il se présente comme un livre sur la vieillesse féminine, ce qu’il est effectivement, il éclaire aussi ce qu’on décrit souvent comme le passage du flambeau entre l’Église et l’État dans le secteur hospitalier, la complexité du travail des femmes, ainsi que l’histoire des communautés religieuses. À l’intersection de trois champs de recherche, il apporte du neuf à chacun, grâce à leur éclairage réciproque. En effet, pour étudier la construction sociale de la vieillesse des femmes et comment cela se traduit dans leur rapport au travail, Aline Charles passe par le secteur hospitalier, où le personnel est presque uniquement féminin. Dans la période sur laquelle elle s’est penchée (1940-1980), plus de 70 % des salariés sont des femmes, les bénévoles sont des femmes à plus de 90 % et les religieuses bien sûr, en sont toutes. Cela lui permet de saisir le travail des femmes dans sa complexité entre les sphères privée et publique, entre le marché du travail et le don. Elle compare aussi deux hôpitaux : l’Hôtel-Dieu de Montréal, fondé dès 1642, propriété des Religieuses hospitalières de Saint-Joseph et où les bénévoles, comme groupe organisé, n’apparaissent qu’en 1967, et l’Hôpital Sainte-Justine, fondé en 1907 par des bénévoles, qui ont recruté une communauté religieuse, les Filles de la Sagesse, pour y travailler. Les rapports entre les bénévoles, les religieuses et les employées varient au fil du temps. Cependant, un même discours sur la charité encadre leur travail (salarié, vocation ou bénévolat), et le pose comme engagement : « Les conditions faites au personnel salarié deviennent […] une sorte de ‘don obligatoire’ fait à des institutions dont la vocation charitable exige autant qu’elle justifie tous les sacrifices, volontaires ou non », (p. 67). Ce qui ressort de l’analyse très riche d’Aline Charles, ce sont à la fois les transformations très rapides dans la conception de la vieillesse et dans la façon dont celle-ci est vécue par les femmes entre 1940 et 1980, mais c’est aussi, la rapidité des transformations du secteur hospitalier, abordé dans le livre par la lorgnette du vieillissement des effectifs féminins qui y travaillent. Ce qui contribue à transformer le plus le rapport à l’âge, c’est l’apparition des pensions de vieillesse et des régimes de retraite, dont même les religieuses profitent. Aline Charles montre quand et comment la vieillesse devient pour les femmes synonyme d’avoir 65 ans et d’être inactives, aussi bien pour les employées que les religieuses ; ce faisant, le bénévolat est de plus en plus pensé explicitement comme façon de meubler cette inactivité, voire comme un « outil d’insertion sociale » (p. 349). Des rites de passage à la retraite apparaissent à la fin des années 1960, pour marquer l’entrée dans cette étape de la vie. En ce qui concerne la mainmise de l’État et des laïcs sur le secteur hospitalier, il appert que dès 1940, les jeux sont faits, tant en matière de financement que de personnel, et en 1950, les religieuses constituent déjà moins de 20 % du personnel hospitalier. Ce que l’analyse de la vieillesse et du passage à la retraite du personnel révèle par ailleurs, c’est une dimension moins connue de ce transfert de responsabilité, c’est-à-dire le passage d’une gestion très « personnalisée » du personnel, où règne l’arbitraire, avec ce que cela peut comporter de bons et de mauvais côtés, à une gestion basée sur des conventions collectives négociées à l’échelle nationale. Aline Charles décrit ce passage en détail, avec plusieurs exemples. Oeuvrant côte à côte dans les hôpitaux, en 1940, il y a trois groupes de …

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